En 1763, Voltaire écrivait sa célèbre « Prière à Dieu », dans laquelle il exhortait tous les humains à davantage de tolérance, de fraternité et d'amour pour faire régner la paix sur terre ! Aujourd'hui, 350 ans après sa publication, cet appel éminemment humaniste lancé par le philosophe déiste reste toujours d'actualité, et il l'est d'autant plus pour les populations musulmanes que certains fanatiques obscurantistes tentent de diviser à propos de questions très secondaires relatives à leur foi et à leurs pratiques rituelles. Qu'aurait-il écrit s'il était un Tunisien contemporain de la polémique sur l'assida du Mouled déclenchée, depuis quelques jours, par certains adeptes du wahhabisme, hostiles à toute commémoration « culinaire » de la naissance du prophète Mohamed. En dépit du caractère dérisoire de la controverse, nous nous sommes efforcés d'imaginer le texte qu'aurait rédigé à cette occasion l'auteur du Traité sur la Tolérance. Il va sans dire que cette liberté que nous nous sommes accordée ne nous autorise nullement, loin s'en faut, à nous placer à la hauteur littéraire de ce philosophe des Lumières, ni à prétendre l'égaler en matière de verve sarcastique. « Dieu le Bon, Dieu le Miséricordieux, Dieu le Pur qui aime les belles choses, faîtes que les fanatiques de chez nous, qui prétendent connaître et comprendre mieux que tous les Musulmans vos préceptes et les recommandations de votre prophète, veuillent bien nous concéder ce droit de préparer et de consommer la délicieuse, la succulente assida de nos ancêtres. Seigneur, faîtes au contraire qu'ils s'en prennent aux vendeurs de pin d'Alep et de fruits secs afin de les obliger à baisser leurs prix vertigineux ! Ah ! Si seulement tous les Tunisiens pouvaient s'offrir à bon marché du zgougou, des amandes, des noisettes et des pignons ! Si seulement nos wahhabites sévissaient contre la fausse pénurie du lait de chez nous et se mobilisaient contre sa vente conditionnée chez les commerçants! Dieu Le Grand, l'assida nous unit, les wahhabites nous divisent ! Faîtes, O Maître du monde, que cette crème qui marie si harmonieusement le blanc et le noir, fédère toutes tes créatures humaines ! Puissent les mets de cette douceur réunir tous les peuples autour d'un banquet universel ! Qu'importe si les incroyants s'y joignent, les beautés de ce monde ne sont l'apanage d'aucune communauté! Partager est un acte de charité fraternelle! Discriminer est un lâche forfait vaniteux et égoïste ! Cependant, Seigneur de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps, si l'exclusion s'impose, faîtes qu'en soient frappés les tyrans, les bellicistes, les menteurs, les envieux, les faux dévots, les racistes, les fanatiques, les esclavagistes, bref, tous ceux qui veulent s'accaparer la lumière de ton soleil, l'immensité de ton univers, les richesses de tes terres et de tes mers, et qui osent rationner à leur gré ton infinie bonté et ton incommensurable mansuétude. Dieu, ramenez à la raison les hooligans de la foi, les vandales de toutes les religions et de toutes les confessions, les barbouzes de la vertu et les clochards de la chasteté. Ils nous empoisonnent la vie avec leur pollueur brigandage des consciences. Inondez leurs cœurs de cette foi humble et conciliante que vous savez si bien répandre parmi les hommes ! Apprenez-leur, Dieu l'Eternel, à aimer ; ôtez de leurs âmes toute propension à la haine et au meurtre ; corrigez leurs déviances ; et surtout, surtout, rappelez-leur, que c'est Vous qui avez créé « ces atomes appelés hommes » dont vous maîtrisez seul la condition et le destin ! »