« La vengeance est un plat qui se mange froid ». Nous ne pensons pas que les hommes d'Al Massar ignorent ce dicton. En recevant jeudi dernier, une délégation de Nida Tounès, ils ont accueilli leur principal hôte, en l'occurrence Béji Caied Essebsi, avec un bouquet de fleurs de narcisse. Certes, les accolades échangées lors de cette réconciliation ainsi que les déclarations données de part et d'autre après la rencontre, relèguent au second plan le geste hospitalier qui n'en cache pas moins une envie revancharde bien vivace. En effet, offrir du narcisse à Si Béji en personne relève plus de l'affront rancunier que de la généreuse courtoisie : tout d'abord, cela reviendrait à dire au fondateur de Nida Tounès : « c'est tout ce qu'un demi parti peut t'offrir ; nous avons les moyens d'un mouvement modeste et pas ceux d'un parti richissime comme le tien ! » ! Mais surtout, cela signifie également : « A un chef de parti imbu de sa personne, quoi de mieux qu'une évocation allégorique du célèbre personnage mythologique trop amoureux de son image. ». Le sourire ambigu que l'ex-Premier Ministre arbora en recevant le cadeau des mains de M.Ahmed Brahim en dit long sur son désappointement et sur l'effet de douche bien écossaise ressenti devant ses collaborateurs et devant les caméras qui suivaient le geste d'offrande. Des glaïeuls sur la tombe de « l'Union » ? La chaude bise échangée avec Salma Baccar était-elle pour dissiper les frissons de Si Béji? Possible, mais une fois sortis du siège d'Al Massar, ce dernier et ses collaborateurs se sont-ils refusé à aller trop loin dans le décryptage du message floral adressé à leur intention par le « demi parti » d'Ahmed Brahim ? Après cet incident « mineur », le malentendu s'aggravera-t-il entre les deux alliés d'hier ou bien Nida Tounès encaissera-t-il stoïquement l'ironie assassine de son amphitryon d'un jour ? Il est vrai que M. Ahmed Brahim mit l'accent dans ses déclarations à la télévision sur la nécessité des coalitions pour atteindre un certain équilibre entre les forces politiques concurrentes, mais il évoqua au passage le rapprochement entre Al Joumhouri et Le Front Populaire. Ce qui revenait à remuer le couteau dans la plaie au sujet des différends récents entre Nida Tounès et le parti d'Ahmed Néjib Chebbi, survenus, en apparence, après les propos dénigreurs d'Essebsi à l'encontre d'Al Massar ! Le désistement d'Al Joumhouri menace en effet de briser un rêve cher à Si Béji, à savoir la constitution d'un puissant front électoral baptisé avant sa naissance « l'Union pour la Tunisie ». Les fleurs de narcisse offertes au Président fondateur de Nida Tounès annoncent-elles les glaïeuls à poser sur la tombe de cette grande coalition, manifestement mort-née, d'après les premiers signes donnés par le froid qui caractérise actuellement les relations entre Nida Tounès et Al Joumhouri ? Nectars et venins Le parti de Caied Essebsi organise le 14 janvier prochain sa propre manifestation pour commémorer le deuxième anniversaire de la Révolution ! De son côté, Ahmed Néjib Chebbi envisage de célébrer l'événement avec le Front Populaire. S'agit-il désormais d'un « couple en instance de divorce » ? Nous ne sommes pas au bout de nos surprises, peut-être ! Car on ne sait pas encore la position d'Al Massar que nous sentons plus proche d'Al Joumhouri que de Nida Tounès, malgré les raccommodements de jeudi dernier. Verra-t-on le parti d'Essebsi courtiser d'autres grands partis ? Quelques uns des hommes forts du Nida semblent en tout cas tâter le terrain d'abord du côté d'Al Aridha de Hechmi Hamdi, ensuite du côté d'Ennahdha. Mais jusqu'à présent, les deux flirts ne débouchent sur rien de palpable. Bien au contraire : l'aile dure d'Ennahdha a réaffirmé son intransigeance quant à un possible rapprochement avec les « résidus recyclés » du RCD., et ce malgré les déclarations conciliantes de Rached Ghannouchi suite à l'appel du Président Marzouki pour l'organisation d'un dialogue national sans exclusive pour sauver l'Etat et le pays. Nida Tounès se laissera-t-il décourager par de telles déconvenues ? Tentera-t-il sa chance de nouveau avec Al Joumhouri lequel doit s'expliquer de manière plus convaincante cette fois au sujet de sa « rupture » avec le parti d'Essebsi, parce que l'alibi de l'humiliation d'Al Massar est officiellement tombé à l'eau depuis la réconciliation entre Si Béji et M. Ahmed Brahim. A quel jeu s'adonne finalement le parti d'Ahmed Néjib Chebbi ? S'est-il définitivement retourné contre le grand allié de ces derniers mois ? Bascule-t-il en direction de l'extrême gauche ou vers l'extrême droite ? En moins d'une semaine, les observateurs l'ont senti tour à tour ami du Nida, proche d'Ennahdha et allié du Front Populaire ! Il faut le faire ! Une telle versatilité témoigne aussi, hélas, d'une fragilité extrême et d'un pouvoir de décision très fluctuant. Certes en politique, la mentalité sédentaire est très peu recommandable; mais à force de goûter à tous les nectars, on risque un jour de butiner dans un champ de fleurs vénéneuses! Toutes les cures de désintoxication pourraient alors s'avérer complètement vaines !