Peut-on « neutraliser l'Etat » ! A écouter le grand juriste du Droit public, Carré de Malberg... si ! Notre maître avait coutume de définir l'Etat comme « une personne morale » donc, parfaitement «neutre» et pour s'amuser encore plus, en usant de l'humour des hommes de loi, il ajoutait : «Je n'ai jamais dîné avec l'Etat » ! Mais, l'Etat a des représentants, notamment, les membres du gouvernement et ceux-là ne sont pas obligés d'être « neutres » parce que désignés par leurs partis vainqueurs des élections dans les hautes charges qu'ils occupent. Demander à des ministres de souveraineté d'être « neutres » c'est demander la lune, même dans les démocraties les plus anciennes. M. Hollande, par exemple, après avoir remporté la présidentielle françaie, a nommé un ministre de l'Intérieur, parmi les leaders de son parti : M. Manuel Valls. Pour revenir à notre « pro-consulaire » la Tunisie, Bourguiba, après son retour triomphale, le 1er juin 1955, il n'a pas mieux fait que de nommer feu Taïeb M'hiri, pratiquement n°2 ex-aequo du Néo-Destour avec feu Béhi Ladgham, à la tête du ministère de l'Intérieur. Par conséquent, demander, aujourd'hui, la « dé-mission » de M. Ali Laârayedh du ministère de l'Intérieur parce qu'il est « Nahdhaoui » est tout à fait irréaliste et inconcevable tant que la Nahdha dirige le gouvernement, même provisoire. Ceci n'empêche pas le Premier ministre s'il le juge utile d'opérer un remaniement ministériel. Mais dans ce cas, le remaniement doit aller en profondeur pour toucher un certain nombre de portefeuilles où l'on fait du sur place depuis bientôt un an. En fait, et de tout temps, la question de la sécurité publique a été ultra sensible. Beaucoup de politistes donnent la primauté à la sûreté dans la vie sociale parce qu'elle conditionne tout le reste à savoir le développement et le bien être collectif. Alexis de Tocqueville auteur de la « démocratie en Amérique » écrivait que si on donnait le choix aux citoyens entre la liberté, la justice et la sûreté, ils choisiraient la sûreté en premier lieu, puis la justice et enfin, la liberté ! Ce que nous vivons, en ce moment, au niveau de la sûreté et, non seulement, pénible mais il risque de porter atteinte à l'image essentielle de l'Etat : sa pérennité. Faut-il rappeler qu'en latin le mot « Etat » était traduit par « Status » qui veut dire « debout », donc, impérissable et continu. Les gouvernants passent l'Etat reste. Mais, pour cela, il faut que la société arrive à combiner la liberté, de vivre, d'entreprendre, de circuler et de penser, avec la loi. Il faut que la société soit aussi active et productive pour permettre le partage du bien-être équitable et non la pénurie et la pauvreté. Alors, dans une sorte de contrat social, depuis l'état communautaire primitif, l'Etat s'est doté des moyens de coercition pour établir la paix civile et éviter la violence des plus forts. C'est ce qu'on désigne par la « violence légale » dont l'Etat est le seul détenteur légitime et qu'il ne peut mettre en œuvre que conformément à la loi. La Tunisie, aujourd'hui, vit un cycle apparent de dépérissement progressif de l'Etat du fait de la Révolution qui a voulu changer la nature de « l'Etat » précédent qui était totalitaire et corrompu, et du fait, des élections du 23 octobre 2011, qui ont porté les « Islamistes » au pouvoir et qui veulent à leur manière, changer la « culture » de l'Etat précédent, basé sur la modernité. Tout cela aurait pu bien fonctionner si la société était restée active et productive comme le prescrivaient les antiques, de Platon à Aristote et les modernes de Adam Smith à Samuelson. Malheureusement, cette transition a consacré tout son temps, et elle continue, au changement culturel et identitaire pour consolider le pouvoir islamique au détriment du changement démocratique pluriel. Par ailleurs, l'économie a lâché, parce qu'on n'a pas eu le courage de prendre le taureau par les cornes et déculpabiliser le tissu économique producteur. Regardez l'UTICA elle est encore en pleine hibernation et on entend à peine sa voix parce qu'elle a subi de plein fouet la « culpabilisation » de ses agents de production et de croissance que sont les hommes d'affaires. Pourtant, c'est elle qui devrait peser le plus en période transitoire marquée par le recul de la production de l'investissement et du climat des affaires en général. L'accumulation de la paupérisation générale et l'exigence sociale aigue dans les villes et les régions de l'Ouest et du Sud, a ajouté à la fermentation identitaire poussée par l'Islam politique radical et violent. La frustration du présent et l'angoisse du lendemain augmente le coefficient « fracture » dans la société aussi. Ce qui se traduit par une violence potentielle possible pour n'importe quel incident même mineur. En plus, la « culpabilisation » de la police nationale n'arrange pas les choses. « L'ordre » n'est plus perçu dans sa légitime sacralité.... Résultat, la police ne veut pas s'impliquer et exercer son rôle de détenteur de la violence légale de peur d'être à nouveau culpabilisée. Alors, que faire !... Continuer à incriminer injustement le ministre de l'Intérieur à qui on veut porter le chapeau de tous les malheurs actuels de ce pays, alors qu'il est lui-même fragile et hésitant. Ou aller au fond des choses ! Oui, le fond des choses c'est de mettre fin le plus vite possible à cette transition interminable, de jouer la règle du jeu démocratique et de rétablir l'autorité de l'Etat. L'Etat doit rester le seul détenteur des moyens de coercition, des armes, et de la violence légale. Toutes les autres formations parallèles doivent être dissoutes, faute de quoi nous allons vers la libanisation où chaque parti aura « sa ligue de protection de la Révolution » qui ne sont que des milices illégales dans un Etat de droit ! Au fait, qui « protège » la Révolution et qui « complote » contre l'Etat : l'Institutionnel ou le hors-la-loi. Nous y reviendrons.