- « La Révolution corrective a commencé en Egypte », clame Aleya Allani, historien spécialiste des questions islamiques - « La Tunisie est loin du scénario égyptien parce que l'opposition n'est pas unie », affirme Mohamed Kilani, secrétaire général du Parti Socialiste - « Les islamistes tunisiens seront fragilisés parce qu'ils manqueront de repères», dit Abdejlil Bédoui, vice-président d'Al-Massar - « Si le coup d'Etat mené par Ennahdha et ses alliés ne s'arrête pas, nous risquerons un scénario à l'égyptienne», prévient Mohsen Marzouk, dirigeant à Nida Tounès Des millions d'Egyptiens se sont dressés en bloc inébranlable contre le Président élu Morsi revendiquant son départ. L'armée, garante de la stabilité du pays et de la sécurité des citoyens lui a adressé un ultimatum sans équivoque. Acculé qu'il est et dos au mur, il n'a d'autre choix que l'argument de la légitimité des urnes. Tous ces bouleversements auront-ils leurs éclaboussements sur la Tunisie ? Quels sont les points communs et les différences entre la situation en Egypte et la situation en Tunisie ? Aleya Allani, professeur universitaire et historien spécialiste des questions islamiques, déclare au Temps que « la Révolution du printemps arabe a commencé avec la Tunisie et la Révolution corrective a commencé en Egypte. Ce qui se passe en Egypte depuis le 30 juin dernier a signé le décès de l'Islam politique. Il en sera de même dans les autres pays du printemps arabes y compris la Tunisie, mais ça sera par étapes. En Tunisie, le parti Ennahdha va subir les répercussions de ce changement. Ennahdha a échoué de cohabiter avec l'opposition et a refusé de renoncer à la loi de l'exclusion politique et à la dissolution des Ligues de protection de la Révolution. Je ne pense pas qu'Ennahdha aura un avenir dans le pays en tant que parti majoritaire, il va revenir à son poids réel petit à petit qui ne dépasse pas 15% ». Il ajoute qu'Ennadha « dispose d'une occasion historique et rare d'éviter le scénario égyptien. Sept conditions sont à remplir : 1- l'accélération de l'adoption de la Constitution, la fixation définitive de la date des élections ; 2- accepter toutes les remarques de la commission des experts sur la Constitution sans marchandage ; 3- la dissolution des Ligues de protection de la Révolution, la renonciation et non le report de la loi de l'exclusion politique ; 4- la révision des nominations dans les grandes administrations, dans les gouvernorats et les délégations faites sur la base de l'appartenance politique ; 5- renoncer à la référence islamique car il s'agit d'un point commun à tous les Tunisiens et ne doit être instrumentalisée politiquement ; 6- la révision et l'audit des activités des associations caritatives vues les interrogations qui entourent leurs activités, programmes et financements ; 7- achever la neutralisation des ministères de souveraineté, vue la lenteur constatée dans la neutralisation de certains ministères et considérer le ministère des Affaires religieuses comme un ministère de souveraineté en nommant à sa tête une personnalité compétente et indépendante ». L'universitaire conclue qu'il « ne faut pas se leurrer par la non sortie des Tunisiens dans les rues dans les mêmes proportions que les Egyptiens. A chaque peuple ses méthodes de contestation pour imposer ses choix. L'homme intelligent est celui qui sait devancer le mal, sauvegarder ses intérêts et l'intérêt de la collectivité nationale ». Mohsen Marzouk, dirigeant à Nida Tounès, affirme au Temps que les différences entre la Tunisie et l'Egypte se rapportent à l'échelle de grandeurs. « L'Egypte passe par la première phase sensible de transition démocratique qui demeure une phase de négociations et de recherche de consensus, sauf que les Islamistes égyptiens comme en Tunisie ont fait un coup politique. Ils ont dévié le processus pour le mener à une impasse. Ils ont commencé un projet de radicalisation et d' « extrémisation » de leurs sociétés qui avaient toujours été ouvertes et voulu changer notre système sociétal. Ils considèrent qu'être élu, c'est être mandaté par Dieu. Or être élu et avoir une légalité, ne suffit pas. Cette légalité est conditionnée par le rendement politique. Après l'arrivée au pouvoir des islamistes, tout ce qu'il y a de vil dans l'action politique a été fait ». Tout en espérant que l'Egypte ne s'enlisera pas dans la violence, notre interlocuteur, rappelle