« Comment amener la ville de Tunis en perpétuelle transformation à devenir un espace ouvert à des expérimentations artistiques et culturelles ? Comment susciter le développement de nouvelles formes de citoyenneté et de réapparition de l'espace ? » C'est par ces questions que la journaliste Aurélie Machghoul commence son article intitulé, « En Tunisie, une réapparition esthétique et citoyenne » paru dans le 60ème numéro de la revue indisciplinée « Mouvement ». Pour rendre hommage à notre pays qui a fait la première Révolution dans le monde arabe, « Mouvement » voulait tracer, à travers cet article, les initiatives prises pour faire réapparaître de manière spontanée l'espace public longtemps interdit. Mais presque deux ans après la Révolution, l'espace public n'a pas encore été récupéré. Au contraire, il est toujours envahi, voire confisqué aux Tunisiens. Après l'étalage anarchique et l'envahissement des trottoirs, ce sont les fils de fer barbelés installés dans plusieurs rues et zones de la capitale qui empêchent les citoyens de se déplacer librement dans leur ville et mener leur vie quotidienne de manière ordinaire. Ces mesures prises pour assurer la sécurité de quelques ambassades et établissements étrangers privent tous les Tunisiens de leur droit à la libre circulation sur leur propre territoire. Cela ne fait que tuer la vie d'une ville déjà monotone et pas très dynamique.
Nos rues, nos quartiers, nos avenues et autres villes ne sont autres que le cadre réel de la vie quotidienne construit par les citoyens eux-mêmes. En fait, une ville en perpétuel mouvement, animée, dynamique reflète l'esprit de sa société. Elle donne toujours envie de visiter, de découvrir. En revanche, une ville encerclée par les barbelés et envahie par les étalages anarchiques ne peut donner qu‘une image négative aussi bien aux visiteurs étrangers qu'aux citoyens eux-mêmes. A l'avenue Habib Bourguiba, à l'avenue de la Liberté, au Centre Urbain Nord...le Tunisien n'a plus le droit de circuler librement même après la Révolution du 14 janvier. Pire : après les événements violents qui ont secoué la capitale il y a des jours et les inquiétudes que le même scénario se reproduise devant plusieurs institutions étrangères, le Tunisien n'a pas pu à ce jour circuler librement dans son espace public. Il est encore sanctionné par l'Etat qui n'a pas su gérer les actes de violence commis devant l'ambassade des Etats-Unis d'Amérique.
Image de la ville
En ayant recours à ces mesures, les autorités de tutelle ne font que ternir l'image de notre ville. Ils tuent les espaces publics qui ont une vie et respirent grâce à la dynamique des citoyens empêchés quant à eux de vivre et de se déplacer librement. En effet, l'espace public n'est pas seulement ce qui est, mais ce qu'on en fait. Il est le théâtre d'une vie quotidienne qui risque de s'éteindre, de suffoquer et de pourrir par les fils barbelés parsemés dans les principales artères de la capitale ainsi que d'autres zones périphériques. En optant pour ces solutions, les autorités, notamment le ministère de l'Intérieur, ne font que limiter l'interaction entre le citoyen et son espace, le citoyen et sa ville. Cette dernière a d'ailleurs plusieurs spécificités. « La ville est une entité physique, vivante et mouvante et s'y inscrivent vécu social, légendes urbaines et traumatismes enfuis... », disait Jean Marc Adolphe dans son article « Assez de Ronds-Points » paru dans le même numéro de la revue Mouvement. « Rien n'interdit de s'y pencher avec les outils de la psychanalyse », ajoute-t-il
Violence
Malheureusement nos villes continuent de subir plusieurs formes de violence symbolique. Depuis 50 ans le Tunisien est exclu de l'espace public. Il est notamment, interdit de circuler sur les trottoirs du ministère de l'Intérieur, ceux des locaux de la Télévision Nationale et des Radios. Les mesures appliquées après la Révolution ne font que reproduire les mêmes pratiques. Pire même. Le pouvoir actuel, pour une raison ou une autre, garde pour lui le contrôle de l'espace. S'agit-il là d'un message à faire passer à toute la société civile et aux citoyens ?
Le phénomène est grave. Il risque en effet de se développer et d'inciter les forces de l'ordre à quadriller davantage les espaces publics. Les fils barbelés fixés devant l'ambassade de l'Arabie Saoudite à la fin de la semaine, empêchant ainsi la fluidité de circulation n'est qu'un autre exemple. L'obsession sécuritaire, ne doit pas désormais continuer parce qu'elle ne fait que semer à tout vent la peur et la terreur. Le Tunisien ainsi que les étrangers installés dans notre pays vivent avec l'espoir d'habiter dans un espace assez ouvert, imprégné de tolérance, d'art et de toute forme d'action citoyenne. Les procédures actuelles nous empêchent de réconcilier le citoyen avec son être, avec son espace. Ce quadrillage exagéré ne fait que développer l'adversité au moment où nous avons tous besoin de développer une altérité différente de celle développée par l'ancien régime ou reproduite avec force par les salafistes.
Il est temps de penser aux autres. De faire renaître le sentiment de la communauté et du groupe. Il importe également, de trouver les moyens pour reconquérir l'espace public marqué depuis des décennies par une carence de dialogue, d'échange, de création malgré les quelques initiatives prises par certaines personnes, dont les artistes... « L'interaction entre la ville et le citoyen fait renaître une dynamique quotidienne, un art quotidien, une autre manière de voir son environnement ». La ville est par ailleurs, un miroir de la société, un révélateur de sa vie quotidienne, de son rythme. A chacun donc de dessiner cette belle ville à laquelle nous rêvons et qui risque de suffoquer et de se pourrir à cause de ces fils barbelés.