Reprendre en modifiant quelque peu le titre du roman de Françoise Sagan « Aimez-vous Brahms ? » est la première chose qui nous traverserait l'esprit lorsqu'on se remémore la soirée du mercredi 29 octobre dernier. A cette occasion, l'Acropolium de Carthage en collaboration avec l'Ambassade de la République Tchèque à Tunis ont invité Zuzana Lapčíková, une artiste incontournable dans le monde de la musique. Pourquoi ? Parce qu'elle est considérée comme une des grandes spécialistes du cymbalum, outre ses talents de compositrice et de scénographe entre autres. Pour l'avant dernier concert de cette vingtième édition de l'Octobre Musical, cette artiste a offert un concert particulier où elle a allié l'instrumental au vocal. Un mélange standard, certes, mais qui a pris une autre signification lors de la soirée du mercredi... Zuzana Lapčíková était seule sur scène... ou presque, car elle avait pour compagnon un instrument plutôt curieux et étrange. Beau à regarder dans sa texture en bois verni, il a suscité la curiosité avec sa différence par rapport aux instruments à cordes (qanun ou harpe) que les habitués de l'Octobre Musical ont pu voir en cette édition. Le cymbalum, comme le koto, pierre angulaire lors de la soirée japonaise, a capté l'attention par le son unique qu'il dégageait, un son sourd et profond. Contrairement aux instruments précédemment mentionnés, celui qui a été mis à l'honneur le mercredi n'était pas pincé par les doigts mais frappé à l'aide de petits marteaux, appelés aussi mailloches. D'origine tsigane, le cymbalum est fortement présent dans les pays de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est. Introduit dans la sphère musicale classique, il permet une ouverture sur des répertoires originaux de facture folklorique. C'est ce folklore qu'a revisité Zuzana Lapčíková et spécifiquement le répertoire de la Moravie, région de l'Europe centrale, formant aujourd'hui la partie orientale de la République tchèque. De sa voix cristalline, la musicienne a proposé au public deux approches du chant morave. La première partie était axée sur l'œuvre du compositeur tchèque Leoš Janáček. La deuxième partie a été, quant à elle, exclusivement consacrée aux propres compositions de Zuzana Lapčíková. Ce programme assez singulier était placé sous le signe du dépaysement. Avec une maîtrise parfaite de l'instrument et le filet mélodique de la voix, l'artiste, par ses deux talents conjugués, a intrigué. Dans ce genre de concert, l'assistance ne peut avoir d'avis mitigés : on adhère en dépit de l'handicap de la langue ou on est totalement détaché. Les dizaines de convives qui ont envahi la salle de spectacle et qui sont demeurés dans l'enceinte de l'édifice pendant les deux parties ont témoigné leur adhésion totale à ce concert atypique, applaudissant le talent de Zuzana Lapčíková qui a su happer ouïe et regard par sa voix douce et limpide et son habileté dans le maniement des mailloches. Donc « Aimez-vous Zuzana ? », on ne saurait dire non car, en dépit du manque d'informations concernant le programme et surtout la particularité du chant morave, on ne peut que saluer la performance d'une artiste complète. Une artiste qui a permis à son public de découvrir une nouvelle manière d'aborder la musique un soir d'automne, sur la colline de Carthage...