«Les ministères de souveraineté doivent être neutres», clame Mohamed Bennour porte-parole d'Ettakatol «La voie actuelle ne mènera pas au consensus», prévient Abderrazak Hammami, secrétaire général du Parti du Travail Patriotique et Démocratique «L'attitude de l'opposition démocratique est décevante», regrette Jawhar Ben M'Barek, coordinateur de Dostourna «La doctrine de Béji Caïd Essebsi reprise par Hamadi Jebali doit être prise par Ali Larayedh», conseille Abdelwahab El Héni, secrétaire général du parti Al-Majd Ennahdha lors de son dernier Conseil de la Choura a désigné Ali Larayedh, par une confortable majorité pour succéder à Hamadi Jebali à la tête du Gouvernement provisoire. Au départ il y avait quatre candidats postulant pour suppléer le chef du Gouvernement démissionnaire : Mohamed Ben Salem, Ali Larayedh, Noureddine B'Hiri et Abdellatif Mekki. Sur les 150 membres du conseil de la Choura, plus d'une centaine ont participé à la réunion alors que les membres de l'étranger et du sud n'ont pu répondre présents. Ali Larayedh, 57 ans, a été choisi. Le nouveau chef du Gouvernement doit employer tout son savoir faire pour sortir le pays d'une grave crise politique. Pourra-t-il réussir dans sa mission ? La transition démocratique gagnera-t-elle en vitesse et en consistance ? Après l'assassinat de Chokri Belaïd, saura-t-il redonner espoir aux Tunisiens et produire le choc positif qu'avait espéré Hamadi Jebali dans son initiative de former un Gouvernement de compétences nationales ? Mohamed Bennour, porte-parole d'Ettakatol, a déclaré au Temps, avant la réunion du bureau politique de son parti, que « Ali Larayedh est un militant politique rodé. L'essentiel est qu'il forme un Gouvernement consensuel et qu'il sache retenir les leçons de l'expérience vécue par le Gouvernement précédent. Dans cette expérience, il y a des choses positives ainsi que des erreurs reconnues par Hamadi Jebali. Il ne faut pas qu'il soit un chef du Gouvernement d'Ennahdha, mais un chef de Gouvernement de tous les Tunisiens. Il a plusieurs problèmes urgents à résoudre, comme le dossier sécuritaire, la cherté de vie, les hommes d'affaires interdits de voyage, l'emploi... Les questions fondamentales seront résolues après les prochaines élections avec un programme à long terme. Ce gouvernement doit établir une feuille de route dans le cadre d'un dialogue national. Il faut de grandes compétences pour les départements de l'industrie, l'environnement...Les ministères de souveraineté doivent être neutres, pour mériter la confiance de l'opinion publique. C'est une condition d'Ettakatol pour entrer au gouvernement ». Abdelwahab El Héni, secrétaire général du parti Al-Majd, n'est pas optimiste. Il considère qu'Ennahdha « a manœuvré pour s'imposer. Il y avait un besoin chez Rached Ghannouchi pour qu'Ennahdha domine la situation politique. Nous revenons à la case départ. Les déclarations de Rached Ghannouchi étaient adressées à Hamadi Jebali et au prochain chef du Gouvernement en disant que celui qui quitte Ennahdha perd toute couverture. Il veut imposer la primauté du parti par rapport à l'Etat. Ces déclarations dénotent que l'unité du parti passe avant tout, alors que c'est l'unité de l'Etat qui devrait primer à tout intérêt. Dans toute la crise il n'a vu que l'unité du parti. C'est l'intérêt partisan qui prime sur l'intérêt national, au risque que la crise se prolonge avec des nominations qui se font pour l'allégeance au chef. C'est très dangereux, surtout que nous ne sommes plus au lendemain du 23 octobre. Nous sommes dans un climat de morosité. La situation économique est difficile. La situation sécuritaire est très grave. Le prochain Gouvernement ne bénéficiera jamais de délais de grâce. Le tour de table est difficile à faire. L'opinion publique