Par Hamma HANACHI Dimanche. Chaude journée, l'occasion pour aller voir ce que le printemps nous réserve. Direction Sabbalet Ben Ammar : pousse des feuilles, verdure naissante et ciel lumineux. Au B'Chira Art Center , un champ boisé, rehaussé de sculptures modernes. Fête et vernissage d'une exposition fascinante, intitulée «Lâaroussa», jeune mariée ou poupée? Elle est créée d'argile, d'eau et de feu. Affluence des grands jours, des artistes, des amis de l'endroit, des amateurs d'art et des visiteurs curieux venus découvrir le résultat d'une expérience inédite qui a le mérite d'allier la démarche intellectuelle au travail manuel. Février 2011, le groupe artistique Dream City (Tunisie), le collectif La Luna (France), des artistes tunisiens, français, une Béninoise et 63 artisanes potières riches de savoirs et de savoir-faire amorcent dans le village de Sejnane un projet artistique et social pour la création d'une coopérative. Une communauté voit le jour, elle porte le nom de Collectif Lâaroussa. De mars à juin, un groupe d'artistes visuels, de chorégraphes et de musiciennes se mêlent aux artisanes du village pour des actions collectives. Un espace est choisi qui sera composé d'un laboratoire de création, d'un atelier de modelage, d'une crèche, d'une cuisine, d'une zone de cuisson des poteries et d'une salle de projection pour enfants. Le projet est ambitieux, les artistes quittent le monde virtuel pour retrouver le réel et, pour la première fois, les paysannes croisent des créateurs, des penseurs avec lesquels elles conçoivent une opération sur le long terme. Concertations, discussions, histoires contées, dialogues, veillées, brassages d'idées, choix de sujets, modelage, décoration et, à la clé, des œuvres époustouflantes. Juin 2011, journée portes ouvertes sur l'étape 1 du projet Lâaroussa à Sejnane. Juillet-septembre, une exposition dans la Médina de Tunis, l'aventure prend de l'ampleur. Le Centre B'Chira prend le relais, vernissage réussi et commentaires stimulants, une projection du film Moi, je vote de Hichem Ben Ammar est prévu pour la clôture (6 avril). Faute d'espace, c'est clair, on ne pourra pas ici donner une description complète des œuvres exposées. Quelques impressions : une robe géante composée de carreaux en terre cuite assemblés et décorés par toutes les artisanes participantes. Femme allégorie, le buste fier, les bras recueillis, porte-t-elle un bébé, une gerbe d'espoir, le savoir-faire? C'est signé Sonia Kallel avec la Béninoise Tobi Ayédadjou. Sonia est dans la logique de son travail, elle qui développe des œuvres plastiques autour du vêtement-corps. Un collier colossal formé de grosses perles de terre cuite assemblées par Tobi et décorées par les artisanes en hommage à la poupée de Sejnane. Selma et Soufiane, chorégraphes, reproduisent en vidéo, les gestes, tous les gestes des artisanes modeleuses. Où l'on découvre des mains en mouvements, des bras en torsion au début du jour, des doigts qui remuent dans tous les sens, un poignet en rotation au crépuscule, un pouce qui frotte l'air, un bras au dessus de l'autre, la lumière change, des voix sourdes, des bruits de pioches ou de pierres écrasées. Le duo concepteur de Dream City est à l'origine du projet Lâaroussa, il s'est longuement frotté au travail des potières, étudié minutieusement leurs mouvements, assimilé leur gestuelle. Et puis, il y a le documentaire du collectif La Luna, tourné sur place, où l'on aperçoit les potières debout, assises, modelant la terre, soufflant sur les braises, sourires devant la caméra. Il y a Sonia Ben Salah, chanteuse, qui présente une œuvre sonore, superposition de voix et de chants. Ou encore la vidéo intitulée lignes de vie, témoignage, images en fondu enchaîné montrent les femmes debout en ligne horizontale. L'œuvre est de Cécil Thuillier. ••••• Souvenir. C'était, il y a sept ou huit ans, en reportage sur la poterie de Sejnane. A l'entrée du village, un hameau, des femmes assises en bord de route, en malia, fragiles étals de poteries modelées à la main, déposées à même le sol. On demande l'adresse de S. Réponse incertaine et paroles agressives : «Il n'y a pas qu'elle dans le village». Même réponse mordante devant les masures en bois. Expression du malheur! S. est réputée et participe régulièrement au Salon de l'Artisanat, elle est invitée à Paris, Berlin ou Milan pour exposer ses poupées, les villageoises sont jalouses. On finit par la rencontrer dans sa maison, un foulard couvre ses cheveux, elle nous fait visiter son atelier : belles pièces, des ustensiles, des objets de décoration. Pas de poupées : «Je ne pétris plus de figures». La raison : «La religion interdit l'image». ••••• Dimanche dernier, Béatrice Dunoyer responsable de la communication du Collectif Lâaroussa nous apprend que S. participe activement à l'expérience du groupe. Elle s'est réconciliée avec les poupées.