Pratique ancestrale, la poterie est pour les femmes de Sejnene, l'ultime exutoire et l'outil de résistance contre la précarité et la subordination depuis de longues décennies. Si être potière est un héritage de nos ancêtres les Berbères, l'art des poupées en terre cuite date des années soixante. La marraine était une femme stérile, qui pour compenser son mal d'enfant, a commencé à créer «Laaroussa» (poupée ou mariée). Cette femme artisane ignorait sûrement l'aubaine que représentera cette nouvelle «invention» qui fera vivre des centaines de familles depuis. Une tradition est née enrichissant et la mémoire collective et les poches des habitantes de Sejnene. Région démunie, Sejnène est un petit village où la pauvreté sévit sur 50 km. Et pourtant, elles possèdent une source inestimable de richesse : la poterie féminine des poupées. Alors que ces petites merveilles en terre cuite se vendaient à 150 euros la pièce en France, leurs créatrices ne touchaient que 30d (15 euros). Il était temps de rendre à César ce qui lui appartient : revaloriser cette pratique des aïeules, offrir des microcrédits à ces femmes artisanes pour assurer leur autonomie financière et assurer la pérennité de cet art. «Laâroussa» renaît de ses cendres L'aventure a commencé novembre 2010. Un collectif d'associations tuniso-françaises et une pléiade d'artistes se sont réunies pour apporter leur savoir-faire en matière de collecte de fonds, de financement et de créations artistiques. Une conception de l'art tout à fait innovatrice qui allie l'art au social et au développement. Le projet «Laâroussa» est né suite à l'initiative des artistes tunisiens Selma et Sofiane Ouissi. Un projet qui réunit la main d'artiste des potières de Sejnane, à des artistes reconnus. Sollicitée par l'équipe de Dream City de l'époque, la fondation égyptienne Anna Lindh sur les relations méditerranéennes et qui est aussi représentée en Tunisie, a offert la somme de 20 mille euros au projet Laâroussa. Une soixantaine de femmes de Sejnane ont été conviées à participer au projet, chacune avait une tâche précise sur les différentes étapes de la création des poupées. Elles sont appelées à apporter, outre la fabrication de ces petites créatures en terre cuite, leur contribution dans les tâches quotidiennes (ramener de l'eau, de la terre, s'occuper des progénitures, de la nourriture, du thé, etc. En contre partie, elles reçoivent des salaires équivalant le Smic tunisien. Autour de ces ateliers, une nouvelle communauté de femmes potières solidaires voit le jour. Né au cœur des émulsions sociales et la veille du 14 janvier 2011, le projet «Laâroussa», connaît un vif succès depuis trois ans. La coopérative a permis à ces femmes de s'affranchir de la précarité à laquelle elles sont prédestinées de mère en fille. Une solidarité est née au lendemain de journée de travail, de dialogues, d'échanges et de collaboration. Le tout se passe dans une ambiance bonne enfant. Les journées sont jalonnées par les ouvrages artistiques, les festivités rustiques et ancestrales des lieux, les louanges de la terre, les pauses thé et repas en groupe, les échanges enrichissants, le partage des tâches entre trois éléments : feu, terre et eau. Un cluster de «Laâroussa» Toutes ces femmes qui se sont spontanément prêtées au jeu et offert leur savoir-faire, ont pris conscience qu'elles sont les protagonistes d'une péripétie épique qui redonnerait à la poterie de la poupée berbère de Sejnene toute sa splendeur artistique et sa valeur socioéconomique. Une poupée qui ira pérégriner jusqu'à Tokyo. Des expos ventes sont de plus en plus organisées à l'échelle locale, nationale et mondiale afin de permettre à cet art de perdurer, de se professionnaliser et de s'affirmer. Cet art, jadis, intra muros, s'émancipe et entame, grâce à ce projet, ses pérégrinations outre-mer. Ce projet a, effectivement, réussi à marier le savoir faire ancestral et artisanal à l'art contemporain permettant à ce collectif tunisois de l'équipe de Dream City, des associations La Luna, Arlène (Bellevue) et de la soixante des femmes potières de Sejnane de donner vie à une source inépuisable d'argent qui est à la fois moderne et respectueuse de la couleur locale de cette tradition. Les artistes plasticiens, les graphistes, les potières, les musiciens et les danseurs ont permis à la région de Sejnane d'assurer la pérennité et la promotion d'un élément important de développement qu'est la poterie. Cette source de revenu fait de la femme de Sejnane le pilier socioéconomique fondamental dans la famille. Laâroussa dépasse sa dimension artistique vers une valeur plus humaine et économique qui donne ses lettres de noblesse à une pratique séculaire berbère. C'est donc, autour de cet objet humain commun et universel (la poupée) que la fabrique Laâroussa travaille et œuvre pour un développement régional équitable où une synergie entre l'art et le social se laisse entrevoir. On récuse cette notion de Théophile Gautier «l'Art pour l'Art» pour la remplacer par l'art social, l'art engagé qui associe la création artisanale au développement économique, à la citoyenneté et à l'humanitaire. L'association ART RUE, basant son travail depuis novembre 2010, au village de Sejnane, a pour objectif de créer une coopérative en bonne et due forme d'ici 2015.