La communication via les réseaux sociaux prend décidément de plus en plus d'ampleur en Tunisie. Même les institutions de l'Etat s'y mettent et communiquent désormais des informations capitales sur leurs pages officielles. Pas plus tard que lundi soir, une vidéo montrant Houcem Ben Zid, l'un des trois accusés du meurtre du policier Mohamed Ali Charaabi, assis à terre et encerclé par des agents de l'ordre lors de son arrestation, a circulé hier sur les réseaux sociaux. Bien que tous les yeux étaient rivés sur la France, suite au carnage perpétré au siège de Charlie Hebdo, cette séquence filmée n'est pas passée inaperçue. Elle a suscité diverses réactions, de la colère à la compassion en passant par l'indignation. Retour sur la cybercommunication et son impact dans la lutte contre le terrorisme. Cheveux ébouriffés, l'un des hommes le retenant par sa queue de cheval, le présumé assassin est en pleurs et peine à répondre aux questions, ponctuées de gros mots et de menaces, qu'on lui pose. Une autre vidéo, diffusée le 6 janvier sur la page officielle du Ministère de l'Intérieur sur Facebook, a également fait couler beaucoup d'encre. Intitulée « Les terroristes qui ont assassiné le martyr Mohamed Ali Charaabi à El Fahs, au gouvernorat de Kairouan », elle a été visionnée plus de 238 000 fois et partagée plus de 7300 fois. Cette séquence filmée montre les aveux des trois présumés tueurs et dans laquelle chacun d'eux rejette l'accusation sur les deux autres. « C'est Mohamed qui a commencé », « Non, c'est Houcem qui a porté le premier coup », « C'est Mohamed qui a égorgé l'agent », « Non, c'est Houcem qui a tranché la tête »... Une vidéo de 9 minutes dans laquelle on apprend que les trois hommes complotaient depuis un bon moment, quinze jours selon l'un et trois mois selon l'autre, pour assassiner un ou plusieurs agents de l'ordre. On y voit aussi, déposés sur une table, de gros couteaux et couperets, supposés être les armes du crime. L'affreux meurtre, que les assassins ont perpétré selon leurs propres aveux après avoir prié « al ichaa », était donc prémédité. Réactions diverses La diffusion de ces deux vidéos n'a pas laissé de marbre les internautes et leurs réactions ne se sont pas fait attendre. Pour certains, les aveux contradictoires des présumés terroristes jettent un sérieux doute sur toute l'opération. Pour d'autres, la diffusion de telles vidéos ne sont pas un bon signe pour le processus démocratique. Ahmed Rahmouni, Président de l'Observatoire Tunisien pour l'Indépendance de la Magistrature (OTIM), estime en effet que « les aveux télévisés sont une pratique de régimes non démocratiques ». L'avocat Ghazi Mrabet se dit choqué par ces aveux filmés et estime qu'elles représentent une sérieuse atteinte aux droits de l'Homme: « Je suis choqué que le Ministère de l'Intérieur ait filmé et diffusé cette vidéo. Au-delà de la présomption d'innocence et du secret de l'instruction en cours pour une affaire aussi importante , montrer des inculpés effrayés , menottés et à visages découverts touche à la dignité humaine et laisse planer le doute sur les conditions de la tenue d'un procès équitable . Si on ajoute à tout cela le fait que la vidéo montre un agent de la gendarmerie mais également l'un des inculpés toucher de leurs mains nues des pièces à conviction saisies, nous entrons réellement dans le tragi-comique. Le régime de Bourguiba-Ben Ali a souvent utilisé ce genre de vidéos pour effrayer l'opinion publique mais ces méthodes n'ont jamais guéri le mal. » Troisième son de cloche, ceux qui y voient une campagne choc qui vise à déstabiliser les terroristes et à dissuader les sympathisants de l'extrémisme de commettre de lâches attentats assassinats et d'atrocités à l'avenir. Une affaire de com' Dévoiler le visage des terroristes, leurs armes, les montrer affaiblis et diffuser leurs aveux, voici ce qui semble faire partie du plan de communication établi par le Ministère de l'Intérieur pour lutter contre le terrorisme et prévenir les crimes extrémistes. Mais est-ce efficace ? Pour Dr Ayadi, psychothérapeute, cette méthode peut être percutante à court terme mais la stratégie de la peur et de la diabolisation des terroristes ne régleront jamais le problème en profondeur. Pour preuve, en 23 ans, la politique de la terreur adoptée par Ben Ali n'a fait qu'amplifier le phénomène. Pour la spécialiste, montrer des terroristes en situation de vulnérabilité, menottés et humiliés peut certes dissuader certains mais peut aussi animer l'esprit de revanche chez d'autres. Titillant leur sentiment d'appartenance, ces séquences ravivent leur haine et les incitent à venger leurs pairs, leurs « frères d'arme ». Dans leurs têtes, commettre un meurtre est un devoir et être arrêté est un honneur. Rien n'équivaut ce moment de gloire. L'idée de sortir de l'anonymat et de bénéficier d'une certaine médiatisation et notoriété est séduisante pour certains, même si c'est pour les dénigrer, mépriser et désigner comme ennemis publics numéros un. Combattre le terrorisme par l'image et diffuser ces vidéos n'est donc pas aussi efficace que prévu et ne produit pas forcément le résultat escompté. Toujours selon Dr Ayadi, la solution résiderait, entre autres, dans la neutralisation des mosquées et la sensibilisation des enfants, dès leurs premières années d'école au danger terroriste. La mission semble périlleuse et le chemin semble encore si long !