La décentralisation comme objectif, la culture pour tous comme doctrine, et de l'émotion quand on évoque les nombreux départs... et en plus, Ezzedine Gannoun manquait à l'appel pour dompter les monstres sacrés de la scène... Et c'est dans un cadre d'allégresse que la fête du 4e art a commencé à 17h00 sonnantes par le spectacle tout en couleurs et lumières, Trois coups, trois actes de Mohamed Ali ben Jemâa. Une entrée en scène inattendue et surprenante pour un public habitué au protocole lassant des ouvertures officielles classiques. D'emblée, la parole était donnée aux comédiens qui n'ont pas manqué de démontrer tout leur talent d'artistes accomplis à travers un jeu d'acteur puisant dans toutes les formes de l'expression culturale, du théâtre classique au théâtre moderne en passant par l'opéra, le tango, les claquettes, l'art du cirque... Mohamed Ali ben Jemâa, en fin connaisseur de la scène artistique, a démontré les liens intimes entre le 4e art et toutes les autres expressions culturelles et artistiques, dont il se nourrit pour se développer tout en s'adaptant continuellement aux avancées humaines. Et au-delà de l'aspect politique de cette ouverture, on a assisté à un spectacle qui, tout en rendant hommage au prix Nobel de la paix reçu récemment par la Tunisie, expose la situation actuelle du théâtre tunisien entre crise du texte et empoignades entre jeunes et anciens. Un spectacle qui rend également hommage au théâtre tunisien à travers des allusions et des textes des pièces tunisiennes qui ont marqué l'histoire du quatrième art en Tunisie. Cette 17e édition s'est caractérisée par son aspect décentralisateur qu'on a retrouvé dans le discours d'ouverture de Lassaâd Jamoussi, directeur des JTC. Il a insisté sur ce point qui met en application la nouvelle constitution tunisienne qui place la culture comme un droit pour tous et qui consacre la décentralisation comme un choix politique. L'autre événement majeur de cette soirée inaugurale est l'annonce de la déclaration de Carthage. Un arsenal de recommandations qui protège l'artiste contre tous les dangers qui le guettent entre menace pour son intégrité physique et pour ses libertés. Quelques points de cette charte : l'artiste insiste sur le fait que ce dernier doit travailler dans la sécurité , avoir un visa permanent et des documents qui lui permettent de voyager lorsque son passeport est confisqué. «Une charte qu'on aimerait bien voir inscrite dans les textes de l'ONU à travers le gouvernement tunisien». Avant d'annoncer l'ouverture des JTC, Mme Latifa Lakhdar, ministre de la culture, a insisté sur le fait «qu'il ne peut pas y avoir de culture hors démocratie, ouverture et modernité et sans la protection des artistes». La ministre a également annoncé qu'elle transmettrait cette charte immédiatement au Chef du gouvernement. Après avoir fait défiler les photos de tous les comédiens qui ont disparuttent pendants ces deux dernières années, dont Taïeb Oueslati, Abdelmajid Lakhal, Habiba Snoussi, Monia Ouertani... le plus grand hommage de la soirée fut rendu au regretté homme de théâtre tunisien Ezzedine Gannoun à travers le témoignage d'artistes qui furent autrefois des étudiants dans son centre arabo-africain de formation théâtrale. Ils sont venus du Liban, du Mali, de Syrie et de tous ces pays avec lesquels l'homme de théâtre à travaillé sur scène. Des artistes qui déclamèrent des textes sur scène et qui déclarèrent que c'était Gannoun qui leur a insufflé l'amour du quatrième art ainsi que l'amour de la Tunisie tout court. Ensuite, la place a été donnée à la pièce Nostranum's en hommage à Ezzeddine Gannoun, son metteur en scène, texte de Leïla Toubel et produite en 2013 par le théâtre El Hamra. D'une actualité brûlante, cette pièce est l'autopsie d'un pays en effervescence et en proie aux querelles intestines après une révolution qui est venue à bout de 23 années de pouvoir absolu. Le texte de Leïla Toubel et la mise en scène de Ezzedine Gannoun sont un témoignage affligeant sur l'homme et son avidité de pouvoir et d'argent. Des comédiens liés à des chaises dont ils ne peuvent nullement se détacher est l'une des belles métaphores sur la course au pouvoir et l'aveuglement devant ses artifices. Un hommage quand bien même mérité à un dramaturge qui a voué sa vie au théâtre. Son œuvre continuera.