que Morsi agit au nom d'une secte. Il réduit le monde à sa secte. « Ces « pislamistes » (mariage entre politique et islamisme), n'ont réussi dans aucun du monde », dit-il. Est-ce que ces évènements auront des résonances en Tunisie ? Notre interlocuteur, estime que la résonance aura lieu, même si elle peut connaître un décalage temporel. « L'échec des Islamistes en Algérie, en Syrie et en Egypte mettra fin à la vague islamiste. C'est une question de temps. J'espère que les « pislamistes » tunisiens comprennent ce qui se passe en Egypte. Nous avons essayé avec eux le dialogue national mille fois. Sans résultats. La démission du chef d'Etat major annoncée à la télévision est révélatrice du malaise de l'armée tunisienne. Si le coup d'Etat mené par Ennahdha et ses alliés, ne s'arrête pas, nous risquons un scénario à l'égyptienne ». Mohamed Kilani, secrétaire général du Parti Socialiste (PS), déclare au Temps, que les évènements en Egypte sont la conséquence du fait que les Frères musulmans ont cherché directement à imposer un pouvoir despotique, au nom de la religion. Ils ont fait un saut sur les institutions de l'Etat. Ils se sont adressés aux associations de la société civile. « Toutefois, à chaque pas franchi, ils rencontraient une résistance du peuple égyptien et des forces politiques unies dans le Front de Salut. Le peuple égyptien avançait sous une seule direction, pour un Etat démocratique », dit-il. Il considère que la Tunisie est loin du scénario égyptien parce que l'opposition n'est pas unie dans un front commun et dépourvue d'alternative directe qui combattrait le projet de la Troïka, en dépit de son échec. Il rappelle qu'il y a eu les évènements de Siliana, le lynchage et l'assassinat de Lotfi Naguedh, l'assassinat de Chokri Belaïd, des tentatives de porter atteinte aux acquis civilisationnels de la Tunisie. « Ils ont fait ce qu'ils voulaient. Le peuple tunisien n'a pas réagi et les forces politiques qui avaient perdu les élections du 23 octobre, sont restées prisonnières de la mentalité de l'individu sauveteur. Il faut cultiver la mentalité du tout uni. C'est la raison pour laquelle le scénario égyptien est loin d'être applicable en Tunisie. Nous avons besoin de tirer davantage de leçons de l'expérience égyptienne. L'opposition a besoin d'un programme et un objectif communs dans le cadre d'un Front uni qui sera à la hauteur des impératifs du moment et qui remplira son rôle dirigeant pour construire un avenir commun pour la Tunisie la débarrassant de la dictature au nom de la Religion ». Abdejlil Bédoui, vice-président d'Al-Massar, ne parle pas de Révolution, mais de mouvements populaires qui connaissent des périodes de flux et de reflux en rapport avec les difficultés vécues. Il pense que le mouvement populaire égyptien est plus profond et combatif qu'en Tunisie. « Les problèmes du vécu quotidien sont plus profonds en Egypte. C'est un mouvement discontinu. La fréquence chez nous est assez réduite. Le mouvement populaire en Tunisie a cédé la place à un débat d'élite, alors qu'en Egypte, le mouvement est resté populaire, même si l'élite a joué un rôle. L'échec du mouvement islamiste en Egypte a trouvé face à lui, un mouvement combatif. Chez-nous l'échec du mouvement islamiste a trouvé face à lui une élite qui se livre à un débat stérile avec absence de dimension populaire ». Très impressionné par le processus populaire en Egypte et par la capacité de son élite de se rassembler et de travailler en profondeur, Abdejlil Bédoui déplore que l'élite tunisienne soit coupée du peuple et immature pour créer un Front large. Il ajoute : « nous avons connu la chute du pouvoir avant les Egyptiens, mais ils ont compris plus vite que nous. La période de l'échec est plus courte chez eux. La population s'est révoltée à cause des problèmes économiques et sociaux. Tant mieux pour eux. Ils ont une armée aux côtés du peuple. Le seul point de rencontre entre l'Egypte et la Tunisie est l'échec de l'expérience islamiste. Chez eux ils sont passés des Pharaons au Califat. Chez-nous Ennahdha est plus rusée. Chez-nous le mouvement est plus complexe. De toute façon, l'échec des islamistes égyptiens sera un coup dur pour l'islamisme tunisien. La pensée des Frères musulmans a été bien créée en Egypte. Les islamistes tunisiens sont des élèves auprès des Egyptiens. Ils seront fragilisés parce qu'ils manqueront de repère ». Hassine BOUAZRA