Je crois que, quitte à commencer une nouvelle vie au bout du monde, autant tout reprendre à zéro. Ça a pris un peu de temps avant que le corps et la tête ne se synchronisent. Inverser son mode de vie n'est pas forcément évident. Ma capacité d'adaptation allait être mise à l'épreuve à chaque étape. Et cela commençait par survivre au décalage de 12 heures qui existe entre la Tunisie et la Nouvelle -Zélande. La première semaine s'est assimilée à un sas de récupération plutôt que d'initiation. Du genre, couché à 19h, levé à 5h. On ne réalise pas tout de suite ce qui se passe. Quand nos repères les plus basiques sont complètement bouleversés, le risque est de rentrer dans un cycle de fatigue extrême qui peut vite devenir inquiétant. Le plus simple c'est de se laisser porter pour ne pas trop contrarier l'horloge biologique. Bien dormir, bien manger et rester au calme. Trois règles simples à observer pendant les premiers jours, et tout rentre dans l'ordre. Le décalage physique trouve donc quelques solutions efficaces. Mais le vrai problème c'est qu'il faut mettre en place tout un système pour rester en communication avec l'autre côté du monde. Il n'y a pas beaucoup d'options. Nos rendez-vous ont donc lieu très tôt le matin heure d'Auckland pour les attraper juste avant qu'ils n'aillent au lit, ou bien le soir très tard pour les avoir au réveil. C'est assez drôle finalement. On a l'impression d'avoir un temps d'avance sur tout le monde, de savoir ce que la journée réserve comme surprises. Un peu comme dans « Demain à la une », cette série où le protagoniste reçoit chaque matin le journal du lendemain avec pour mission d'empêcher que les drames se réalisent. Même si nos vies quotidiennes sont beaucoup moins héroïques... Evidemment le décalage horaire implique forcément une inversion des saisons. Vous vous imaginez passer le mois d'aout sous les couvertures et décembre à la plage ? Pour moi, c'est très déconcertant. Ici, l'inverse est impensable. Pour les natifs, passer les fêtes de fin d'année sous la neige n'a aucun sens. Pourtant à Noël, ils achètent un sapin qu'ils décorent et saupoudrent de fausse neige. Curieux raisonnement dans lequel on peut percevoir une petite nostalgie pour la terre des origines. D'ailleurs, de nombreuses familles vont passer les fêtes en Grande Bretagne. Mais le plus difficile pour moi avec cet écart horaire c'est que, mus par l'excitation, on a envie de partager nos découvertes le plus fréquemment possible avec ceux qui nous manquent. Seulement l'instantanéité et la spontanéité sont des notions qui perdent leur sens dans ces cas là. Il faut donc trouver une alternative à la dimension d'immédiateté dans l'appréciation de certaines choses, garder un peu de beauté pour la transmettre en différé. Cette distance m'a appris à regarder pour capturer dans mon esprit l'image sans la consommer entièrement. Essayer d'en laisser une partie intacte pour ceux qui n'étaient pas là. Leila Katarina CHERIF