Les gardes nationaux et les militaires traquent depuis quelques jours deux groupes armés djihadistes près de la frontière algérienne, l'un sur le mont Chaâmbi et l'autre plus au nord dans la région du Kef, a indiqué, hier, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Mohamed Ali Aroui. La traque du groupe retranché sur le mont Chaâmbi, la plus haute montagne de Tunisie située à quelques encablures de frontière algérienne, a déjà fait une dizaine de blessés dans les rangs des militaires et des forces de l'ordre. Certains blessés ont perdu des membres, par des mines disposées par le groupe qui compterait une cinquantaine de djihadistes aguerris, dont certains seraient des vétérans islamistes revenus du Nord Mali. La traque de ce groupe considéré comme responsable d'une attaque qui a coûté la vie à un agent la Garde nationale au poste frontalier de Bou Chebka se poursuit, selon une source sécuritaire, depuis décembre dernier. «Le groupe est composé à l'origine de onze combattants. Ces derniers ont ensuite recruté des jeunes de Kasserine et des hommes revenus du Mali», a affirmé la source qui n'a pas précisé l'origine de ces informations. Selon la même source, le groupe est commandé par un Algérien et deux Tunisiens originaires de Kasserine. Un porte-parole de l'armée, le colonel Mokhtar Ben Naceur, a précisé qu'il n'y a pas eu d'affrontements entre les djihadistes et les militaires engagés sur le terrain, indiquant que les tirs nourris entendus dans la zone étaient liés à des opérations de déminage. «Les opérations de ratissage continuent avec usage d'armes légères et de tirs d'obus à distance à des fins de déminage », a-t-il dit, précisant que «les troupes doivent couvrir une zone topographique difficile de 100 km2 dont 60 km2 de forêt ». Le groupe terroriste semble bien armé d'autant plus que les forces de l'ordre ont trouvé des grenades, des engins explosifs de type militaire et artisanal, de la documentation sur la fabrication d'engins artisanaux, des documents codés, des cartes géographiques et des téléphones mobiles ayant servi à passer des appels vers l'étranger. «Préparatifs pour des opérations terroristes de grande envergure » ? L'utilisation des mines antipersonnel, qui constitue une première en Tunisie, montre que les djihadistes sont passés à un palier supérieur. «En Tunisie, le djihadisme armé constituait jusqu'ici un phénomène isolé. Malheureusement, aujourd'hui, les clignotants sont passés du vert à l'orange et le rouge nous menace sérieusement», s'alarme Alaya Allani, professeur d'histoire contemporaine à la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba. Ce spécialiste des mouvements islamistes au Maghreb estime que le nombre de djihadistes est passé de 800 en 2012 à 4.000 actuellement qui «ont dépassé l'étape des menaces verbales pour verser dans les agressions armées». L'expert des politiques sécuritaires et l'analyste militaire Faycel Chérif se montre plus alarmiste. « Les terroristes qui sont très biens entraînés et aguerris tentent désormais de fortifier leurs positions dans des zones montagneuses où il est difficile de les détecter par des hélicoptères ou des drones. Cela prouve qu'ils se préparent maintenant à une véritable guerre ou du moins à des actions terroristes de grande envergure », souligne-t-il. Lors d'une visite effectuée le 26 mars en Tunisie, le commandant de l'Africom (commandement des Etats-Unis pour l'Afrique) a lancé une mise en garde contre la menace d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi) dans la région de l'Afrique du Nord et son implantation en Tunisie. « La menace d'Al-Qaïda dans la région est très sérieuse et il me paraît très clair qu'Al-Qaïda veut s'établir en Tunisie», a averti le général Carter Ham tout en se disant « convaincu » que le gouvernement tunisien était « totalement engagé à empêcher Aqmi de prendre pied en Tunisie ». Pour sa part, le gouvernement dirigé par les islamistes du mouvement Ennahdha a reconnu que la nébuleuse djihadiste représentait une menace accrue dans la région. «Nous ne sommes pas à l'abri du terrorisme, vu nos frontières difficiles à garder et ce qui se passe en Libye. Et puis nous avons une guerre, pas très loin, au Mali », a souligné le Premier ministre tunisien », Ali Laârayedh le 27 mars, le lendemain de la mise en garde lancée par le commandant de l'Africom. Le gouvernement a également annoncé le même jour la mise en place des cellules de crise pour combattre les activités terroristes. «Nous avons lancé la mise en place de cellules de crise pour surveiller les activités terroristes sur la frontière et dans le maquis, face à la montée du courant salafiste extrémiste et à l'existence de réseaux d'enrôlement», a déclaré le ministre tunisien de l'Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, à l'Assemblée nationale constituante (ANC). Absence d'une stratégie globale de lutte contre le terrorisme Aux yeux des experts de la lutte anti-terroriste, la mise en place de ces cellules est tardive et surtout insuffisante pour éradiquer la menace terroriste. «Les efforts de la Tunisie en matière de la lutte contre le terrorisme s'inscrivent dans la réaction plutôt que dans l'action. Preuve en est : tous les groupes actifs qui ont été débusqués ont été découverts par hasard », déplore Faycel Chérif. L'analyste militaire pointe du doigt « l'absence d'une stratégie globale de lutte contre le terrorisme » et des structures adéquates comme un Institut indépendant d'études sécuritaires et stratégiques et d'une agence de sécurité nationale. « Ces structures doivent se composer d'équipes pluridisciplinaires (politologues, religieux, informaticiens, spécialistes du renseignement, experts en sécurité…etc) d'autant plus que la lutte contre le terrorisme ne se fait pas uniquement sur le terrain. Elle est plutôt d'ordre préventif », suggère-t-il. M. Chérif plaide également pour l'éloignement de ces structures chargées de la lutte des luttes politiques et des calculs électoralistes. «Parfois, on a l'impression que l'actuel gouvernement dirigé par des islamistes cherche à ménager les salafistes, toutes tendances confondues, sous prétexte qu'il font partie de la famille islamiste élargie », se désole-t-il. Alaya Allani appelle, quant à lui, à une révision du système sécuritaire national qui passe en premier lieu par l'amélioration des équipements et la formation dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. L'universitaire, qui appelle à la tenue d'un congrès national sur le terrorisme, plaide aussi pour le lancement d'un dialogue avec les djihadistes. « La lutte contre l'idéologie djihadiste doit passer dans une première étape par le dialogue. J'appelle dans ce cadre à des débats télévisés entre les leaders de la mouvance salafiste djihadiste et des spécialistes des sciences théologiques et humaines visant à mettre en exergue la modération et la tolérance qui caractérisent l'Islam. Ainsi, nous pourrons convaincre de nombreux djihadistes de renoncer à leur idéologie. Par la suite, on pourrait recourir aux solutions sécuritaires et à l'application de la loi pour venir à bout des éléments irréductibles », propose-t-il. M. Allani pense, d'autre part, que le redémarrage de l'économie qui aura pour corollaire la création d'emplois reste la meilleure façon de lutter contre le fondamentalisme religieux d'autant plus que les djihadistes sont généralement issus des milieux défavorisés.