En cette période électorale et surtout sur les plateaux quand on ignore les règles régissant un métier, on risque de commettre des écarts de conduite et toutes les extravagances possibles sans s'en rendre compte. On croit agir dans le bon sens et conformément aux prescriptions établies. Et à la moindre critique, on crie à la violation des droits et libertés, Et on n'hésite pas à en accuser les auteurs d'oppressifs et d'ennemis de ces valeurs. Comme on sait, que la HAICA a infligé un mois de suspension à l'émission « Liman yajraâ fakat » (Pour celui qui ose seulement) (saction rejetée par le Tribunal administratif) pour le comportement passif, voire complice de son animateur qui n'a pas bronché face à l'attitude répréhensible de l'un de ses invités qui s'enorgueillissait de l'amitié d'un terroriste international notoire et impliqué dans les assassinats politiques survenus dans le pays. La grimace faite par cet animateur ainsi que le silence, qu'il a observé au moment où ce dernier a fait cette grave déclaration, étaient jugés par l'instance de régulation comme étant des signes d'approbation. Une telle interprétation, que l'incriminé a violemment stigmatisé, est-elle plausible ? Ou bien relève-t-elle de simples spéculations puisant dans les intentions, comme celui-ci l'a souligné ? Les labyrinthes de la jurisprudence La télévision est le média audiovisuel le plus populaire. En effet, de par son accessibilité facile, il permet à tout un chacun et quel que soit son niveau de conscience de saisir ne serait-ce que le minimum d'informations communiquées par cet organe médiatique. D'où l'influence importante qu'il exerce sur les téléspectateurs dont l'esprit se trouve ainsi modelé dans un sens ou dans un autre. L'emprise de la télévision est telle qu'elle a le pouvoir d'orienter l'opinion publique comme bon lui semble surtout en période électorale où celle-ci devient plus réceptive à tout ce qui est diffusé. Cette primauté risque donc d'engendrer des dérapages, ce qui impose un contrôle sévère et rapproché de l'instance de régulation afin d'éviter les manipulations qui risquent de faire dévier les médias de leur rôle informatif et éducatif et de fausser tout le processus électoral. Cette vigilance et cette intransigeance sont d'autant plus indispensables lorsque les dérives médiatiques touchent au terrorisme. C'est le cas pour l'émission incriminée où ce dernier était à l'honneur par le biais d'une apologie de l'une de ses figures emblématiques, à savoir Abou Iyadh. D'ailleurs, ce n'était pas la première fois que cela se produisait, Ben Laden et Gadhgadhi étaient également honorés par un autre, un cheikh qui voyait en eux des modèles à suivre et l'incarnation même de l'Islam. Ces propos outrageux et cette impudence étaient restés impunis et le cheikh s'est fait des émules en la matière. Le journaliste qui lui a emboîté le pas s'en serait inspiré, étant persuadé que le parti pris pour un terroriste est sans conséquence aucune. Et il n'avait pas tort, puisque le ministère public n'a rien retenu contre lui et s'est focalisé sur l'interprétation juridique du terme « amitié » dont il a fait une question purement jurisprudentielle. On a changé de terrain et on s'est attelé à vérifier si, d'un point de vue juridique, l'acception de ce mot, était incriminante ou pas. Le langage verbal de l'audiovisuel La HAICA, quant à elle, elle ne s'est pas engagée dans cette piste, mais s'est contentée d'en puiser la signification dans la linguistique. En effet, elle a estimé qu'il y avait une association entre le signifiant et le signifié, entre le dénotatif et le connotatif, c'est-à-dire entre les propos proférés et le sens véhiculé. Pour interpréter l'attitude adoptée par l'animateur de l'émission, elle s'est située sur un plan sémiotique, qui concerne l'étude des signes, en voyant dans le sourire esquissé et le silence observé des gestes d'acquiescement. Et il ne peut pas en être autrement, étant donné que l'image véhicule, forcément, une signification. Il est à rappeler qu'est signe tout ce qui fait sens, c'est-à-dire un mot, une phrase, une image, un objet, une musique, un parfum, etc. Chaque signe est constitué d'un signifiant (support) et d'un signifié (sens). On pourrait voir ici une analogie entre contenant et contenu, communication et information. La première est comme un moule servant à donner forme à la seconde. C'est à travers le canal de la communication que circule l'information, en ce sens qu'elle est utilisée en fonction de son intérêt. Cette