A la rue Dabbaghine, ils font de la résistance. Les arrière-petites boutiques sont pourtant chargées de mémoire et d'histoire et demeurent le haut lieu d'un savoir étouffé... - Non loin de la place de la monnaie, les bouquinistes de la rue Dabbaghine, installent leurs marchandises aux premières lueurs du jour. Hiver comme été, qu'il vente ou qu'il pleuve, comme par stoïcisme, les marchands de vieux livres font étalage de leurs marchandises au ras du sol. Dans ce bric-à-brac de vieux ouvrages, la perle rare peut être dissimulée dans l'un des amas qui au premier regard, paraît insignifiant. Des livres de décoration, d'autres portant sur les finances ou l'économie et bien d'autres touchant à la culture islamique...Tout y est et tout un chacun peut y trouver ce dont il a besoin. Quitte à faire le tour de tous les étalages de la rue Dabbaghine voire même de ceux de la rue d'Angleterre, de la Médina de Tunis, ou encore d'aller se procurer des titres chez les bouquinistes qui affichent une étiquette moderne. Ce sont ces librairies de vieux livres qu'on retrouve dans des quartiers modernes à El Manar (Colisée Soula) ou à la Marsa, etc. Vendeur de savoir Les bouquinistes se font de plus en plus rares. On en est conscient. Car c'est un commerce qui n'apporte pas beaucoup à part la satisfaction morale d'être un vendeur du savoir, commente un bouquiniste qui sirotait un café en plongeant dans la lecture d'un roman qu'il exposait à la vente. Les bouquinistes seraient-ils devenus les consommateurs de leurs propres marchandises ? « qu'il s'agit plutôt d'une relation qui le lie au livre et n'a rien à voir avec la désaffection du public tunisien pour la lecture», répond-il en continuant : « Pour travailler dans un domaine, il faut en être imprégné. J'aime bien être entouré de livres. Je suis le plus ancien des bouquinistes. J'exerce dans ce domaine depuis mon jeune âge. Cela fait plus de trente ans que je siège dans la même place. Tout le monde me connaît ici même les poètes, écrivains, et toute la frange d'intellectuels qui vit en dehors de la capitale. Au fil des temps je suis devenu ami avec certains parmi eux. Bouzaiène Saadi, Hafedh Mahfoudh, Noureddine Sammoud, Habib Jgham et Jaafar Majed étaient parmi mes clients fidèles», se rappelle notre interlocuteur. Cacophonie des lieux Pour la petite histoire, les bouquinistes d'antan donnaient de la vieillesse à l'ancienne ville européenne dont le charme suranné était rehaussé par un paysage intellectuel et urbain qui tend à disparaître. Aujourd'hui, ce serait, plutôt, un lieu chargé de souvenirs où des nostalgiques viennent se ressourcer de temps en temps s'approvisionnant au passage de quelques titres. Les choses ont changé. Mes clients, actuellement sont souvent les employés qui viennent acheter des objets pêle-mêle auprès des marchands à la sauvette et se trouvent attirés par un vieux magazine ou un parascolaire ou parfois même un roman. Les bouquinistes de la rue Dabbaghine étant installés aux côtés des vendeurs de marchandises hétéroclites se trouvent quelque peu pris dans la cacophonie que laisse dégager les lieux. «Toujours est-il qu'on espère avoir une légitimité pour occuper les lieux. C'est la seule chose qu'on demande aux responsables, car c'est notre gagne-pain», confie Rabah qui s'est invité à la discussion pour évoquer les désagréments administratifs auxquels font face les bouquinistes de la rue Dabbaghine. « Il est vrai que je possède une échoppe, mais elle est située dans une impasse et n'attire pas les clients. Donc je suis obligé d'exposer mes livres ici même. » dit-il Des éditions prestigieuses et des titres non moins saisissants, sont disposés à même le sol dans « la librairie à ciel ouvert » que possède Rabah. On est attiré par un ouvrage déclinant les batailles de Salah Eddine Ayoubi et de bien d'autres personnalités du temps de ‘‘l'héroïsme arabe''... C'est de l'histoire... Hélas.