On ne parlera jamais assez de l'extravagante réponse du Cheikh Mokhtar Jebali, Président du Front Tunisien des Associations Islamiques, à la proposition qui lui fut faite par Moez Ben Gharbiyya d'envoyer ses enfants guerroyer en Syrie. Ces derniers n'iront pas, répond leur père, ils ont leurs excuses. Mokhtar Jebali parle de « dhourouf » à leur sujet. Il s'agit sans doute de « circonstances atténuantes » trouvées par leur paternel défenseur. C'est grave cette rhétorique du « faîtes ce que je dis, pas ce que je fais », de plus en plus répandue parmi les dignitaires islamistes tunisiens et arabes. Mais les politiques qui nous gouvernent depuis des décennies nous ont déjà habitués à cette forme de duplicité et d'hypocrisie. Le plus grave à notre avis, c'est la référence spécieuse et pseudo scientifique à laquelle nous renvoient Mokhtar Jebali and Co pour avérer leurs fatwas. Aujourd'hui, c'est-à-dire depuis l'avènement au pouvoir d'Ennahdha chez nous et des Frères Musulmans en Egypte, la Science des Sciences est désormais l'exégèse coranique, avec quelques disciplines secondaires dont l'interprétation des dits et faits du prophète Mohammed, la relation de la « Sira nabawiyya » selon des chroniqueurs plus ou moins fiables, et la glorification abusive de l'Islam aux dépens des autres cultes. Fi de la technologie, fi de la médecine, fi des sciences expérimentales, fi de la recherche spatiale, etc. N'est Savant, à l'avenir, que celui qui s'illustre dans l'invention des décrets religieux, n'est Docteur que celui (pas celle) qui se distingue dans les extrapolations sur le compte du texte sacré, il n'est désormais d'autorité que celle des herméneutes de la Chariâa, des jurisconsultes experts en Tradition de Dieu, des guides théologiques qui nous inculquent leur conception du Bien et du Mal, des spécialistes en récompenses et châtiments divins, avec certificats complémentaire en lois matrimoniales et en « jihad ennikah » !. Tu as beau être un Prix Nobel de physique, de chimie, d'économie, ou de médecine ; tu ne vaudras jamais un imam ou un cheikh de la plus médiocre des promotions. Père et Saint-Père L'autre jour, Samir El Ouefi fit remarquer à un cheikh salafiste venu à son émission pour, entres autres raisons, vilipender « l'Occident impie », que l'IPad qu'il avait entre les mains était de fabrication « occidentale ». El le vénérable invité de rétorquer, avec aux lèvres un sourire de vanité et de mépris, « c'est un présent de Dieu, plutôt! ». En d'autres termes, les Musulmans n'ont qu'à resquiller, qu'à consommer, qu'à plagier, qu'à « squatter » les inventions des autres et qu'à dire par la suite que tout cela est un don du Seigneur. Nous nous rappelons aussi qu'une fois, lors d'une discussion oiseuse avec un « salafisé » de la 25ème heure, celui-ci soutint que les découvertes technologiques de l'Occident (c'est leur mot fétiche) font gagner beaucoup de temps aux Musulmans qui alors auront tout le loisir de vaquer à leurs chamailleries théologiques et à leurs élucubrations métaphysiques. Cette logique mesquinement profiteuse et honteusement débile se confirme à propos du Jihad en Syrie : la solution à nos problèmes sociaux et économiques, au chômage des jeunes diplômés par exemple, consisterait –selon nos dignitaires salafistes- à aller combattre le régime de Bachar Al Assad. Le Jihad, étant pour ces doctes messieurs, un devoir prioritaire de musulman au même titre que la prière et le jeûne de Ramadan, tout fidèle qui y manque enfreindrait la Loi de Dieu et encourrait le bûcher de l'Enfer. Entre autres donc, les enfants de Sa Sainteté le Cheikh Mokhtar Jebali. Mais non ! Ils ont une dispense délivrée par papa, qui n'est pourtant pas le Saint- Père ! Même si ses incartades infatuées laissent entendre qu'il n'en pense pas moins ! Le Califat en marche Nous ne craignons pas d'avancer que les prétendus Savants de l'Islam, arrogants et trop imbus de leur savoir théologique, tendent à se proposer comme l'autorité concurrente du Pouvoir Céleste. Dieu a beau s'exprimer dans l'arabe le plus clair, nos « fuqahas » trouvent toujours quelque chose à expliquer (à compliquer) dans ses versets les plus fluides. De là à se croire plus lucides que le Seigneur sur la signification de son propre Texte, il n'y a qu'un pas que plus d'un Cheikh et plus d'un « Alem » (Savant) franchissent sans le moindre scrupule. Pour reprendre notre sujet, il y a lieu en effet de craindre qu'une fois le pouvoir en main, ces dignitaires ne transforment nos établissements scolaires et universitaires en medersas (« kutteb ») et en facultés et instituts théologiques. D'ailleurs, la prolifération des écoles coraniques est un fait accompli de nos jours. Qu'en sera-t-il demain pour le secondaire et le Supérieur ? Quels diplômes délivreraient nos lycées et nos facultés ? Faudrait-il créer partout des filières d'imamat et ne former les jeunes que pour l'excellence dans les sophismes douteux et les polémiques verbeuses ? Pas de problème d'embauche, en effet : il suffit de multiplier indéfiniment les mosquées, d'ouvrir partout les garderies, les crèches et les jardins d'enfants islamiques, de décupler les chaînes de radio et de télévision coraniques, d'encourager les étals anarchiques pour le commerce des bréviaires et des amulettes contre le mauvais œil, d'investir dans la médecine guérisseuse par le Coran, dans l'exorcisme, dans l'art de psalmodier les versets sacrés, dans le tourisme des ulémas, de gager sur les finances et les projets « halal », de planter partout des tentes de prédication, de conventionner les apologistes de la Chariâa et les chroniqueurs des Califes ! Nous y voilà ! Oeuvrons tous, en définitive, pour l'instauration du Califat. C'est justement aujourd'hui samedi 22 juin 2013 que s'ouvre le 2ème Congrès pour le Califat parrainé par Hizb Attahrir de Ridha Belhaj dont nous connaissons par cœur le programme. Quant à partager sa conception du Bonheur et du Progrès, inspirée du modèle taliban, il peut toujours espérer. Nous devons cependant à la vérité de reconnaître que les moutons de Panurge ne manquent pas dans les rangs salafistes qui ont, logistiquement et financièrement, de quoi tenir tête aux chantres de la modernité et de la laïcité. L'Occident n'a, semble-t-il, rien contre les futurs Califes, du moins tant que leurs menées jihadistes l'épargnent, lui, et son protégé sioniste. Entre temps, les enfants des vénérés Cheikhs ont carte blanche pour étudier en Europe, aux Etats-Unis ou même en Israël !