Après l'Avenue Habib Bourguiba et la Place de la Kasbah que l'on peut considérer comme les deux premiers hauts-lieux de la Révolution à Tunis, le mois de mars qui tire à sa fin a vu les espaces et les formes de la contestation prendre de nouveaux noms. Certes, l'Artère centrale de la capitale est encore, mais très sporadiquement, le théâtre de quelques manifestations et de cercles de discussion ; mais il faudrait retrancher de cette aire de protestation, toute la partie de l'Avenue qui se trouve en face du ministère de l'Intérieur et le jardinet situé en face de l'ambassade de France, tous deux barricadés par la police et l'armée. C'est pourquoi aujourd'hui, le perron du Théâtre municipal accueille la majorité des mouvements contestataires organisés en centre-ville. Pour la Place du Gouvernement, elle n'est plus accessible et les mécontents de tout bord, qui il y a quelques jours seulement disposaient de toute l'aire libre en contrebas de la Mairie, n'ont plus désormais qu'une parcelle du trottoir de la rue Bab Benat pour crier leur colère. Les avocats et les juges, eux, ont toujours l'entrée du Palais de Justice qu'on n'a pas pu entourer de fils barbelés à l'instar du siège du Premier ministère et ceux des ministères des Finances, de l'Education et de la Justice. Il n'empêche que le sit-in tenu depuis début février à l'entrée du ministère de l'Education se poursuit aujourd'hui encore ; on a même constaté que plusieurs tentes rudimentaires, adossées à l'un des murs du ministère voisin, se sont ajoutées à l'unique guitoune dressée au début du mouvement. Ce qui se passe donc chez nous, ce n'est pas tout à fait une interdiction des manifestations et des rassemblements, mais un rétrécissement progressif des champs où ils peuvent se tenir, notamment en ce qui concerne les mouvements de protestation à caractère politique ou social. En Egypte, c'est différent : les sit-in et les manifestations de rues susceptibles de bloquer les activités de la ville sont désormais interdites et exposent les personnes qui y participent à des poursuites judiciaires. Notre Etat d'urgence s'applique donc beaucoup plus souplement et avec une relative discrétion. Passer à la vitesse supérieure Pour ce qui est des formes de contestation, elles ont évolué depuis janvier. On est ainsi passé des sorties dans la rue aux sit-in et ces derniers jours à la grève de la faim. A Tunis, par exemple, les 25 ou 30 diplômés du Supérieur qui ne quittent plus l'entrée du ministère de l'Education par le boulevard de Bab Benat, ont décidé d'opter pour ce mode de lutte afin d'être entendus. De plus en plus, dans certaines villes de l'intérieur, les grèves de la faim suppléent les sit-in, comme c'est le cas dernièrement à Tataouine et Sidi Bouzid. Pour certains grévistes de la faim, cette protestation d'un niveau supérieur dure depuis bientôt quinze jours. Reviendra-t-on à l'immolation par le feu après cela ? L'hypothèse n'est guère à écarter puisque, tout récemment, on a enregistré au moins trois cas de tentatives de suicide à la Bouazizi. Pour en revenir aux sit-in, il y a lieu de remarquer que les artistes n'en ont pas organisé jusque-là. Mais voici que la troupe du Théâtre el Hamra initie un sit-in bien particulier : elle l'organise du jeudi 31 mars à 16 heures jusqu'à dimanche 3 avril à 9 heures. En quoi consiste-t-il : durant trois jours et trois nuits, les membres de cette compagnie ne quitteront pas leur théâtre. Les comédiens de la pièce The End, dernière création de la troupe, garderont leurs costumes et leur maquillage. Les lumières ne seront pas éteintes et les portes du théâtre resteront ouvertes 24 heures sur 24 tout au long des trois jours d'indignation. La pièce sera par ailleurs jouée, mais sans texte. Les acteurs et les techniciens de la troupe comptent par ce sit-in d'un genre nouveau attirer l'attention du nouveau ministre sur la condition de plus en plus déplorable de l'artiste sous nos cieux. Point d'orgue Un point d'orgue tout de même dans ce concert assourdissant et toujours renouvelé de manifestations, de contestations, de protestations et de revendications : quelques secteurs de la vie professionnelle de chez nous observent toujours le silence. Les universitaires par exemple sont quasi absents de la scène contestataire ; depuis fin janvier, ils n'ont plus rien demandé à leur ministre. Les limogeages furent très rares dans leurs établissements. Les inspecteurs du secondaire, eux aussi, se font plutôt discrets tout comme les conseillers en orientation, les postiers, les agents bancaires, les médecins et infirmiers de la santé publique, les assureurs etc. Mais qui sait s'ils ne sont pas en train d'attendre leur tour pour nous surprendre avec de nouveaux modes de contestation !