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L'amalgame entre la régulation et l'autorégulation est une manière détournée de rétablir le ministère de l'information
L'invité du dimanche: Hichem Snoussi, membre de la HAICA
Publié dans Le Temps le 23 - 06 - 2013


Interview conduite par Faouzi KSIBI
Il a fallu attendre des mois pour voir enfin la HAICA prendre forme
Cet accouchement difficile qui a failli être césarien a certes apaisé les esprits, puisqu'on miroitait des projets qui étaient conçus dans le but de supplanter cette instance ou bien, le cas échéant, d'en faire un outil docile entre les mains de ceux qui tiennent les commandes, actuellement, au sein de l'Etat. Cependant, et en dépit de ces assurances, on continue à exprimer des appréhensions quant au fonctionnement de la HAICA dont on craint que la période de rodage ne s'allonge d'autant plus que les dépassements empruntent un rythme crescendo et risquent fort d'aggraver davantage la situation dans l'audiovisuel déjà en difficulté.
Notre invité s'est voulu rassurant relativement à toutes ces questions tout en admettant la présence de sérieux problèmes dans ce secteur et ailleurs.
Le Temps : peut-on voir dans la participation de la HAICA au colloque organisé par la présidence de la République et boycotté par le SNJT un parti pris de sa part en faveur du pouvoir politique?
-Mr Snoussi : il n'y a aucun parti pris, étant donné que notre instance y a pris part pour donner son point de vue. D'ailleurs, les points de vue présentés par Mme Rachida Ennaifer, Mr Nouri Lajmi, le président de la HAICA et moi-même insistaient sur l'indépendance de celle-ci et la question de valeur à la tête de laquelle se trouvent la liberté d'expression et l'indépendance des moyens de communication et la nécessité de leur approfondissement à travers les conseils de presse pour la presse écrite, le mécanisme qui lui assure le plus d'indépendance, étant donné qu'elle repose sur l'autorégulation. D'autre part et en ce qui concerne le boycottage du syndicat des journalistes, il faut rappeler que la réforme de la presse et la création de cette instance ont beaucoup tardé, et qu'entre temps, il s'est produit plusieurs événements ayant provoqué un état d'excitation, ce qui a abouti à la déclaration de la grève générale. Et il ne faut pas oublier la grève de la faim et tout ce qui s'en est suivi à Dar Essabah. Quand on ajoute à tout cela certains discours politiques exprimant des positions surexcitées à l'égard des journalistes, on peut, aisément, comprendre l'instauration de ce climat de méfiance qui a réduit la plateforme commune de travail.
Quel est le moyen, selon vous, pour remédier à cette situation ?
Il est impératif, aujourd'hui, de rétablir les passerelles de confiance, d'élargir cette plateforme commune de travail et de reprendre les discussions à propos de la poursuite du processus de réforme surtout après la mise en place de la HAICA et ce d'une manière sérieuse loin de la langue de bois. Les journalistes sont déterminés à préserver cette liberté qu'ils ont conquise après la Révolution, et tous les partis politiques leur partagent cette idée, puisqu'aucun d'entre eux ne soutient le contraire du moins dans ses déclarations. Alors, il est clair qu'il y a une certaine défectuosité au niveau du langage qu'il faut corriger, et on ne peut dépasser cet écueil que par la crédibilité qui s'acquiert au moyen du dialogue sérieux qui pourrait, parfois, faire du mal.
Quoique vous disiez à propos de l'indépendance de la HAICA, certaines parties n'arrêtent pas d'en douter, est-ce que vous pouvez les dissuader?
En vérité, cette suspicion est toute relative, car cette instance s'est défendue bien avant son entrée en exercice. Il y avait certaines réserves concernant quelques uns de ses membres, quant aux autres, ceux qui ne sont pas contestés par qui que ce soit, ils ont exprimé leur refus d'intégrer une instance qui ne jouit pas de l'unanimité et du consensus en son sein et c'est tout à leur honneur. En fait, l'indépendance de la HAICA réside dans sa composition : ses membres viennent d'horizons différents et variés, il y en a le journaliste, l'académicien, le juge, le juriste, etc. Cette variation sera le socle de son indépendance et aussi de sa pondération, en ce sens qu'aucun discours ne dominera un autre. L'autre garantie d'indépendance de la HAICA c'est que les parties qui ont procédé à la nomination de ses membres n'ont pas le droit de les démettre de leurs fonctions suivant le décret-loi 116. Et au-delà de toutes ces considérations légales, ces derniers ont un passé honorable, étant donné qu'aucun d'entre eux n'a pris part à la propagande, ni aux méthodes de travail de l'ancien régime, bien au contraire, la majorité des membres si ce n'est pas tous sont des militants pour la liberté d'expression, ce qui est une garantie supplémentaire de taille.
