A l'issue de la réunion du Conseil de la Choura d'Ennahdha, le suspense longtemps entretenu à propos du candidat consensuel que soutiendrait Ennahdha, a pris fin. Ce deuxième parti du pays en termes de sièges à la prochaine Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) qui n'a pas présenté un candidat à la magistrature suprême issu de ses rangs, a décidé de ne soutenir apparemment aucun candidat à présidentielle du 23 novembre courant. Mettant un terme à toutes les spéculations et pronostics des uns et des autres, elle a accordé à ses partisans la liberté de choisir, en leur âme et conscience, le candidat qu'ils « jugent le mieux placé pour occuper le poste de président ». Fethi Ayadi, président du Conseil de la Choura avait déclaré à la fin des travaux de la première instance décisionnelle entre deux congrès : « nous appelons les enfants du mouvement, nos électeurs et tous les Tunisiens à participer massivement et de façon active à l'élection présidentielle et à choisir la personnalité qu'ils considèrent capable de conduire le processus démocratique et diriger notre expérience en matière de réalisation des objectifs de la Révolution : liberté, dignité et justice transitionnelle »...La déclaration de Fethi Ayadi a été comprise par certains comme un soutien camouflé à Moncef Marzouki. A qui profitera, réellement, cette décision ? Quelles en sont les motivations ? Les noms de nombreux candidats aspirant au soutien d'Ennahdha, circulaient comme Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaâfar, Ahmed Néjib Chebbi, Abderrazak Kilani, Dr. Hammouda Ben Slama. En annonçant qu'elle va soutenir un candidat hors de ses rangs, bien avant les législatives, Ennahdha a au moins réalisé un premier gain. Durant la campagne électorale, tous les partis qui avaient un candidat à la présidentielle, comme le CPR, Ettakatol, Al-Joumhouri, ont tout fait pour éviter de formuler la moindre critique à la gestion d'Ennahdha lorsqu'elle était aux commandes. Le sésame du soutien hypothétique d'Ennahdha valait bien pareille concession. Nida Tounès et la Jabha Chaabya n'ont pas hésité lors de leur campagne électorale, de dresser ce qu'ils considèrent le bilan d'Ennahdha au pouvoir. Ils en ont récolté les dividendes. Les partis qui ne voulaient pas la critiquer l'ont payé cher. Quant à Ennahdha, elle a pu limiter les dégâts en obtenant 69 sièges. La débâcle électorale consommée, les appétits de pouvoir sont restés très forts. La route vers Carthage vaut bien un détour à Monplaisir. La décision du Conseil de la Choura doit donner à réfléchir à Ahmed Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaâfar et d'autres. Pourquoi, après avoir fait patienter ses amis et ceux qui faisaient tout pour gagner ses faveurs la direction d'Ennahdha a-t-elle opté pour le silence ? Pour l'analyste politique Mustapha Tlili, la décision du Conseil de la Choura est presqu'attendue. Il déclare au Temps : « cette décision s'explique, entre autres, par l'absence de position commune au sein du Conseil de la Choura. Il y a des divergences claires avec ceux qui restent fidèles aux engagements de la Troïka. Même ceux là hésitent entre le soutien à Moncef Marzouki et celui de Mustapha Ben Jaâfar. Il y a aussi, les partisans d'un choix plus tactique défendant le soutien à Néjib Chebbi qui est plutôt classé ayant fait partie, dans le passé, de l'opposition démocratique. Il y a ceux qui veulent éviter un affrontement ou une confrontation directe avec Nida Tounès et qui veulent laisser la porte ouverte à de possibles négociations avec le parti qui sera chargé de la formation du prochain gouvernement. Quant aux cartes du Dr. Hammouda Ben Slama et à un degré moindre Abderrazak Kilani, qui avaient des chances d'être soutenus par Ennahdha, elles ne sont plus à l'ordre du jour, vu les résultats des législatives et la diversité des candidatures proches d'Ennahdha. La décision prise par le Conseil de la Choura, pourrait être exploitée afin de neutraliser la répugnance de Nida Tounès à une possibilité de travail commun ». Notre observateur ne se fait pas d'illusion. Il rappelle qu'Ennahdha a toujours utilisé deux discours. Il s'explique : « Elle annonce une position orientée vers les autres partis politiques concurrents et la communauté internationale, tout en donnant des instructions, dans les coulisses, pour soutenir un des candidats qui lui est proche. Ainsi, elle pourra éviter l'image peu enviable d'un parti qui connaîtra un revers au cours de l'élection présidentielle, sauver au moins l'unité apparente de la direction, laisser la porte ouverte à d'éventuelles négociations avec Nida Tounès et ne pas paraître aux yeux de la communauté internationale comme un parti qui a appelé à voter pour un candidat malheureux ». Comment va se comporter l'électeur le 23 novembre courant ? Quelles sont les retombées de la décision d'Ennahdha sur les chances des uns et des autres ? Hichem Guerfali, DG de 3C Etudes, spécialiste dans le suivi des mouvements de l'opinion publique, déclare au Temps : « à partir du moment où Ennahdha a décidé de ne soutenir aucun des candidats, elle adopte à l'évidence une position prudente, probablement en prévision d'un éventuel accord d'association au gouvernement de Nida, chose qui est probablement difficile et fort risqué à annoncer, à l'heure actuelle, aussi bien par Nida Tounès que par Ennahdha. En parallèle, la course à la séduction de près d'un million d'électeurs d'Ennahdha est engagée. C'est une course qui en vaut la peine puisque le gagnant de cette course pourra passer au second tour de la présidentielle. Par contre, il est difficile aux autres candidats quel que soit leur parti de pouvoir concurrencer tout candidat soutenu par les électeurs d'Ennahdha, si l'on exclut Nida Tounès. Gageons que les prochains jours connaîtront des joutes enflammées où chacun essayera de se présenter comme étant à même de convaincre l'électorat d'Ennahdha. Et les positions sont loin d'être arrêtées. Et sur ce plan là, beaucoup d'analystes sont en train de faire des projections à partir des résultats des élections législatives, chose qu'il est imprudent de faire, car il faut savoir que chez tous les partis sans aucune exception, aucun des leaders n'arrive à faire l'unanimité dans son propre parti. Voter pour un parti, ne veut pas dire forcément voter pour son candidat à la présidentielle. Les taux sont variables et peuvent descendre en dessous de 50%, pour un certain nombre de partis. Attention aux conclusions hâtives ! ».