La violence politique n'est pas nouvelle, bien au contraire, elle puise son origine dans l'Histoire. En effet, l'histoire de l'humanité et la succession des civilisations sont ponctuées par toutes sortes de violences. C'est dans ce cadre que s'inscrit la journée de samedi dernier de l'Association tunisienne d'études politiques à Hammamet autour du thème la violence politique en Tunisie rehaussée par la présence d'une cinquantaine d'acteurs de la société civile actifs dans la protection des droits humains, la promotion de la non-violence, de la citoyenneté et de la démocratie. Il s'agit de réfléchir sur l'état des lieux de l'action de la société civile et d'explorer les moyens de lutter le plus efficacement possible contre la violence politique en Tunisie. De la violence animale à la violence humaine Yadh Ben Achour a précisé que la violence est au cœur de la création. Celle-ci n'est pas nouvelle. Elle est devenue centrale dans le débat public. De la violence animale, on est passé à la violence humaine. Il n'y a pas une bonne ou une mauvaise violence. Ce phénomène est au service de soi. Cette violence est-elle toujours illégitime ? Evidemment non. Elle est licite lorsqu'elle s'oppose à une autre violence. Dans le Droit pénal d'un Etat, cela s'appelle la « légitime défense ». Dans le monde politique, on considère comme légitime la violence populaire quand elle s'exerce contre un régime répressif, despotique, dictatorial. Mais quels sont les critères pour légitimer ou délégitimer cette violence s'interroge le doyen Ben Achour ? L'ordre politique, assimilable bien souvent à l'Etat, n'exclut pas la violence. En effet, la brutalité n'est pas éradiquée de nos sociétés. De plus, l'Etat fait violence à l'homme, qui doit annihiler sa liberté naturelle et donc se faire violence en réduisant l'assouvissement irréfléchi de ses passions. Si l'ordre politique n'exclut pas la violence, c'est parce qu'il est lui-même violent. Ainsi, il peut violer les droits d'un individu, il peut instaurer l'inégalité et être la cause de guerres et donc parfois à l'origine de la barbarie. Cette violence est fixée en fonction de l'ordre établi. On légitime lorsqu'elle restaure l'ordre. Le droit pénal est une violence restauratrice. Est-ce une bonne violence ? Mais souligne le Professeur Ben Achour, il y a une violence protestataire dirigée contre l'ordre social, le régime politique en place, ou simplement contre les représentants de l'Etat et les forces de l'ordre. etc. La violence a donc toujours existé, il apparaît avec évidence qu'elle nous est devenue intolérable. Est-ce parce qu'elle signe l'échec de la civilisation, processus à l'issue duquel nous pensions nous en débarrasser ? Une société qui autorise la violence n'est pas civilisée et par conséquent elle n'est pas démocratique comme en témoigne l'assassinat du syndicaliste Farhat Hached, le 5décembre 1952, par la « Main rouge », organisation armée favorable à la présence française en Tunisie. 60 ans après, son fils Noureddine Hached Président de l'institut Farhat Hached appelle à ouvrir ce livre du passé, de fournir les éléments qui permettront sereinement de regarder la vérité, de la juger. On dispose dit-il d'assez d'éléments pour établir que cet assassinat a été le fait d'une décision politique française derrière le paravent de la Main rouge. C'est le premier assassinat politique en Tunisie.». La montée de la violence après le 23 octobre 2011 La révolution est elle-même, comme toute révolution, une forme de violence, même si elle a été relativement pacifique en Tunisie explique Hatem Mrad Professeur de sciences politiques à la faculté de sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. « Cette violence était présente dans la première phase de transition. Il y avait autant de violence dans les agitations et manifestations à caractère économique, social et professionnel (grèves, occupations de bâtiments ou d'entreprises, sit-ins, séquestrations) que dans les manifestations à caractère politique (comme les sit-ins de Casbah 1 ou de Casbah 2). Mais à ce stade, la violence n'était pas dramatique, elle était gérable, même si l'instabilité et la confusion prévalaient. Paradoxalement, c'est à la suite des premières élections démocratiques de l'histoire tunisienne du 23 octobre 2011et l'obtention de la majorité par le mouvement islamiste Ennahdha à la constituante que la violence est montée d'un cran et a même éclaté dans la sphère publique. Une violence contraire à la nature et au tempérament des Tunisiens, peuple habituellement pacifique et modéré. Cette