Ceci n'est pas tout à fait un bilan objectif de l'année culturelle 2012. Nous y avons reproduit des faits et surtout des impressions. Convenons-en : les déceptions sont plus nombreuses que les satisfactions dans cette rétrospective pas du tout neutre ! Mais si quelqu'un y trouve à redire, il n'a qu'à nous livrer sa lecture plus réjouissante de la saison culturelle 2012 ! L'étau salafiste En 2012, le paysage culturel tunisien fut incontestablement marqué par l'implication de l'extrémisme religieux dans les manifestations artistiques. Le Ministre de la Culture y trempa lui-même quelque temps et se rattrapa par la suite. Certes, il condamna les violences « intégristes » visant les artistes lors de leur manifestation organisée à l'occasion de la Journée Mondiale du Théâtre ; mais dans les événements tragiques du Palais d'El Abdelliya, ses premières positions furent très proches de celles des salafistes qui ont assailli et saccagé l'espace. S'en est-il réellement excusé ? Cela reste à voir. Mais il faut reconnaître qu'en rouvrant très vite le Palais aux festivités musicales, il s'était racheté à sa manière. M. Mehdi Mabrouk porta plainte plus tard contre les groupes religieux qui, à Menzel Bourguiba, perturbèrent violemment une soirée théâtrale de Lotfi Abdelli. Qu'en est-il de cette plainte ? On n'en sait rien, et encore moins de la plainte déposée par des artistes contre les Ministres de l'Intérieur, de la Culture et des Affaires religieuses après les événements d'El Abdelliya. Toujours à propos d'art et d'extrémisme religieux, l'affaire du film Persepolis continua de pourchasser Nabil Karoui et l'on ne peut pas dire du verdict de ce procès qu'il ait blanchi totalement le patron de Nessma. Le salafisme fit encore parler de lui à l'occasion de la Foire du Livre : on n'oubliera pas de sitôt le nombre impressionnant de publications intégristes exposées par les stands de la manifestation ni des souks parallèles organisées autour de l'espace de l'exposition pour vendre toutes sortes de bondieuseries. En 2012, nous reçûmes en Tunisie de nouveaux prédicateurs et la star du rock islamiste Sami Yusuf : mais l'engouement populaire a entre temps bien faibli pour leurs rengaines respectives. Pour finir, il y a lieu d'évoquer l' « affaire » du doigt de Lotfi Abdelli dans laquelle le Ministre Samir Dilou et le journaliste Lotfi Laamari jouèrent à merveille leur rôle moralisateur. En définitive, la vie culturelle porta elle aussi, en 2012, l'empreinte idéologique en vogue depuis l'émergence et le relatif triomphe des thèses et des partis islamistes. Heureux encore que les théâtres, les cinémas, les galeries d'art et les maisons de la culture ne relèvent pas du Ministre des Affaires religieuses ni du Doyen de la Zitouna ! Les goûts du Ministre d'abord ! Le Festival de Carthage n'eut pas trop à pâtir des incursions salafistes ; il n'en suscita pas moins certains remous et quelques mécontentements. D'abord, les artistes tunisiens maugréèrent pour le peu de soirées que le Festival leur consacrait initialement. Il fallut une pression de leurs syndicats divers et une menace de Saber Rébaï pour que le Ministre concède quatre soirées supplémentaires à nos compatriotes chanteurs. A l'intérieur du pays, certains petits festivals annulèrent pour des raisons sécuritaires quelques uns de leurs programmes. Côté rentrées financières, seul l'amphithéâtre de Carthage enregistra de vrais records, notamment à l'occasion des concerts de Saber, de Ragheb Alama et de Najoua Karam. Mais la désorganisation fut comme d'habitude au rendez-vous et les journalistes culturels ne furent pas mieux accueillis à Carthage cet été que durant les étés précédents. Des regrets aussi pour les très nombreux inconditionnels de Nancy Ajram et d'Elissa : M. Mehdi Mabrouk ne partage pas leurs goûts. Comme il a juré que les deux chanteuses ne se produiraient pas à Carthage à moins de passer sur son corps, le comité organisateur préféra lui laisser la vie sauve et ne les invita pas. Les JCC perdent du prestige Les Journées Cinématographiques de Carthage (24ème session) animèrent Tunis comme au bon vieux temps. Mais les villes de l'intérieur continuèrent à s'abstenir de cinéma. Elles s'y étaient faites depuis que leurs salles de projection se transformèrent en centres commerciaux, en gargotes ou en ruines ! A Tunis, néanmoins, la fête fut gâchée plus d'une fois : la soirée d'ouverture fut un fiasco ; il y eut le scandale « technique » provoqué par le film de Nouri Bouzid, l'absence de grandes figures cinématographiques mondiales, la relative modestie des films programmés, et les récurrents problèmes d'organisation et d'accueil. Le palmarès ne fit pas trop de mécontents, mais les longs métrages primés ne figuraient pas tous parmi les meilleurs de la session. En revanche, on apprécia l'engouement retrouvé pour le 7ème Art, notamment au sein des jeunes générations. Les jeunes cinéastes firent eux aussi parler d'eux : leurs courts métrages et leurs documentaires ne passèrent pas inaperçus. Toujours est-il que tout le monde s'accorde à reconnaître que les JCC perdent de leur superbe depuis plusieurs années au profit de festivals autrefois mineurs comparés au nôtre ! Cette perte de prestige fera-t-elle enfin méditer nos hauts responsables culturels. Mais à quoi bon y réfléchir si le vrai redressement ne suit pas ! Année « blanche » Bilan final : aucune pièce de grande qualité, aucun chef- d'œuvre littéraire, cinématographique, pictural, ni musical ! Pour nos meilleurs réalisateurs dramatiques, Fadhel Jaïbi, Ezzeddine Gannoune, Noureddine Ouerghi, Taoufiq Jebali, 2012 semble être leur année sabbatique. Mis à part Lotfi Abdelli qui continue de cartonner avec son unique one man show « Made in Tunisia », aucun autre acteur ne s'illustre sur les scènes. Mohamed Ali Nahdi (Ezzmergui) et Sameh Dachraoui (El Karroussa) recueillent un succès très mitigé. Pour tout dire, année blanche là aussi, ou presque ! Des artistes nous quittèrent en 2012 : tout récemment, le plasticien Mahmoud Larnaout, avant lui l'autre peintre Youssef Reqiq, l'acteur Jamil Joudi, le comédien égyptien Youssef Daoud, la chanteuse Hassiba Rochdi, la diva Warda el Jazaïriya, l'immense Donna Summer et le génial compositeur égyptien Ammar Chérii ! En même temps, de nombreuses « Voices » ont éclos pour usurper et défigurer les productions des grandes vedettes arabes et mondiales, sinon pour nous gratifier de quelques mascarades du genre « Naamellek el boukhoukhou » !