relation se comprend plus aisément lorsqu'on sait que chaque signifié comporte une dimension dénotative, le sens apparent, et une dimension connotative, le sens sous-jacent qu'on ajoute au sens premier. C'est à ce niveau qu'intervient la communication, c'est là où réside son champ d'action où l'usager fait appel à des techniques langagières pour transmettre des messages. Ces techniques sont de deux ordres, linguistiques, s'inscrivant dans la langue, et extralinguistiques, se situant en dehors de cette sphère et faisant appel à des signes tels que le ton, le geste et la mimique. Cette situation de communication suppose donc la présence d'un émetteur, d'un récepteur et d'un code. Pour le structuraliste Roland Barthes, il existe, d'une part, une sémiologie de la communication, immergée dans le monde des signes, centrée sur les codes, où le récepteur n'est censé comprendre uniquement que ce qui a été encodé à son intention ; tels que le code de la route et les signaux ferroviaires. D'autre part, une sémiologie de la signification, qui considère tout objet comme signifiant en puissance, incluant les phénomènes de société dans une interprétation partagée par une culture commune. Ce type de sémiotique était appliqué aux médias de masse dans les années 1960-1970 comme le cinéma, la télévision, la publicité et les usages culturels. Par conséquent, tout décodage sémiotique passe par la langue même s'il n'est pas verbal. Cela voudrait dire que tout est langage verbal. Une image par exemple, ne signifie pas seulement ce qu'elle représente, elle évoque. C'est à ce titre que l'assimilation de la culture de l'autre devient importante, voire déterminante pour que l'on puisse décoder son message. C'est à cette condition que l'effort interprétatif serait possible et que la pénétration de son univers linguistique pourrait s'opérer. Par voie de conséquence, l'attitude de l'animateur ne peut avoir qu'une seule signification : l'acquiescement au panégyrique fait par le journaliste en faveur du terroriste. Et la Constitution ? L'animateur de l'émission a soulevé un autre grief, celui se rapportant aux propos rassurants du président de la HAICA et de l'un de ses membres qui lui auraient demandé de s'en excuser lors de l'émission suivante sans miroiter une quelconque sanction. A ce propos, l'article 21 du décret-loi 116, se rapportant à la « Section 3 : Fonctionnement de la HAICA », est très explicite, vu qu'il énonce dans son troisième aliéna que « Les décisions de la HAICA sont prises et ses avis sont émis à la majorité des membres présents. En cas d'égalité des voix, la voix du président est prépondérante ». Ce qui veut dire que celui-ci n'est pas en droit de prendre des décisions tout seul, ni de promettre quoi que ce soit. Il est membre disposant d'une seule voix au même titre que ses collègues et ne peut trancher qu'à la condition émise par cet article et non pas en dehors. Par ailleurs, l'article 16 du même décret stipule que cette instance de régulation veille à « contrôler le respect par les établissements de communication audiovisuelle des clauses des cahiers des charges et, de manière générale, le respect des règles déontologiques régissant le secteur de l'audiovisuel ». Et c‘est exactement ce qu'elle a fait. Le comportement de l'animateur ne s'inscrit-il pas dans cette sphère ? En agissant de la sorte, n'a-t-il pas enfreint les règles éthiques organisant le métier ? N'a-t-il pas donné raison, par là, à l'apologiste du terroriste ? En dépit de tous ces graves torts, il s'est permis d'accuser la HAICA de l'instance de la honte, dans l'émission de « Labes » (ça va ?) à laquelle il était invité. Cette qualification ne fait-elle pas écho au fameux slogan scandé, en 2012, devant le siège de la Télévision Nationale, « L'information de la honte » ? En tout cas, l'histoire se chargera de nous dire à qui s'applique vraiment cette épithète. Les attaques contre la HAICA, dont le rendement est loin d'être irréprochable, ne constituent-elles pas un prélude à la violation de la constitution ? Ne sont-elles pas de nature à encourager d'autres desperados ? Est-ce qu'il est possible d'instaurer un Etat de droit en dénigrant une institution constitutionnelle ? Cet encerclement de la HAICA ne prépare-t-il pas le terrain à d'autres dépassements encore plus graves en cette période électorale décisive pour l'histoire contemporaine de la Tunisie ? Ne tend-t-il pas à la museler pour avoir les mains libres pendant ces jours décisifs nous séparant du verdict final ?