Mais cette indépendance actuelle que vous vantez ne risque-t-elle pas d'être menacée à l'avenir par les articles 122 et 124 du projet de constitution ?
Si ces deux articles sont retenus, il y aura une régression et un retour à la case départ par la restitution non déclarée du ministère de l'information sous des appellations déroutantes. Car, d'une part et suivant l'article 122, élire l'ensemble des membres par l'ANC c'est les soumettre aux quotas politiques. D'autre part et conformément à l'article 124, confondre la régulation et l'autorégulation c'est réunir deux sujets très différents autour d'une seule méthode au sein de l'administration. La réforme de l'audiovisuel est une nécessité eu égard à la nature du canal médiatique qui s'introduit dans les foyers et utilise le spectre des fréquences qui sont une propriété publique. Cette réalité impose l'intervention rapide d'une instance régulatrice, car les lois ne peuvent pas poursuivre ce qui se produit d'une manière fréquente au niveau des médias et les pressions que ces derniers subissent de la part des politiques et des capitalistes, et il s'agit là d'un phénomène mondial. Par conséquent, le rôle de l'instance de régulation c'est de préserver l'indépendance de ces canaux et leur accorder la liberté nécessaire. Quant à la presse écrite, elle n'utilise pas la propriété publique, donc, elle a besoin juste d'une autorégulation qui s'exerce à travers les journalistes, leurs structures et les chefs d'entreprises tout en faisant participer à cet effort la société civile. Cela se fait dans le cadre de l'édification de la crédibilité de l'information et du journaliste qui réalise, ainsi, qu'il est contrôlé de l'intérieur. Alors, je ne comprends pas pourquoi confond-t-on ces deux genres, étant donné que dans les grandes démocraties on ne fait pas cette confusion à moins qu'on ne veuille emboîter le pas à des pays comme la Chine, le Congo et le Burkina Faso. Pourquoi la constitution que la Tunisie essaye d'élaborer et qui consacre la liberté de conscience et d'autres formes démocratiques supérieures comprend-t-elle ces points faibles relatives aux articles 122 et 124? Et ce qui est encore étonnant c'est le silence à ce propos observé par les juristes qui parlent des prérogatives du président de la République, de questions se rapportant à la justice et à la civilité de l'Etat sans s'apercevoir de la garantie de cette dernière, à savoir l'information. Ce qui fait que les journalistes se sont trouvés, presque seuls, à occuper la première ligne défensive.
Par quels procédés comptez-vous contrôler l'audiovisuel au sein de votre instance?
Ce contrôle est déterminé par la loi, et le décret-loi 116 est exhaustif à ce niveau, puisqu'il permet à la HAICA ou plutôt lui impose d'opérer un large quadrillage de tout ce qui est diffusé. Cela en plus des plaintes et réclamations qui lui seront présentées par le public, auditeurs et téléspectateurs. Il en découle qu'autant on défend la liberté d'expression et l'indépendance des médias, autant on défend l'opinion publique, son droit à une information honnête et ses droits à la tête desquels se trouvent les droits de l'homme. On remarque qu'aujourd'hui il existe de grands dépassements, en particulier, au niveau de la relation avec les enfants dont les droits sont bafoués sans que les auteurs de ces graves bévues n'en réalisent le caractère dangereux. Dans le décret-loi 115, il y a, seulement, trois sanctions retirant la liberté dont le traitement des questions relatives aux enfants parmi lesquelles les cas de viol. Le journaliste risque de s'exposer à l'emprisonnement s'il ne les aborde pas conformément aux critères des droits de l'homme. Ces erreurs sont fréquentes et, dans la plupart des cas, elles ne sont pas intentionnelles mais dues à une méconnaissance du sujet. Les journalistes sont appelés à bien s'assurer des informations et bien se renseigner sur les personnes qu'ils invitent sur les plateaux, par exemple. Ils devaient, également, favoriser, dans leurs émissions, l'égalité des genres, car la femme y est très mal représentée pour ne pas dire quasiment inexistante bien qu'elle soit présente dans toutes les phases de la Révolution tunisienne et que son rôle avant-gardiste se vérifie sur plusieurs plans dont, notamment, au niveau de l'enseignement, et les statistiques sont là pour l'attester. Cette négligence, on la trouve même chez les journalistes qui prétendent défendre la liberté d'expression et les valeurs de l'Etat civil. Il faut, donc, prendre conscience de toutes ces lacunes et revenir aux bonnes pratiques journalistiques. Ce sont là des tâches parmi les rôles qui attendent la HAICA non seulement au niveau de l'observatoire, mais il faut aussi au niveau des cahiers des charges où tout doit être consigné.
