La Tunisie croule sous le fardeau dégueulasse des poubelles. Les villes, les villages, le milieu urbain tout comme le milieu rural sont devenus de gigantesques dépotoirs à ciel ouvert. Dans chaque coin de rue et même au sein des quartiers, qu'ils soient chics ou pauvres, les ordures domestiques s'amoncellent. Phénomène singulier, le Tunisien adore déposer ses ordures dans le coin d'une rue, au pied d'un arbre et, le comble ! Les rares jardins publics aménagés dans les quartiers sont devenus l'endroit privilégié des Tunisiens pour se débarrasser de leurs restes ! Ces phénomènes font partie, malheureusement, du vécu du citoyen. Affligeantes et désolantes, ces pratiques se sont immiscées dans la vie de tous les jours. Quoi de plus normal que de balancer, nonchalamment, ses ordures à même le sol ou accrochées au tronc d'un arbre qui n'a rien demandé. L'ampleur de ces phénomènes est telle que médias, décideurs politiques et société civile ont crié à la catastrophe. Depuis plus de deux ans, en mal de matière politique, les médias ne parlent que de ça. Jusque-là, on ne parle que de pollution domestique et de son impact visible et instantané sur la vie de tous les jours. Qu'en est-il de la pollution industrielle ? Là, médias comme gouvernement occultent le problème. Inadvertance ou silence complice ? Silence, on pollue ! Les nuisances industrielles et chimiques sont, certes, du domaine de l'invisible. Les produits jetés dans la nature et les gaz toxiques que dégagent nos usines ne sont souvent pas «esthétiquement» visibles à l'œil nu. Ils ne squattent pas de manière palpable le quotidien du Tunisien, comme c'est le cas des poubelles. Cependant, les déchets chimiques et agroalimentaires sont comme le cancer. Ils s'immiscent dans notre quotidien et nous ôtent discrètement la vie. Passé sous silence, ce type de pollution est immensément plus catastrophique que la nocivité des ordures domestiques qui sont au centre des débats médiatiques et politiques depuis un moment. Ces nuisances imperceptibles ont des répercussions néfastes et destructiveses au moyen comme au long terme tel que le souligne le géographe M. Habib Ayeb qui explique : «S'il est parfaitement normal et légitime que chaque personne soit d'abord sensible à ce qui la touche directement dans sa vie quotidienne (la saleté de l'espace public, la pollution urbaine, le bruit,...), il ne faut pas minimiser les nuisances invisibles et dont les conséquences ne se révèlent qu'à la survenue d'une catastrophe». Si au lendemain de la chute de l'ancien régime, les langues se sont déliées et que les thèmes qui étaient de l'ordre de l'interdit ont envahi les médias, d'autres fléaux de notre société dite «moderne» n'ont pas eu cette chance-là. L'on peut remarquer ces derniers mois l'emballement de la presse tunisienne sur l'environnement mais uniquement pour tout ce qui relève de l'ordre de l'esthétique et du visible: poubelles, ordures ménagères, etc. Une nouvelle tendance est née chez la classe riche et la classe moyenne. Ce qu'appelle M. Habib Ayeb d'«environnementalisme urbain» qui dérange cette partie de la population dans leur quotidien. Cette nouvelle vague de protestations disons bourgeoises «C'est honteux !», «Que diront de nous les touristes et les étrangers ?», «ça sent mauvais» cache en vérité une réalité bien plus poignante. Ces cris de détresse participent quelque part à occulter un fait encore plus grave sur l'environnement en Tunisie à savoir la pollution industrielle chimique et agricole. En ne mettant la lumière que sur la pollution urbaine, toutes les parties : société civile, citoyens et décideurs politiques font fausse route. Pis encore, elles contribuent à la marginalisation de catastrophes environnementales plus imminentes et dont les premières victimes ne sont autres que la classe défavorisée. Habitant sur les bords des périphériques et auprès des usines, cette large partie de la population devient la première victime des jets en gaz et en produits chimiques. A cet effet, M. Habib Ayeb cite les quartiers exposés à ces dangers invisibles mais imminents, Saida Mannoubia, Mellassine et Sidi Hcine. «Dans ces quartiers, les habitants sont depuis des années quotidiennement exposés à de multiples problèmes environnementaux : habitats mal adaptés, un réseau d'assainissement insuffisant et délabré, accumulation des poubelles, bruits et pollutions urbaines.» Bâties aux abords du Lac Sijoumi, les logements sont cernés par les eaux usées. L'air qu'inhalent les habitants de cette agglomérations, qui se trouve à peine à 30 minutes de la capitale, présente des risques sanitaires énormes. Une volonté politique anti-environnementale qui date ! L'on ne peut aborder le sujet de la pollution industrielle sans évoquer la catastrophe naturelle qui précipite l'agonie de la ville de Gabès. Une condamnation à mort de l'unique oasis littorale au monde comme le rappelle le géographe M. Habib Ayed. Vidée progressivement et abusivement de ses eaux depuis les années 70s, par le Groupe Chimique de Gabès, la région voit désespérément sa faune et sa flore dépérir. La population a beau protester et crier sa colère, les gouvernements qui se succèdent ne leur prêtent guère attention. Leurs revendications tombent toujours dans l'oreille d'un sourd. Le manque d'irrigation et les gaz rejetés par ce groupe ont condamné également le Golf de Gabès. Une catastrophe naturelle accablante a frappé ces dernières années la région. De leur côté, les politiciens sont des abonnés absents parce que trop accaparés par la course frénétique au pouvoir. Cette belle et superbe oasis n'est plus aujourd'hui qu'une hécatombe de poissons, de tortues et de vie humaine. Les cas de cancer de la peau sont de plus en plus menaçants et concernent surtout les enfants. Entre-temps, silence radio de la part des décideurs politiques. Aujourd'hui, tendance générale oblige, même les responsables politiques se plaisent à se montrer écolos. Certains partis instrumentalisent même la cause environnementale pour redorer leur blason et réussir leur campagne électorale. Une overdose médiatique autour de Miss Poubelle pour mieux taire là où réside le vrai problème : la pollution industrielle et agroalimentaire. La poubelle fait de l'ombre aux catastrophes naturelles imminentes qui menacent, en sourdine, le territoire tunisien.