violence a encouragé les différents mouvements rôdant autour du giron islamiste, salafistes, jihadistes et wahabites, à user de la violence dans leurs prêches, actions et manifestations. Ce phénomène s'est accentué avec la création des milices et ligues de protection de la révolution, chargées de perturber les activités des partis. Le seuil extrême de la violence a été atteint à la suite du lynchage d'un militant de Nida Tounès à Tataouine, puis par l'assassinat du leader de gauche Chokri Belaïd. Cette violence ajoute Pr Mrad s'explique par la détermination des islamistes à gouverner encore le pays. C'est une réponse au changement des rapports des forces politiques avec la montée de nouveaux partis comme Nida Tounes et le Front populaire. Elle est liée aussi à l'idéologie et à la philosophie du parti au pouvoir La violence, ennemie de la démocratie « Tout Etat est fondé sur la force », disait un jour Trotski. En effet, cela est vrai. S'il n'existait que des structures sociales d'où toute violence serait absente, le concept d'Etat aurait alors disparu. La violence précise Monji Rahoui député à l'ANC n'est évidemment pas l'unique moyen normal de l'Etat. Cela ne fait aucun doute , mais elle est son moyen spécifique. De nos jours la relation entre Etat et violence est tout particulièrement intime. Depuis toujours les groupements politiques les plus divers à commencer par la parentèle ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. L'Etat consiste ainsi en un rapport de domination de l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de la violence légitime. La révolution tunisienne a été relativement pacifique. Mais après les élections du 23 octobre, les défenseurs du modèle islamiste semblent vouloir imposer coute que coute leur projet par la violence. Quand il y a utilisation de la violence de la part d'un groupe, dans des pays où il y a un processus d'institutionnalisation des conflits, ça témoigne de son impuissance à utiliser les procédures routinières de négociation et de représentation. Cela signifie aussi que ces islamistes cherchent à s'affirmer politiquement par la violence pour défendre leurs intérêts. La force doit être remplacée par le droit et la justice si l'Etat veut durer en étant accepté par le peuple : il doit se légitimer par la loi, et devenir un “Etat de droit”. Si l'Etat commence dans la violence, c'est qu'il n'a pas la confiance de rester au pouvoir. C'est dire que la violence politique est un ennemi de la démocratie. Je dirai non à la violence comme arme politique contre notre peuple» Halte à la violence verbale L'espace public tunisien ne demeure pas silencieux. Il bruisse de mots hostiles et d'agressivité. A l'ANC affirme Fadhel Moussa doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis « la violence verbale est devenue une arme redoutable et un instrument d'agressivité qui peut prendre plusieurs facettes : des injures, des insultes, des plaisanteries blessantes ; des humiliations, des rumeurs, des provocations…L'assemblée est devenu un lieu de violence verbale. Ainsi dans des assemblées plénières, les disputes sont devenues monnaie courante. C'est le cas d'un député qui a qualifié l'autre de nul où un autre qui a accusé certains opposants de mercenaires alors qu'il ne fallait jamais céder à la polémique inutile, à la violence verbale et encore moins à la violence physique souligne le doyen Fadhel Moussa. Pourquoi une telle violence dans le débat politique? Pourquoi les Politiques franchissent-ils soudain la barrière? Il est vrai que la politique, c'est violent. Normalement, la politique, c'est l'expression de la réalité. Ces attaques sont diffusées sur le réseau social. Cette violence prend le pas sur la parole, puisqu'il n'y a plus de mots pour expliquer les choses. On a l'impression qu'il s'instaure une espèce de loi qui serait la loi du plus fort. Cela me paraît être une dérive tout à fait dangereuse. Cette violence verbale peut être également liée à une part émotionnelle forte, dans la mesure où effectivement, quand on n'est plus capable d'exprimer ce qu'on ressent, s'il y a une agressivité, il peut y avoir des gestes…On peut effectivement s'interroger sur les causes. Pourquoi certains députés , sont amenés à communiquer une violence et à s'exprimer de cette manière.? Donc, il convient de s'interroger sur la violence comme moyen de communication et sur la violence comme cause. On doit la bannir de cette coupole politique pour permettre à chacun de travailler dans un climat de sérénité, dans le respect des droits et devoirs de tous »