Cinéaste de la contradiction s'il en est, on a beaucoup parlé de « vérisme », à propos de ses œuvres précédentes, comme une manière de rappeler que Jilani Saadi, natif de Bizerte mais qui a longtemps vécu en France avant de rentrer en Tunisie, notamment pour tourner son premier long-métrage : « Khorma », sorti en 2002, n'affectionne pas particulièrement l'art de « l'ellipse », dans son acception très premier degré du terme, dans la mesure où édulcorer la réalité, à la sauce « touristico-promotionnelle » ce n'est pas vraiment sa marque de fabrique. Racoler, dans le sens d'un folklore à la petite semaine non plus. Il ira donc, d'emblée, à l'encontre de toute une vague de films tunisiens, qui semblent avoir choisi par avance, un chemin balisé de bonnes intentions, et prêtent le flanc par convenance, histoire de faire couleur locale. Quitte à déranger, il préfère marcher en solo, avec tout ce que cela suppose comme contraintes, mais ne pas trahir la vision qu'il a d'un cinéma qui ne serait pas conventionnel, qui serait sous-tendu par une idée de cinéma, par des exigences esthétiques, et une certaine éthique de l'image, qui ne supporterait ni compromis ni compromissions. Un méli-mélo, habilement ficelé, pour faire pleurer dans les chaumières ? Ni la « Tendresse du loup » (Ers Edhib) (2006), ni son dernier long-métrage : « Bidoun2 », seul film tunisien ayant été sélectionné dans le cadre de la compétition officielle de cette 25ème édition des JCC, ne tombent dans ce piège. Devancer le désir du public pour en faire un complice, Jilani Saadi n'y pense même pas, lui qui adore fouiller au scalpel, les soubassements d'une société tunisienne, qui n'a de cesse de se débattre dans ses multiples contradictions, et cela est valable hier comme aujourd'hui. La révolution est passée par là ? Il ne demande qu'à voir, et nous aussi... Parce que cette sorte de schizophrénie, enfouie, ce n'est pas d'hier qu'elle la traîne derrière elle, comme de vieilles casseroles, cette société que l'on dit en proie à de multiples mutations. Mais il se trouve qu'à moins de choisir la marge, à rebrousse-poil de tout ordre établi, même sans tomber dans les extrêmes, vivre, (sur)vivre?, devient forcément un exercice de haute-voltige. Mais quel en sera le prix ? Ne déflorons pas l'intrigue de «Bidoun2 », qui est passé hier à 17h30 au Théâtre Municipal, et qui sera projeté également demain à 14h, à la Salle Ibn-Rachiq, mais rappelons que l'univers de l'errance, et des questionnements, autour de la vie, du sens de l'existence, mais aussi, autour de la ville, fonctionnent comme autant de télescopages, d'un film l'autre, comme un fil rouge qui ferait lien, entre l'univers pasolinien de « Khorma », celui Fellinien de la « Tendresse du loup», en passant par « Winou Baba? » (Où est mon père ?), jusqu'à ce présent long-métrage, qui arpente également des chemins de traverse, avant de débouler... vers la lumière ? Cela dépendra de l'angle où achoppera le regard...