Gafsa, cette ville du Sud de la Tunisie abritant 84676 habitants et chef-lieu d'un gouvernorat de 350000 habitants. Cette éternelle poudrière, est communément appelée berceau de la Révolution tunisienne. Depuis le soulèvement de 2008 de la région minière du Sud-ouest tunisien : Redeyef, Moularès et Mdhila sont devenues les icônes de la résistance et de la révolte face au régime autocratique de Ben Ali. Chômage endémique, pauvreté, précarité, injustice sociale et économique..., Gafsa est le symbole des régions déshéritées et oubliées, nommées fréquemment zones d'ombres du pays. Aujourd'hui sept ans déjà après les émeutes du bassin minier et quatre ans après la Révolution enclenchée le 17 décembre 2010, aboutissant au 14 Janvier 2014, c'est le statuquo. Rien ne change, tant qu'on n'y change rien. Suspension de la production à la CPG (compagnie de phosphate de Gafsa) et au GCT (Groupe chimique Tunisien), protestations sociales, tout un imbroglio qui fait de Gafsa post-Révolution un gîte propice au terrorisme. Comment peut-on changer le cours d'une histoire obscure, celle de Gafsa ? Outre les politiciens et les candidats aux législatives pressés d'occuper les sièges à pourvoir à l'Hémicycle, la société civile et les militants du développement durable ont aussi leurs idées et approches à suggérer et à apporter leur concours convaincus qu'ils sont de leur rôle. Pour répondre à cette question nous avons interrogé Dr Ezzedine Zitouni, natif de la région, neurologue et président de l' « Association Errakha » pour le développement du Sud du pays. Le Temps :Quels sont les tourments des Gafsiens ? - Ezzeddine Zitoun : «Les habitants de Gafsa souffrent d'une situation sanitaire déplorable qui nécessite une prise de conscience générale. Le chômage, la précarité de la vie, l'esprit tribal, l'inégalité sociale, sont autant de problèmes qui concourent à la frustration engluante des habitants. Aujourd'hui, l'égalité du développement régional est constitutionnalisée, c'est un droit. De ce fait il convient de mettre en place une plateforme juridique. Autrement dit tous les gouvernements qui se sont succédés à la tête du pays depuis l'indépendance doivent reconnaître leur tort, s'excuser avant de dédommager les habitants de la région. Quelles stratégies de développement proposeriez-vous ? - D'abord il faut savoir que Gafsa et la région du Sud/Sud ouest en général regorgent de ressources naturelles. Il suffit d'exploiter à bon escient ces ressources et exploiter le mystère sucré de Dame Nature. Des richesses sous-exploitées comme les ressources marines et le soleil pourront servir d'in put pour une stratégie de développement durable. L'exploitation des ressources marines de la région pourra être une source de développement économique et ce en favorisant des secteurs à haute valeur ajoutée, dont la pisciculture, l'industrie cosmétique et autres tout en contribuant à assurer l'autosuffisance alimentaire de la région. La biotechnologie se présente comme une alternative idoine. «Santé : un hôpital hospitalo-universitaire est un droit» Gafsa n'est autre qu'un modèle qui peut être étendu à d'autres régions. La santé est un point focal et d'une importance impérative pour la région, elle est un état de complet bien-être physique, mental et social. Les pathologies les plus fréquentes sont inhérentes à la nocivité dégagée des laveries de la compagnie de phosphate de Gafsa (CPG). Il faut cesser de polluer la région et changer la méthode de lavage du phosphate en optant pour la technique sèche. Des causes à effets : Il y a six laveries qui procèdent au lavage du phosphate selon la méthode humide (eau) dans une région pauvre en ressources hydriques, le recours à cette méthode humide, génère une matière radioactive riche en métaux lourds et cancérigènes. Il s'agit du phosphogypse qui est par la suite rejeté dans la nappe. Une véritable menace chimique contre les habitants de Gafsa. La pollution est insupportable dans la région. L'intoxication de l'eau est la cause de plusieurs maladies dont la fluorose dentaire et la maladie fluro vasculaire ou la flurose osseuse (modification de la structure des os), laquelle peut entraîner la paralysie des organismes voire la mort tout court. Gafsa a plus que jamais besoin d'un hôpital universitaire, les habitants ont droit à un service de soins de proximité, rapide mais aussi d'excellence capable de soigner les maladies les plus complexes. La formation continue des médecins est un facteur déterminant pour assurer un traitement d'excellence, pour la rapidité et la régularité des services de soins. Nous avons besoin d'un bond qualitatif pour former les hospitalo-universitaires au Sud. Il faut