Au nom du droit de tout le monde à la parole, certains journalistes invitent sur les plateaux de télévision des extrémistes connus pour leur incitation à la violence. Ne voyez-vous pas qu'en agissant de la sorte ils participent indirectement à en faire la promotion ?
En réalité, s'appuyer sur les valeurs déontologiques dans l'exercice des activités journalistiques est de nature à réduire la concurrence à propos de l'audimat. Malheureusement, on remarque qu'on court après cet objectif d'une manière si effrénée que la chaîne nationale a organisé une interview avec une fillette violée dont certaines chaînes privées ont même dévoilé le visage, ce qui est, bien sûr, une erreur très grave. Pour ce qui est de ceux qui incitent à la violence et ne reconnaissent pas la structure de l'Etat, les régimes démocratiques peuvent souffrir cette frange sociale à condition, toutefois, que leur présence, sur les plateaux, soit bien étudiée et que le journaliste soit capable de débattre avec ce genre de personnes. On voir, par exemple, qu'en France on donne la parole aux extrémistes de droite du Front Populaire que se contredisent avec les principes de la République concernant les étrangers, la couleur de la peau… C'est là où réside la force des régimes démocratiques qui donnent le micro à ces gens-là sans qu'ils aient la possibilité de développer des discours xénophobes ou d'inciter à la violence, parce que de tels comportements sont punis par la loi. Par exemple, le cheik qui a lancé un appel, sur la chaîne de télévision nationale, à ne pas adopter d'enfants invitait les gens à transgresser la loi ; bien que ce soit son plein droit d'exprimer sa position sur la question, il ne lui est pas permis d'utiliser un média public qui est payé par l'argent des contribuables pour saboter les lois de l'Etat. Ce sont là des lignes à différencier, ce qui veut dire que l'attitude des journalistes à l'égard de ces invités-là reste une question de formation et d'accumulation d'expériences qui font défaut chez les nôtres, puisqu'on n'a pas exercé le journalisme dans notre pays pendant cinquante ans où il n'y avait de place que pour la propagande des régimes politiques de Bourguiba et Ben Ali. Donc, il faut se mettre en apprentissage et tout ce qu'on demande aux apprenants c'est d'être animés par la bonne foi et de ne pas chercher l'intérêt strictement personnel comme font certains journalistes dont le seul but est de devenir des stars piétinant, dans leur course aveugle, les droits de l'enfance comme je l'ai précisé plus haut.
Certains critiquent la limitation de la propriété privée des établissements médiatiques stipulée par l'article 33 du décret-loi 116. Qu'est-ce que vous en pensez ?
La conception de cet article était inspirée de pratiques internationales. On a remarqué, par exemple, ce qui se passait dans les grandes expériences qui ont connu de grands monopoles comme en Italie où les médias sont devenus au service d'une seule personne qu'est Silvio Berlusconi et où, malgré toutes les accusations d'ordre matériel et moral formulées à son encontre et les atteintes aux mineurs dont il était l'auteur, la machine médiatique a réussi à le disculper. En s'opposant au monopole des médias, on veut établir l'information variée, pluraliste, libre et honnête, car le monopole fait, nécessairement, dévier le média son véritable rôle. Rappelons-nous l'empire Murdock et le scandale des écoutes téléphoniques qui sont un travail d'espionnage plutôt que journalistique et qui s'insèrent dans le cadre de la concurrence entre médias. Est-il possible en Tunisie avec ses moyens financiers, son étendue territoriale et sa dimension démographique de permettre à une seule personne d'être propriétaire de tous les médias ? Leur monopole est d'autant plus nocif qu'on est en pleine période transitoire, peut-être bien que la question serait appréhendée autrement lorsque les institutions démocratiques seraient installées, donc, laissons cela aux générations futures, elles seront plus aptes que nous pour trancher. Ce qui est sûr pour le moment c'est que ce monopole conduit, forcément, à des catastrophes ; on voit qu'aujourd'hui des hommes d'affaires possèdent des médias, particulièrement, dans la presse écrite et qu'ils sont, la plupart du temps, derrière ce qu'on appelle la presse jaune. C'est la preuve irréfragable que les hommes d'affaires ne sont pas imprégnés des valeurs de la liberté d'expression, des valeurs de la société démocratique, puisqu'ils ont transformé quelques journaux en des moyens de règlement de compte, de diffamations et d'injures. Ces médias ont atteint un niveau de médiocrité et un degré de rabaissement jamais connus même pas à l'époque de Ben Ali. Ce sont là des indices alarmants qui imposent la maîtrise de l'équilibre au niveau de la propriété des médias.
