Il va falloir réviser notre lexique politique, vu que le flux des néologismes se poursuit. Après le « gouvernement d'élections », en voilà un autre : « ministre démissionnaire en exercice ». C'est le statut ambigu de M Salem Labiadh, « l'ex actuel ministre » de l'Education nationale. Son parti pris pour le gouvernement trahi par le biais de sa défense farouche de l'institution qu'il gouvernait et gouverne toujours était très manifeste. Et malgré les démentis qu'il faisait, tout au long de l'émission de « Midi show » d'avant-hier, face aux soupçons exprimés par le journaliste Naoufel Ouertani, il n'a pas réussi à occulter cette vérité : ses arguments pédagogiques n'ont pas pu masquer ses réelles intentions politiques. Surenchérissements Cette tendance de sa part l'a poussé jusqu'à accuser les journalistes de faire de la provocation et d'instrumentaliser politiquement les données relatives à la réalité de l'école tunisienne telles que le chiffre de 100 mille élèves ayant quitté l'école prématurément l'année précédente. Dans son déchaînement contre ces derniers, il est remonté à l'année 1987 pour donner le chiffre global de ces derniers depuis cette date jusqu'à nos jours et qui est de l'ordre de 3 200 047, un chiffre énorme et fort inquiétant. Le record, d'après lui, était réalisé à l'époque de Mohamed Charfi en 1991 quand il avait la direction du ministère de l'Education. Ce choix n'est pas un hasard, loin s'en faut, il se justifie par une arrière-pensée idéologique évidente, car il ne faut pas oublier que ce ministre préconisait un enseignement laïc, ce qui se contredit, foncièrement, avec l'appartenance islamique de M Labiadh. C'est comme s'il voulait adresser un message aux tenants de la laïcité selon lequel ne surenchérissez pas sur les islamistes, parce que vous avez fait pire. Loin d'entrer dans cette polémique, c'est-à-dire sans se prononcer sur les raisons objectives de l'aggravation de ce phénomène en cette conjoncture historique et sans prendre de position ni pour l'une ni pour l'autre des deux parties, il était clair que M Labiadh n'était pas impartial. Il se comportait comme membre de la Troïka à part entière et, en particulier, comme défenseur du parti majoritaire. L'évocation de ces chiffres d'élèves ayant quitté l'école prématurément à l'époque de Ben Ali, pendant les années quatre vingt-dix et la première décennie du troisième millénaire, était faite par le ministre d'hier et celui d'aujourd'hui dans le but de culpabiliser les journalistes qu'il incriminait pour ne pas avoir dénoncé ce fléau par le passé. Il parlait de la situation comme s'il vivait en dehors de nos frontières à cette époque-là, et même si c'était le cas, même s'il était à l'étranger, il ne pouvait pas prétendre ignorer cette vérité, parce que l'opinion publique internationale savait très bien que la Tunisie était gouvernée par une dictature qui muselait les journalistes et disposait des médias comme bon lui semblait. Vecteur de démocratie Toutefois, cette ambiance hostile à la liberté de la presse n'a pas empêché les quelques voix libres de s'élever, à leurs risques et périls, pour dénoncer des dépassements et des crimes commis par le régime dans tous les domaines y compris celui de l'enseignement où ils ont appelé à une réforme de l'ensemble du système éducatif antipopulaire et antipatriotique, à l'image du syndicat général de l'enseignement secondaire, responsable de l'échec scolaire qui, chaque année, jette à la rue des dizaines d'élèves en bas âge. Et ce n'est, certainement, pas les efforts de M le ministre semi-présent, semi-absent qui vont pouvoir remédier à la situation en corrigeant le système et en mettant un terme définitif à ce malheur social. D'ailleurs ce qu'il a appelé intervenant psychologique et social n'est pas une nouveauté, puisqu'il s'agit là d'une ancienne revendication syndicale. M Labiadh n'a pas épargné les journalistes le jour même de leur grève et au moment où ils subissent la censure la plus violente depuis la révolution et leur a reproché de mener une campagne politique contre son ministère en instrumentalisant, politiquement, des données et de se taire sur d'autres plus graves au temps de l'ancien régime auquel ils faisaient la courbette, insinuait-il. Et aujourd'hui, ils sont à la solde des forces politiques qui les manipulent dans tous les sens afin de provoquer des ennuis au gouvernement. Cette accusation conforte celle de Ennahdha qui voit la même chose et considère les voix et les médias libres comme étant des moyens de propagande au service de l'opposition, appliquant un agenda étranger et dont le rôle est de déformer les vérités satisfaisantes et d'assombrir la réalité réjouissante. M Labiadh, en dénonçant les déficiences et les dépassements, les journalistes ne font que remplir leur devoir consistant à dessiller les yeux et des citoyens et des responsables afin de rectifier le tir et prévenir le pire. La liberté d'expression et celle de la presse sont les grands et seuls acquis jusque là qu'il faut défendre et renforcer d'autant plus qu'elles constituent le vecteur de la transition démocratique. Une fonction purement politique On voudrait bien savoir où était-il pendant ces années de braise ? Certainement pas dans l'opposition. En tout cas, ce n'est pas difficile de la savoir, celui qui cherche trouve… M le ministre d'hier et de toujours s'est plaint des critiques formulées à son endroit par les journalistes, il ne voulait pas qu'on parle des défaillances de l'école tunisienne et tenait à nous brosser une image rayonnante de cette rentrée scolaire faisant comme si son ministère ne faisait pas partie intégrante d'un gouvernement et qu'il agissait en dehors de cette institution indépendamment de sa politique. Il s'indignait du fait que les journalistes révélaient des vérités attestées par les syndicats de l'enseignement eux-mêmes et qui étalaient au grand jour la crise multidimensionnelle que vit le pays et à laquelle n'échappe aucun secteur y compris celui qu'il dirige oubliant une donnée fondamentale c'est que tous les ministères d'un gouvernement se meuvent dans l'orbite de celui-ci et appliquent sa politique à la lettre, et comme cette politique est défaillante, il ne peut pas en être autrement pour son ministère, à moins que M le ministre n'ait constitué un gouvernement propre à lui. Donc, que vous y ayez participé ou non aux conseils de ministres ou à des activités politiques officielles représentant l'Etat, cela n'empêche que vous êtes plein dedans. Autrement dit, tant que vous êtes à la tête d'un ministère, vous êtes forcément dans la Troïka et, donc, vous faites forcément de la politique ; d'ailleurs Althusser dit que « l'école c'est l'appareil idéologique de l'Etat ». Et si vous voulez qu'on ne vous traite plus comme tel, vous n'avez qu'à quitter, d'une manière effective, ce gouvernement et reprendre votre place au sein de l'université. M le ministre, il n'est question ni de populisme, ni d'anarchisme quand on critique votre position très ambiguë et très contradictoire, mais de bon sens : soit on démissionne, soit on reste à son poste, mais on ne peut jamais faire les deux à la fois, ni au nom de la responsabilité patriotique, ni au nom du devoir moral…