Une petite ruelle perdue dans le grand Tunis, une toute petite entrée avec une équipe de sécurité impressionnante. Un passager ne devinera jamais ce qui se cache derrière cette petite porte noire avec les hommes qui la gardent. Nous avons pu franchir cette porte pour découvrir un autre monde qui nous a emmenés loin, très loin, du quotidien tunisien. C'est le propriétaire du local qui nous a reçus le sourire aux lèvres. Il a bien voulu nous accorder quelques minutes de son temps pour nous expliquer de quoi il s'agissait. « Je suis dans le domaine du tourisme et de la restauration depuis longtemps. Six ans en arrière, j'ai voulu relancer mon buisines en mettant en place un nouveau concept : un espace touristique d'animation. Je ne pensais pas que cet espace allait devenir une maison où se retrouve, presque tous les soirs, la communauté Black résidant en Tunisie. » Le lieu, nous expliquait le propriétaire, était devenu une ‘maison' où la communauté Black se retrouvait pour célébrer ses soirées, fêter ses anniversaires et tenir ses traditions. « En 2009, un groupe de six étudiants blacks étaient venus me voir, ils voulaient que je leur loue l'espace pour quelques-uns de leurs événements. Au début, cela a commencé de la sorte. Au bout d'un an, j'ai fermé l'espace, j'ai lancé des travaux, j'ai investi au niveau de la sonorisation, de l'habillage et de l'insonorisation. Trois mois après, j'avais obtenu une autorisation de la part du ministère du Tourisme pour un espace d'animation touristique. J'ai repris contact avec lesdits étudiants (qui, auparavant, se retrouvaient dans un hôtel de la banlieue nord de Tunis, cet hôtel a fini par fermer, ils sont allés vers un autre restaurant du quartier, qui a, lui aussi, fermé ses portes) et j'ai relancé l'activité. A aucun moment je ne pensais que cela allait devenir un espace exclusif pour la communauté Black. Les choses se sont déroulées d'une façon naturelle, chacun des habitués ramenait des nouveaux clients. Dès lors, j'ai commencé à leur organiser des soirées spéciales : j'avais invité de grands DJ connus, des artistes du Niger, du Congo, du Mali, du Cameron, de la Côte d'Ivoire, du Sud d'Afrique etc. Du coup, je commençais à recevoir, à part les étudiants, les footballeurs, les employés des ambassades et les hauts fonctionnaires travaillant ici. Petit à petit, cet espace est devenu une référence où tous les blacks aiment se retrouver entre eux. Comme le concept à évolué, j'ai fait appel aux services d'un directeur artistique qui a pris la responsabilité d'organiser les soirées. » Nous avons demandé à rencontrer le directeur artistique, une demande qui ne nous a pas été refusée. Surnommé ‘Papa L.', le jeune artiste a pris place pour nous raconter son expérience. « J'étais un habitué de cet espace comme tous les autres clients. Un jour, le propriétaire m'a appelé et m'a demandé si je voulais bien m'occuper de l'organisation des soirées. J'ai accepté avec joie la mission. Ici, je m'occupe de tout : des réservations, aux thèmes des soirées spéciales, des menus spéciaux, de la musique, de la sélection des DJ etc. » Papa L. est un jeune, ayant la vingtaine. Nous lui avons demandé pourquoi il était nommé Papa. « Chez nous, quand on aime et respecte une personne, on l'appelle Papa, c'est un signe de respect et de reconnaissance ». Après ces discussions, nous avons demandé l'autorisation de monter voir l'espace, découvrir ce monde tellement lointain et, pourtant, existant en plein cœur de Tunis. Derrière la petite porte noire se trouvent des escaliers qui mènent vers un espace fermé, où la musique et la danse battent leur plein. Une clientèle exclusivement black, ayant des âges différents. Des groupes étaient dispersés un peu partout dans la salle, et sur chaque table sont inscrits les noms de grandes marques d'habillement internationales. « On aime ces marques, on aime être bien habillés, comme chaque groupe aime avoir sa propre table, on a demandé à chacun d'eux de choisir un nom de marque pour marquer sa table préférée ». Papa L. nous a donc expliqué l'énigme des noms des marques. Une atmosphère de bon enfant règne. Les gens dansaient, buvaient et chantaient. Un autre monde complétement lointain de notre quotidien. Une fois installés, on a repris notre discussion avec le propriétaire « La danse et la musique font partie de leurs traditions. Leur mode de vie est tout aussi intéressant : ils aiment vivre le soir, leurs soirées ne commencent jamais avant une heure du matin. » Notre discussion a été interrompue par un client qui était venu saluer le proprio, l'appellation ‘Parrain Dodo' a retenu notre attention. « Eh oui, ici, on me surnomme Parrain Dodo, je vous rassure, je ne vends pas de drogue (rire). Avec le temps, ma relation avec les habitués de cet espace a changé, ce n'est plus une relation de commerçant/client, c'est devenu une relation de fraternité et de complicité. C'était venu tout seul, quand ils avaient un problème, d'argent, de conseils, d'études ou autre, ils venaient me voir. Je les conseille, je les oriente et je veille à leur bien-être. Par exemple, quand la période des examens approche, je ferme l'espace pendant la semaine pour qu'ils restent concentrés sur leur révision. Je suis un peu leur père spirituel, pour moi, ils sont ma deuxième famille. » La clientèle grandissait de plus en plus en cours de la soirée, et l'ambiance ne faisait que s'améliorer. Nous avons demandé au Parrain Dodo s'il ne pensait pas à un projet plus grand que cet espace. « Oui en effet. J'y pense de plus en plus et j'ai même commencé à en parler avec mon avocat. Je veux créer une association contre les discriminations où les habitués de cet espace seront des acteurs réels. Par ailleurs, je pense mettre en place en Tunisie un festival de la musique Zouk, un concept auquel on n'est pas très habitués ici. » On est allé voir l'une des habituées de l'espace pour nous renseigner sur les derniers événements, survenus après le dernier match de l'équipe nationale tunisienne. « On n'a eu aucun problème ici, ici on est en sécurité, personne n'ose nous attaquer. » Un espace qui a offert un lieu où la communauté Black se retrouve, tous les soirs, avec joie, pour fêter et pour rester attachée à ses traditions dans une atmosphère bon enfant où toutes les formes du racisme et de discrimination sont exclues.