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Première élection libre du Président de la République dans l'Histoire de la Tunisie: Modernité, liberté, identité.. Le président doit placer son fauteuil dans le sens de l'Histoire
Le processus électoral atteint aujourd'hui, une étape capitale. Presqu'un mois après la tenue des élections législatives avec les résultats que tout le monde connaît, les Tunisiens se lèvent aujourd'hui, aujourd'hui, afin d'exercer leur droit de choisir celui qui occupera le fauteuil de président de la République. En trois années, les Tunisiens auront fait le déplacement trois fois, aux urnes pour élire leurs représentants. La première fois, le 23 octobre 2011, pour la défunte Assemblée nationale Constituante, la seconde, le 26 octobre dernier pour la Chambre des députés du peuple et aujourd'hui pour décider du prochain locataire de Carthage. Théoriquement, deux possibilités sont envisagées par les textes de lois, l'élection aujourd'hui d'un président avec 50% +1 voix, ou un deuxième tour, le 28 décembre prochain qui départagera les deux premiers. Ce soir, nous le saurons à partir des sondages sortis des urnes. Dans 48h, l'Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) proclamera les résultats en attendant les recours. Demain, lundi, devant quelle configuration de l'échiquier politique, les Tunisiens vont-ils se retrouver ? Dans la situation par laquelle passe le pays, le président serait-il appelé à aller plus loin que les limites techniques qui lui sont imposées par la Constitution, pour jouer un rôle plus grand en tant que dépositaire d'une vision pour la Tunisie ? Avec une Chambre des députés du peuple dont la composition n'accorde pas de majorité confortable au premier parti, que doit-il faire, qu'il soit de la même famille de ce parti ou de la famille opposée? Les scénarios ne sont pas nombreux, mais la conjoncture et les attentes des électeurs, ne devront-elles pas imposer au futur président de chercher une majorité présidentielle ? Saura-t-il épargner le pays de certaines crises ? «L'électeur est préfabriqué» Quelques heures après la fermeture du dernier bureau de vote en Tunisie, les Tunisiens et les Tunisiennes, seront fixés, peut être, sur celui qui sera le futur président ou l'un des deux candidats qui se disputeront le fauteuil de président de la République au palais de Carthage. L'universitaire Kaïs Saïed est sceptique et se désole d'une situation qu'il considère gênante. Il affirme au Temps : « Malheureusement, il faut souligner que tout au long de ces trois dernières années, on a fabriqué les électeurs, puis on a organisé les élections. La Constitution dispose que le suffrage est libre, mais les électeurs doivent faire très attention pour exercer librement ce droit. Aujourd'hui, dans notre pays, mais également dans d'autres, on manipule les esprits avant le jour du scrutin. On ne falsifie plus lesrésultats, mais plutôt on fabrique l'électeur. Il faut que les Tunisiens et les Tunisiennes en soient conscients. Alfred de Musset a dit : « le masque est trop beau, mais j'ai peur du visage ». Cela dit, lors du scrutin d'octobre dernier, presque les 2/3 de l'électorat potentiel a boudé les élections. La majorité des candidats à la présidentielle ne se sont pas posés la question pour savoir pourquoi. Les Tunisiens sont conscients que les programmes et projets des candidats, ou bien ne sont pas réalisables ou bien tout simplement pour légitimer un tant soit peu, une élection qui les rendra légitimes, mais en apparence seulement ». Pour les différents scénarii possibles, notre universitaire pense que la question qui sépare les deux camps est existentielle. Il va plus loin, en estimant que le Tunisien attend, observe et, probablement, ne dira pas son mot le jour du scrutin, mais il le proclamera haut et fort à la première crise qui éclatera. Il ajoute : « Une crise constitutionnelle s'annonce déjà, à propos de l'application de l'article 89 de la Constitution puisque le président de la république a adressé une lettre au chef du parti qui a gagné le plus grand nombre de sièges à la Chambre des Députés du Peuple (CDP), pour qu'il présente la candidature de celui qui va être chargé de former le futur Gouvernement, alors que la position de ce parti déjà annoncée depuis quelques semaines est de ne présenter son candidatqu'à un président élu. Voilà encore une fois, une preuve que la