Etes-vous pour la publicité politique dans les médias ?
-Absolument pas ! Et cette interdiction doit se maintenir et se poursuivre. D'ailleurs, ceux qui demandent le monopole des médias sont ceux-là mêmes qui réclament l'insertion de la publicité politique dans l'audiovisuel, ce qui est interdit dans le monde enter excepté aux Etats Unis en raison de leurs spécificités et de leurs traditions en la matière qu'on ne rencontre nulle part ailleurs. En effet, dans ce pays, il existe deux partis dominant la vie politique et où les médias annoncent, depuis le départ, qu'ils sont avec tel ou tel parti. Est-ce qu'il serait possible d'appliquer cela en Tunisie, dans une société où il y a encore des gens qui vivent au dessous du seuil de pauvreté et qui souffrant, énormément, dans les régions de l'intérieur ? Est-ce que la priorité, aujourd'hui consiste à négocier la manière de permettre aux hommes d'affaires de s'approprier des moyens de communications d'une manière indéterminée et désordonnée.
Il est évident que l'activation partielle du décret-loi 115 est à l'origine de ce chaos qui sévit dans la presse écrite. Y a-t-il, selon vous, des solutions pour y remédier?
Ce qui est sûr c'est que la presse écrite a un besoin urgent pour un conseil de la presse qui soit soutenu par la société civile tunisienne. Cela serait de nature à limiter le phénomène de diffamations et d'insultes qui envahit ce secteur. Et l'expression montre que la plupart des pays démocratiques dont plus de vingt en Europe reposent sur les conseils de la presse comme mécanisme d'autorégulation et de limitation des abus commis dans l'exercice du droit d'expression. Heureusement qu'aujourd'hui le SNJT et la fédération des propriétaires des journaux s'acheminent vers la mise en place d'un conseil de la presse et ce en collaboration avec quelques commissions de la société civile. Concernant le décret-loi 115 qui a bénéficié de l'approbation de plusieurs organisations internationales, il n'est pas activé au niveau de deux points : le dépôt et la commission habilitée à octroyer la carte de presse professionnelle. Le problème qui se pose c'est le recours au code pénal au lieu du décret 115 dans certains procès comme c'était le cas dans celui de « Weld El 153 », ce qui évoque des questions, étant donné qu'il s'agit là d'une loi spéciale inhérente à tout ce qui a un rapport avec la diffusion, la création, etc. Par voie de conséquence, l'application de décret 115 serait meilleure.
Comment évaluez-vous le comportement des entreprises de sondage qui travaillent dans un vide juridique et dont certaines sont en passe de comparaître devant la justice suite aux plaintes déposées par des parties civiles à leur encontre ?
Bien qu'il ait des aspects positifs, le sondage se transforme, dans certains cas, en publicité politique. Il manque, dans ce secteur, une instance de régulation qui contrôle les activités de ces entreprises en leur imposant le respect d'un ensemble de règles telles que la tenue d'archives et l'étude minutieuse de l'échantillon et des questions. Actuellement, on ne dispose pas de mécanismes à travers lesquels on pourrait superviser le travail des établissements de sondage et déterminer le champ et les moments de leurs activités. Ce qui est sûr c'est qu'il existe une manipulation des chiffres, à preuve l'incohérence totale entre ces derniers. Les différences énormes et étonnantes entre eux montrent à l'évidence qu'ils ne sont pas étudiés d'une manière scientifique, cette réalité rend, donc, urgent l'établissement d'un organe de régulation en vue d'organiser ces activités de sondage mais aussi pour poser des critères pour la publicité et ses contenus et la publicité publique qui souffre encore de l'absence de paramètres concernant sa distribution sur l'ensemble des journaux tunisiens.
Au vu des attaques réitérées contre les journalistes et les médias, ne pourrait-on pas dire que le champ médiatique en Tunisie vit, actuellement, un tournant décisif ?
