L'histoire de la peinture en Tunisie est pleine de mouvements, de contradictions et de paradoxes. Elle est certes marquée par la domination de la mouvance orientalisante issue des premières apparitions du phénomène orientaliste en Tunisie. Très tôt, des expressions autres, contre ou parallèles à l'orientalisme sont apparues. Ces expressions signifient les différenciations stylistiques qui se sont développées dés le début de la naissance des arts plastiques contemporains en Tunisie.
Aujourd'hui, il faudrait mettre l'accent sur des expressions appartenant à certains peintres tunisiens qui ont reflété un esprit novateur, contestataire par rapport à la peinture académique ou orientaliste en choisissant des styles figuratifs contemporains critiques comme moyen d'expression privilégié.
Donc, il nous faudrait pour mieux comprendre la complexité du développement de l'art en Tunisie de traiter et de mettre en valeur la problématique de la figuration dans la création contemporaine dans ses dimensions historiques et esthétiques notamment entre les années 80 et 2010. Ceci nous aidera à tracer toutes ces différentiations artistiques qui sont apparues dans notre pays depuis le début du XXème siècle en dessinant les contours de l'apparition d'une tendance que nous nommons la « Figuration Libre ».
L'adoption de la Figuration Libre en Tunisie est fortement présente tout en restant particulière . L'influence ou la parenté de la tendance « Figuration Libre » développée en France existe surtout au niveau de la liberté totale dans la composition, la distribution des couleurs d'une manière fantaisiste, l'esprit enfantin et de bandes dessinées mais elle reste particulière aux niveaux du thème, des références ou d'inspiration. Elle est en relation étroite avec l'identité nationale. Elle ne provient pas seulement de l'attachement aux expressions contemporaines issues de France mais reflète aussi l'attachement des peintres tunisiens aux expressions traditionnelles issues d'un environnement d'origine paysanne et populiste et cela veut dire que la figuration libre en Tunisie garde une autonomie et une spécificité qui est en fait d'ordre historique, tel que le retour à la peinture naïve et à la peinture sous-verre du XIXème qui ont constitué le soubassement particulier de toute la représentation figurée dans l'art en Tunisie. Même le cerne dans la Figuration Libre, la couverture des surfaces par des êtres, des formes et des signes ne sont pas venus uniquement d'une influence de la « Figuration Libre » de France, mais aussi d'une influence interne, nationale relevée surtout d'une influence indirecte de la peinture sous-verre.
A cet égard, l'origine de la figuration libre en Tunisie est double. C'est-à-dire que les peintres figuratifs libres sont arrivés à susciter des nouvelles vocations artistiques et esthétiques par le biais d'une certaine alliance entre le langage pictural occidental contemporain et l'héritage pictural traditionnel tunisien tels que la présence iconographique des mosquées antiques, des fortifications médiévales, la mer bleue, la lumière distinctive du rivage méditerranéen de la Tunisie, l'architecture typique du Maghreb, les compartiments pittoresques, la « Chéchia » ce chapeau traditionnel tunisien, l'ambiance tunisienne (mariage, pêche, repas...), les instruments musicaux arabes, les chevaux de race, tout cela traité d'une manière simple, directe, voire naïve.
En fait, le plus important est d'une part, cette vigueur dont les peintres tunisiens libres se chargent pour se démarquer de la fonction imitative de l'art et la liberté qu'ils possèdent lorsqu'ils déforment les formes organiques, humaines et animales pour recomposer des figures monstrueuses extraordinaires, traits caractéristiques de la figuration libre telle que nous l'avons rencontré chez beaucoup d'artistes figuratifs libres en Europe. Tout en sachant que l'acte créateur n'est plus un acte purement inventif, qui refuse les influences et l'imitation de formes antérieures et c'est le cas de l'art pictural en Tunisie qui de 1980 jusqu'à nos jours, s'inspire du modèle international tout en restant incontestablement et avant tout, national et même local.
Il n'est plus question en conclusion de nos débats, de légitimer notre recours à la « Figuration Libre » contemporaine pour la fonder. Les exemples qui en ont fait partie s'en chargent. Mais dans le but ultime de mettre en valeur la démarche artistique contemporaine en Tunisie et en même temps démontrer les avancées et les reculs de la figuration générale tout au long de notre préhistoire, de notre histoire et de notre contemporanéité.
La figuration malgré ses étapes, n'a jamais réellement disparu comme perspective expressive des hommes en Tunisie et ceci depuis le néolithique le plus ancien (depuis 12 000 avant JC) jusqu'à nos jours.
Aujourd'hui et malgré les évanouissements passagers, la figuration réaffirme sa présence et surtout sa promesse d'avenir. La figuration libre n'est pas réaliste, elle n'est pas impressionniste, elle n'est pas académique. Elle est justement libre, une liberté dont l'art a besoin aujourd'hui.
Le fourmillement actuel des formules et des approches picturales anime la scène artistique tunisienne. Il n'enlève en rien à l'importance de la figuration libre artistique et va jusqu'à réaffirmer l'ancrage profond de la figuration en général dans notre réalité historique, sociale et culturelle dans notre pays.
Les formules nombreuses d'art plastique contemporaines comme celle des expériences les plus osées de la peinture du hasard, de la projection gestuelle de peinture ou des collages, de la calligraphie arabe ressuscitée de celle du vide pictural, veulent toutes se débarrasser pour raison d'esthétisme moderniste de la figure.
La figuration libre résiste à tous les appels des sirènes pour garder l'espoir d'une figuration porteuse d'humanisme. La figuration artistique, synonyme d'éternité est au-delà de toutes les esthétiques surtout contemporaines.
Même oubliée pendant des siècles elle ressurgit comme une naissance, comme un cycle nouveau de la figure, de l'image et l'art ne peut plus exister sans image, sans figure.
Les exemples des peintres tunisiens ayant pratiqué la figuration libre sont nombreux. Nous pouvons citer parmi eux, Abderrazak Sahli, Gouider Triki, Halim Karabibène... Refai Karima (Historienne de l'art)