• «La dissolution du gouvernement aura lieu après le parachèvement de la Constitution et la détermination de la date des prochaines élections», précise le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi Qui se ressemblent s'assemblent... Le bon vieux dicton semble prendre toute sa signification à en croire le ton rassembleur, conciliant et accommodant qui a marqué les propos tenus par le leader du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, à l'égard de Nida Tounes (L'Appel de la Tunisie). Une entente cordiale tissée dans les salons parisiens se dégage, en effet, du discours du cheikh rompu aux manœuvres politiques qui n'a pas tari, cette fois-ci d'éloges à l'égard de celui qui était jusque-là son ennemi juré. Concernant son voyage à Paris pour rencontrer Béji Caïd Essebsi, le leader de Nida Tounes, M. Ghannouchi répond qu'il serait allé jusqu'au Guatemala, et même jusqu'à la planète Mars pour rencontrer le bourguibiste octogénaire, si les circonstances l'exigeaient ! Le chef du parti au pouvoir qui s'exprimait dimanche soir sur les plateaux de Nessma TV, une chaine jusque-là vouée aux gémonies par les partisans d'Ennahdha, a laissé entendre que les relations entre son parti et son frère ennemi sont désormais cordiales. «Ce que je peux vous dire, c'est que le mur de glace qui existait entre les deux partis a été récemment brisé. Ce matin même, j'ai appelé Béji Caïd Essebsi pour m'enquérir de son état de santé », révèle-t-il, estimant qu' «il est temps de mettre fin aux rancœurs dommageables » et à «une hostilité qui n'a pas lieu d'être». Et pour avancer une preuve de sa bonne volonté, le numéro un d'Ennahdha a précisé que le projet de loi controversé sur l'immunisation de la Révolution qui exclut les responsables de l'ancien régime de la vie politique ne passera pas. «La loi sur l'immunisation de la Révolution ne sera pas adoptée. Elle sera débattue après les élections et intégrée dans la loi sur la justice transitionnelle qui garantit une reddition de comptes sur la base de la responsabilité individuelle dans les crimes commis sous le règne de Ben Ali», a affirmé en substance M. Ghannouchi. La main tendue par Rached Ghannouchi vers Caïd Essebsi se révèle également à travers des épithètes doux et des superlatifs courtois qui ont ponctué le discours du leader du parti vainqueur des élections du 23 octobre 2011. «Le mouvement Ennahdha est désormais en bon terme avec Nida Tounes. Ce sont les plus deux grands partis dans le pays. Nous ne somme pas dans une période démocratique ordinaire, avec un parti au pouvoir et l'autre dans l'opposition, nous sommes dans une phase de construction démocratique. Les grands partis doivent être en situation d'accord et de coopération pour le bien du pays. Nous tendons la main à Nida Tounes et à tous les partis sans exception, afin de nous entraider pour le parachèvement du processus démocratique » a-t-il souligné. CPR et Front Populaire hors jeu ? Autre signe d'apaisement : Rached Ghannouchi a annoncé le retrait de sa plainte déposée contre le député Samir Ettaïeb (Al Massar, parti allié à Nida Tounes) qui l'avait accusé d'être à l'origine de l'assassinat du dirigeant du Front Populaire, Chokri Belaïd. Cerise sur le gâteau, le cheikh qui est paru pour la première fois docile et souriant à souhait n'a pas manqué de prôner «l'amour» et la coopération» entre tous les Tunisiens et entre les différents acteurs de la scène politique. « Vous devez vous aimer et vous entraider pour ne pas faire couler le bateau. Oui, la Tunisie est tel un bateau que nous sommes obligés de partager… C'est un bateau qui peut nous contenir tous malgré nos divergences, pourvu qu'il n'y ait pas de haine et de rancune entre nous, pourvu qu'il y ait de l'amour… Celui qui prêche la haine va finir par s'autodétruire», a-t-il indiqué. La première victime de cette mutation dans le discours de Rached Ghannouchi est incontestablement le Congrès pour la République (CPR) qui a longtemps fait de l'immunisation de la Révolution et de l'éradication des symboles de l'ancien régime le cœur de son programme, voire même sa raison d'être. Pire encore, le chef historique d'Ennahdha a même décidé de rompre le cordon ombilical qui lie sa formation au CPR, en invitant malicieusement le président de la République, Moncef Marzouki, à démissionner s'il souhaite participer aux prochaines élections présidentielles. La deuxième victime collatérale de cette nouvelle alliance entre une droite couverte par un vernis religieux et une droite drapée d'un vernis moderniste n'est autre que le Front Populaire. Hamma Hammami et ses «camardes» qui se sont rapprochés ces derniers mois de Nida Tounes dans l'espoir de faire tomber un ennemi commun se retrouvent, de fait, en situation d'hors jeu. Le leader du Parti des travailleurs et porte-parole du Front Populaire s'est d'ailleurs étonné hier des propos concilinats de Ghannouchi à l'égard de Nida Tounes. «Nida Tounes n'était-il pas jusque là un diable aux yeux de Ghannouchi ? », s'est interrogé, éberlué, Hamma Hammami, sur les ondes de Shems FM. Dissolution du gouvernement en temps opportun Sur un autre plan, M. Ghannouchi a précisé que son mouvement a accepté l'initiative de l'UGTT qui prévoit la dissolution du gouvernement et le maintien de l'Assemblée nationale constituante. « On a accepté cette initiative et on ne s'est pas rétracté », a-t-il fait savoir, tout en indiquant que le nouveau gouvernement ne peut prendre ses fonctions que lorsque le pays sera préparé aux élections. « La dissolution du gouvernement aura lieu après le parachèvement de la Constitution, la mise en place d'une nouvelle instance indépendante pour les élections et la détermination de la date des prochaines élections», a-t-il ajouté. Selon le leader d'Ennahdha, la démission du gouvernement et la date des élections peuvent-être annoncées dans une période de 20 jours à un mois, et même moins, si le dialogue national en décide autrement. Au sujet de la dissolution des ligues de protection de la révolution réclamée par l'opposition et l'UGTT, il a précisé que cette question relève des prérogatives de la justice, appelant à l'application stricte de la loi soit contre tous ceux qui la transgressent. M. Ghannouchi n'a pas manqué, d'autre part, de vilipender l'organisation djihadiste Ansar Al-Chariâa, évoquant une «question d'ordre sécuritaire » et une «organisation violente et ayant une interprétation erronée des textes sacrés». En ce qui concerne l'évaluation de l'action du gouvernement présidé par Ali Laârayedh, il a noté que l'échec ou le succès de ce cabinet reste une question relative. «Notre gouvernement compte à son actif des réalisations et des déconvenues. Nous sommes dans une période transitoire et notre réussite se mesure à notre capacité d'acheminer le pays vers la concrétisation d'une démocratie moderne, où tout le monde coexiste, avec la liberté et la dignité pour tous. Cet objectif est en partie atteint en Tunisie, puisqu'il n'y a pas de procès politique, ni de presse aux ordres », a-t-il affirmé, soulignant une amélioration notable de la situation sécuritaire comme en atteste le démantèlement de plusieurs cellules terroristes.