Constitution est toujours considérée comme un outil de gouvernement aux mains du pouvoir pour se légitimer, alors que les jeux sont presque faits. Comment l'un d'eux va passer ? Ou bien l'un va conforter la majorité au sein de la Chambre même si, elle n'est pas absolue. Sinon, l'autre doit cohabiter avec une majorité qui lui est déjà hostile. Un minimum de consensus est nécessaire pour cette cohabitation ». Président de tous les Tunisiens Cette élection présidentielle va jouer un rôle structurant dans le paysage politique, en complétant le tableau de la scène générée par les élections législatives. Kamel Jendoubi, président de l'ISIE de 2011 pense que le prochain président quel qu'il soit, va qu'il le veuille ou non, essayer de forger autour de lui une majorité présidentielle et se libérer des attaches partisanes en intégrant d'autres forces qui parleront en cohérence avec la musique présidentielle. Il précise au Temps : « C'est la nécessité qui le veut, pour jouer son rôle de représentation de la volonté nationale, arbitre et facilitateur. Cette logique de majorité présidentielle sera fondatrice. Le perdant avec ses 49% bénéficiera d'une force considérable qu'il peut utiliser pour recomposer l'opposition ». Donc, quel que soit le futur président, tout en remplissant ce que lui demande la Constitution, doit s'assurer de disposer d'une base suffisamment large. Or l'esprit de la Constitution est que l'exécutif est bicéphale. Et à notre interlocuteur de préciser : « la situation du pays va exiger et pousser le président à jouer un rôle plus politique que ce qui apparaît dans la Constitution et ce, dans tous les cas de figures. Le président va agir dans un contexte où dans la Chambre la situation tend vers l'instabilité. Toutes les formules de coalition sont difficiles politiquement et mathématiquement. On a du mal à imaginer une coalition où on serait à la merci d'un petit groupe. En même temps, une coalition au sein de la Chambre et du Gouvernement entre Ennahdha et Nida Tounès, va demander que le président soit présent pour être assuré que les choix soient en symbiose avec sa fonction. Il ne faut pas que sa fonction soit marginalisée. Le législateur a imaginé un régime parlementaire avec un président marginalisé, alors que tout concorde pour avoir un président plus fort. Ses compétences constitutionnelles vont être enrichies, renforcées et développées en dépassant les domaines réservés. Tout d'abord, il doit prouver qu'il est le président de tous les Tunisiens. Il doit veiller que les programmes mis en place touchent tous les Tunisiens. La tentation est grande pour que le parti gagnant abuse. L'opposition assume son statut dans un sens responsable, dans le cadre de la cohésion nationale. Des outils existent pour réaliser cette cohésion. Le président a une fonction morale et symbolique. Il peut aussi proposer des lois, les ratifie et dispose de l'arme redoutable de la dissolution entre les mains. C'est une arme fatale, surtout lorsqu'il juge que l'intérêt supérieur de la Tunisie l'exige. D'ailleurs, sa vision doit impacter la Tunisie. C'est à lui de donner le message aux Tunisiens et au monde et décider de la place de notre pays dans la mondialisation, un pays aux ressources limitées et aux grandes richesses humaines. Il ne se suffira pas de gérer les problèmes, il doit faire en sorte que la Tunisie ait un destin et qu'elle puisse l'avoir en continuité à son histoire. Il s'agit d'un message de libération de la résignation. Le regard des décideurs du monde est négatif. Ils croient que les Arabes et les Musulmans, sont génétiquement incapables de modernité. Le printemps tunisien a démontré le contraire. La Tunisie a prouvé qu'il n'y a pas de fatalité. Le chemin est possible et réel vers la liberté pour un peuple arabe et musulman très enraciné dans sa culture et même dans sa religion tolérante. Après le doute installé durant les trois dernières années, où une autre vision réduisait la nation à un territoire qui dépend d'un ensemble plus large et dont le destin n'est pas entre ses mains, du style turque de l'époque othomaneet l'échec de cette vision a été réalisé pacifiquement. Les valeurs essentielles et revalorisées se rétablissent. Aujourd'hui, le modèle tunisien doit être mis en harmonie avec la liberté. » En un mot, les Tunisiens ont besoin d'une modernité libre. « L'Etat doit devenir l'Etat des citoyens », conclut Kamel Jendoubi.