Le paradoxe c'est que les agressions contre les journalistes sont plus nombreuses que sous l'ancien régime. Il est vrai qu'à cette époque-là, ces derniers n'avaient pas les mains libres et ne jouissaient pas de la liberté d'expression, mais cela n'empêche qu'il existait une minorité qui s'est défaite des chaînes de leurs geôliers et qui a payé trop cher la facture. Aujourd'hui, celui qui agresse les journalistes ce n'est pas seulement le régime politique, mais aussi la « société civile » qui est plutôt une « société physique ». Tous les mouvements politiques qu'ils soient de droite ou bien de gauche sans exception aucune empêchent les journalistes de remplir leurs tâches, ce qui est alarmant. On se demande comment peut-on assurer une transition démocratique sans des femmes et des hommes qui y croient vraiment, le mensonge qui prédomine et asphyxie la scène publique on le voit s'installer partout y compris chez ceux qui prétendent défendre la liberté d'expression. Ce double langage et cette conduite bizarre pourraient être l'expression d'une nouvelle élite qui est en train de se chercher mais qui n'a pas trouvé, jusque là, l'équilibre nécessaire pour exercer son rôle. Les manifestations de ce nouveau comportement sont nombreuses, on les a vues à l'occasion du sit-in observé devant le siège de la télévision nationale, les agressions, la veille et pendant les premiers jours de la Révolution, contre Jalila Baccar et Nouri Bouzid. Donc, c'est comme si rien n'avait changé au niveau de la structure culturelle et non pas au niveau du discours qui, lui, devient schizophrène. Tant qu'il y a impunité et un silence malicieux de la part de plusieurs acteurs politiques et des composantes de la société civile vis-à-vis de ces agressions, la question va prendre encore de l'envergure. Devant une telle situation où on recense plus de quarante agressions par mois contre les journalistes, il est normal que la SNJT exprime sa grogne. Alors il est impératif de se mobiliser contre ce fléau et de prendre les mesures dissuasives qui limiteraient ces atteintes, et cela existe au niveau des textes de loi, étant donné que le décret-loi stipule que le journaliste est assimilé à un fonctionnaire publique, ce qui veut dire que toute personne qui l'agresse s'expose à des sanctions sévères. Et que les acteurs politiques évitent dans leurs discours d'inciter à la violence contre les journalistes.
Est-il possible pour le journalisme d'investigation de pouvoir se frayer un chemin et s'assurer un avenir dans ce contexte assez délicat ?
D'une façon générale, les fonctions au sein de l'Etat moderne sont devenues complexes et enchevêtrées, en ce sens qu'aucun appareil étatique au monde n'est capable d'assurer le contrôle tout seul sans se faire aider de la presse. Donc, la question qui se pose est de connaître la manière dont le pouvoir politique se représente cette dernière : est-ce qu'il y voit une autorité et un assistant qui assume une fonction choquante et tout à fait imprévisible, puisqu'elle pourrait découvrir des réseaux de corruption disposant des deniers publics. Dans ce cas, le journalisme d'investigation devient une nécessité extrême, ce qui devait entraîner la conclusion d'un contrat tacite entre elle et les autorités publiques qu'il complète et ne contredit pas. Mais quand celles-ci y voit une force concurrente qui le place sur le banc des accusés, je ne pense pas qu'il y ait un avenir pour ce genre journalistique qui, avant d'être une volonté personnelle, est une volonté politique. Le pouvoir devait l'encourager s'il tient, vraiment, à combattre la corruption, étant donné qu'il est une autorité de contrôle qui est parallèle à celle de l'Etat. J'ai entendu dire dans une chaîne de télévision que le journalisme doit présenter ses rapports à l'Etat, ce qui est une confusion énorme, car le journaliste s'adresse à l'opinion publique et non pas à l'Etat, son rôle c'est de surveiller le comportement du gouvernement et de toutes les autres parties influentes politiquement et financièrement et de dénoncer toutes les anomalies et tous les dépassements commis par eux. Si le gouvernement actuel et ceux qui vont lui succéder acceptaient de coopérer avec ces journalistes, ils participeraient à l'édification de l'Etat démocratique et leur action sera saluée et restera gravée à jamais dans la mémoire collective, et dans le cas où ils agiraient à leur égard d'une manière hostile, ils seraient discrédités et par la génération actuelle et par celles à venir et leur attitude serait aussi consignée dans les annales. Alors à eux de choisir…


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