La réalité politique est plus complexe que les textes Approfondir les concepts La confiance est un des plus importants éléments vecteurs participant à l'instauration d'un climat politique et social serein et positif dans tout pays en général. Cet élément galvanisant devient encore plus ressenti, désiré et souhaité dans les périodes critiques et les étapes sensibles que traversent les nations. Cette confiance a l'immense avantage et le grand mérite, si elle venait à exister, d'établir des canaux de communication idoines pour créer une plate-forme consensuelle entre les principales forces politiques et civiles, en dépit de leurs différences et divergences.
Le Centre d'Etudes Méditerranéennes et Internationales (CEMI) a organisé hier une rencontre nationale avec plusieurs ateliers de travail, sur le thème de la confiance et son rôle crucial en période transitionnelle en Tunisie, avec la participation de représentants de 8 partis politiques représentés au sein de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) et plusieurs associations de la société civile.
Ahmed Driss, Directeur du Centre a précisé, que « presque une année après les élections du 23 octobre, nous étions optimistes croyant que ce qui s'est passé comme avilissements et frustrations avant la Révolution ne pourraient plus se reproduire. Toutes les parties politiques se mettront d'accord pour conduire avec succès la Tunisie à la délivrance. Nous ne voyons pas cette délivrance. Des doutes et des appréhensions existent. Un sentiment de peur et le spectre de la hantise gagnent la société. Nous proposons aux intervenants sur la scène politique et civile d'examiner les défis de l'étape actuelle et la construction de la confiance ». Le consensus ne peut être trouvé sans l'instauration de la confiance entre les différentes parties. La journée d'étude organisée hier, est une occasion pour dialoguer au sujet de plusieurs thèmes comme la nature du régime politique, la question électorale. Les recommandations seront transmises à l'ANC.
Jerome Scheltens membre du Netherlands Institute for Multiparty Democraty (NIMD) rappelle que son institut a été créé sur proposition de l'Afrique du Sud lorsque des Néerlandais de différents partis politiques au processus de démocratisation dans ce pays. Les objectifs de l'Institut se résument dans le renforcement des systèmes politiques multipartis, le développement institutionnel des partis politiques et le renforcement des liens entre partis politiques et société civile. « Dans beaucoup de pays, nous voyons qu'il n'y a pas de dialogue entre partis politiques », dit-il. Justement le rôle de l'Institut consiste à faciliter le dialogue. Il ajoute « la Tunisie se trouve dans une situation où il y a peu de médiation. Jusque là vous avez montré que vous êtes capables de résoudre les problèmes ». Concernant les thèmes du régime politique, la loi électorale et le processus électoral, il recommande de ne pas les discuter de façon isolée. Il faut discuter les régimes politiques en liaison au système électoral. C'est un sujet qui n'est pas suffisamment tranché. Au Pays-Bas où le régime est parlementaire, le système électoral est proportionnel. Le premier ministre est désigné par le parti le plus dominant. Une dizaine de partis sont représentés au sein du parlement, pour cause de la proportionnelle. En Angleterre, avec le système électoral majoritaire à un tour, il y a toujours un parti qui a la majorité. Le système électoral, la loi sur l'organisation des partis politiques, l'Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) sont des thèmes où il est très difficile pour les partis politiques de discuter au niveau des valeurs et des principes généraux. L'expert néerlandais affirme qu'il est plus difficile de discuter du système électoral que de la Constitution.Amine Mahfoudh, constitutionnaliste, rappelle que « le dialogue entre les parties politiques est à la base de l'établissement de la confiance ». Il précise que la confiance se fonde sur la clarification des concepts. « La tension qu'on remarque, par moment, peut être dépassée si on approfondissait plus les concepts ». La nature du prochain régime politique suscite beaucoup de débats. Est-ce un débat stérile ? Amine Mahfoudh pense que la nature du régime politique ne peut être saisi, uniquement à partir des prérogatives de la Constituante. Le régime politique a pour base la Constitution et d'autres textes légaux, comme la loi électorale, la loi des partis et des associations, la loi organisant le secteur de l'information, en plus des pratiques politiques. Parfois le texte ne fait pas ressortir une idée précise sur la réalité politique. Dans les textes, Foued Mbazzâ était le président qui avait le plus de pouvoirs en Tunisie. En réalité, il n'avait qu'un rôle honorifique. « On ne peut s'aventurer sur la base d'un texte juridique », prévient le constitutionnaliste. Il appuie son argumentaire par l'exemple américain. « Le régime présidentiel américain n'aurait pas pu réussir si la discipline partisane était la règle », dit-il.
Le critère de différenciation des régimes politiques est celui de la séparation des pouvoirs. Les régimes basés sur cette séparation sont le régime présidentiel et parlementaire. Il n'existe pas de modèle semi-présidentiel. La deuxième règle est celle de l'équilibre des pouvoirs. Dans le régime présidentiel l'équilibre est négatif. Dans le régime parlementaire, cet équilibre est positif.
Dans le régime présidentiel le pouvoir exécutif est entre les mains du président qui puise sa légitimité dans le peuple. Le parlement est indépendant du président. Lui aussi tire sa légitimité auprès du peuple. Les auteurs de la Constitution américaine ont assuré la séparation des pouvoirs pour barrer la route au despotisme. Le président n'a pas le droit de prendre une initiative législative et ne peut dissoudre le parlement. L'équilibre entre les pouvoirs se trouve donc assuré.
Pour le régime parlementaire, le modèle est celui du Royaume Uni. Il n'est pas le résultat d'un texte, mais d'une maturation qui a duré 8 siècles et qui remonte à 1215. Le vote est majoritaire, uninominal à un tour. Le parti au pouvoir bénéficie d'une majorité absolue. Le Premier ministre est celui qui dispose de cette majorité. Ce n'est pas forcément le premier parti. Dans les dernières élections, le parti libéral aurait pu s'allier au parti travailliste. Les Conservateurs, bien que premiers, n'auraient pas pu gouverner. Dans le système politique anglais, ce sont les partis qui commandent. Dans d'autres régimes parlementaires, certains pouvoirs ont été laissés au président. C'est une manière d'éviter l'absolutisme. Le régime semi-présidentiel a été théorisé par Maurice Duverger.
Pour les régimes sans séparation de pouvoirs, on distingue le régime d'assemblée suisse. Là la théorie de Montesquieu a été contredite. En Suisse il n'y a pas de pouvoir exécutif, mais une instance exécutive. Par ailleurs, les régimes ne reconnaissant pas l'Etat de Droit, existent depuis le 5ème siècle avant Jésus Christ. Ils accordent tous les pouvoirs, à l'armée ou à un parti tel le parti Communiste Chinois. Enfin, il ne faut pas oublier les régimes totalitaires à essence raciale, comme le Nazisme, ou religieuse comme l'Iran et l'Afghanistan ou de classes comme la Russie. « Toutefois, le monde évolue vers la mondialisation des valeurs démocratiques », affirme le conférencier. Il rappelle que la Révolution était une réaction contre l'absolutisme. Certains refusent le régime démocratique. « La confiance s'édifie à travers la maîtrise des concepts, la modestie et le dialogue. Il est nécessaire de réfléchir avant d'écrire ».
Il est utile de rappeler que les Tunisiens sont d'accord sur ce qu'ils ne veulent pas et divergent sur ce qu'ils veulent.
Le dialogue reprendra-t-il ? La recherche du consensus sera-t-elle la règle ? Beaucoup d'initiatives ont été prises comme celle de l'UGTT ou du Parti Républicain et Al-Massar. Qu'en sera-t-il ? Les prochains jours nous le diront.