sera plus exigeante. Ali Larayedh est le mieux placé selon Ennahdha. Au niveau de l'opinion publique, sa personne est liée aux échecs. Son bilan est mitigé. J'espère qu'il ne laissera pas le parti décider pour lui. C'est au chef du Gouvernement de monter son équipe, comme un sélectionneur national. Certains ministres étaient incapables de cacher leur dépression en sachant qu'ils vont partir. Tout le défi est qu'Ali Larayedh comprenne la leçon et évite les erreurs du passé. Le danger est que l'organe Majless Choura décide qui sera Premier ministre. L'impératif pour les prochains ministres est de suspendre leurs activités partisanes. La doctrine de Béji Caïd Essebsi reprise par Hamadi Jebali doit être prise par Ali Larayedh. Nous sommes en face d'un leader politique Rached Ghannouchi, capable de tout faire échouer pour faire passer sa ligne. Je pense qu'Ali Larayedh est capable de s'imposer au sein d'Ennahdha. Au niveau de l'opinion politique c'est autre chose. Il a échoué à Siliana, le 9 avril, les mausolées, assassinat de Chokri Belaïd. Il a échoué en laissant faire son propre parti dans les nominations dans les régions. Il n'a pas de stature internationale. Il a des qualités pour réussir, mais il a des blocages et des faiblesses ». Abderrazak Hammami, secrétaire général du Parti du Travail Patriotique et Démocratique et membre de l'Union pour la Tunisie, précise au Temps, qu'il y a deux chemins. « Ou on s'oriente vers un consensus réel et sérieux, ou on évolue vers l'affrontement en optant pour la fuite en avant. Le consensus nécessite que ce qu'on n'a pas réussi à faire avec l'initiative de Hamadi Jebali, soit repris. Il faut que le Gouvernement soit loin de la logique des quotas partisans. Il doit traiter la crise, et y mettre fin loin de tout calcul électoraliste. Le congrès de salut national a un grand rôle à jouer et sera d'un grand apport qui permettra d'arriver au consensus, la seule alternative qui puisse sauver le pays. Il devra réunir les partis politiques et les organisations sociales comme l'UGTT et l'UTICA. Les ministères de souveraineté doivent être neutres afin de trouver les solutions nécessaires. Ennahdha semble déterminée à former son gouvernement avec les partis qui lui sont proches. La voie actuelle ne mènera pas au consensus. Nous avons une volonté constructive et privilégions l'esprit du consensus. C'est notre principal message. L'intérêt de la Tunisie est notre principal souci. Nous sommes embarqués sur le même navire qui est en train de chavirer. Ou nous réussissons ensemble, ou nous coulerons ensemble ». Jawhar Ben M'Barek, coordinateur de Dostourna, pense que la décision de nommer Ali Larayedh est « décevante pour plusieurs raisons. Ali Larayedh est l'un des symboles majeurs de l'échec de l'action du Gouvernement. Le reconduire au poste de Premier ministre est un échec. Encore une fois, Ennahdha fait prévaloir l'intérêt du parti à l'intérêt national. Avec cette logique nous allons vers un échec. On ne va pas pouvoir élargir la base du pouvoir. Ennahdha va se retrouver dans une configuration plus restreinte. Entouré par des fragments du CPR, cette équipe gouvernementale, aura une majorité faible. Nous aurons un isolement accru du Gouvernement. Ceux qui parlent beaucoup de la légitimité, vont l'affaiblir. Montplaisir est loin du Bardo. Tout se décide à l'intérieur du Majless Choura d'Ennahdha. Les élus du peuple assument un vote mécanique. L'attitude de l'opposition démocratique est décevante. Elle a saboté l'initiative de Hamadi Jebali, par ses maladresses. Elle a redonné l'initiative à Ennahdha après son isolement consécutif à l'assassinat de Chokri Belaïd. L'opposition a encore une fois commis des erreurs de novices. Maintenant, c'est une crise de toute la classe politique ».