instaurer le système de groupement de réseau de spécialité hospitalo-universitaire, notamment un réseau cardiovasculaire, un réseau de réanimation, d'urgence neurovasculaire et autres. Le projet de création de réseaux hospitalo-universitaires modernes dans le sud est un projet ambitieux qui nécessite la collaboration de toutes les parties. La création d'une banque de sang de cordon est un autre projet envisageable dans la région. Après la création d'hôpitaux hospitalo-universitaires, il faut réfléchir à mettre en place des complexes hospitalo-universitatires qui regroupent toutes les spécialités. Tout ceci peut se faire à l'aide des moyens humains et techniques des habitants du Sud. «Economie : Il faut procéder par un audit intégral de la CPG et du GCT» La situation dans le Bassin Minier n'est toujours pas sous-contrôle. Il faut faire un audit complet des deux institutions : la compagnie de phosphate de Gafsa et du Groupe Chimique Tunisien. Aujourd'hui le bassin est une zone totalement fermée, « un nomansland ». Qui ose y pénétrer ? Personne ! Le sentiment tribal prévaut dans le Bassin Minier. D'ailleurs, l'appartenance partisane d'un membre d'une grande tribu de la région de Redyef, à un grand parti politique, pourrait être une bombe à retardement. Par ailleurs, il faut revaloriser les compétences au sein du Bassin et miser sur la qualification des ressources humaines. Pour sortir du carcan de la production de phosphate et de la prédominance de l'activité minière, il y a d'autres champs à exploiter à Gafsa et qui sont créateurs d'emplois. Il faut savoir que nous disposons d'un territoire marin qui s'étale sur 150000 km2, la mer est une source infinie d'eau, il convient de la dessaler par l'énergie solaire, une ressource intarissable dans la région du Sud. Il faut exploiter toutes les ressources de la mer dans un esprit de développement durable économiquement rentable, socialement équitable et vigilant quant à la préservation écologique pour la génération future. La biotechnologie marine, médicale et végétale pourrait se présenter come une planche de salut révolutionnaire dans la région surtout que nous disposons de tous les moyens nécessaires pour réussir cette option. Nous sommes dotés de ressources naturelles inouïes qu'il convient d'exploiter absolument et ce dans tous les secteurs dont le secteur industriel et l'agriculture. Gafsa jouit d'un énorme potentiel à même de développer l'industrie agroalimentaire, la pisciculture et l'industrie pharmaceutique. Le développement de ces secteurs est une source de création d'emplois très importante pour nos diplômés du Supérieur (biologistes, ingénieurs agronomes) mais aussi pour les autres chômeurs désespérément à la recherche d'emplois. Par ailleurs, il importe de capitaliser les acquis de la région en revalorisant le tourisme. Aujourd'hui il faut réhabiliter l'OASIS de Gabès considéré autrefois comme la plus vaste oasis de l'Afrique. La faible dotation en ressources hydriques de la région peut être comblée par le dessalement de l'eau de la mer via une énergie solaire abondante. D'ailleurs, la production de l'énergie photovoltaïque est possible à Gabes. Autre proposition non négligeable pour la région c'est le développement de la voie ferrée, d'un réseau ferroviaire express qui permettra de faire Gabès-Gafsa en une heure moins quart et permettra également de minimiser le coût de transport du phosphate. Aujourd'hui, ils sont obligés de transporter le phosphate par camions, ce qui coûte 5 fois plus cher que le transport ferroviaire. Enseignement : Pour ce qui est de l'enseignement, je suis d'abord pour la formation continue des médecins hospitalo-universitaires, notamment via les universités à distance dont le « MOUCCE ». Je propose également la création d'un biotechnopôle marin qui regroupe un centre de recherche de biotechnologie marine, d'une école de formation des biologistes chercheurs pour la domestication des techniques de découverte de la biotechnologie marine et d'une école de formation des pisciculteurs. Côté social, il ne faut pas oublier les familles nécessiteuses qui ont droit à un logement décent. La consommation des stupéfiants et des drogues est un autre fléau qui frappe la région. Tout le monde ferme les yeux face à ce spectre. Que font les brigades anti-stup, où sont les autorités de l'Etat dans tout ça. La consommation des drogues détruit le frontale, le système nerveux et engendre des maladies diverses dont la schizophrénie. Il faut redéployer les efforts pour lutter contre ce phénomène ravageur. Je propose à juste titre la création d'une plateforme anti addiction ou encore d'un centre de prévention et de traitement d'addiction ».