Bochra Bel Hadj Hmida, avocate, militante et députée du bloc parlementaire de Nidaa Tounes nous a reçus pour répondre à nos questions concernant l'avenir du mouvement Nidaa Tounes, la priorité des projets de loi et les équations délicates tels que la lutte contre le terrorisme, les droits de l'Homme, la loi de la criminalisation des agressions contre les agents de sûreté et la dignité des citoyens ... Le Temps : On a appris que vous venez de présenter un projet de loi pour former un bloc parlementaire féminin, où en êtes-vous et quels objectifs escomptés pour une telle formation ? Bochra Bel Hadj Hmida :Ce n'est un projet de loi mais unamendement de la loi intérieure de l'Assemblée. Le but c'est de créer une interférence entre les députées des différents blocs en leur permettant de coordonner dans l'étude et la mise en place des projets de loi. -Ne s'agit-il pas de l'initiative que vous avez voulu lancer il y a quelques mois de cela au sein de cette même Assemblée et qui vous a été refusée ? Oui c'est bien cela. Cette fois l'initiative est passée parce que la première fois, il y a eu des propositions de la part de deux blocs seulement, le mouvement d'Ennahdha et celui de Nidaa Tounes. Aujourd'hui, j'ai pu collecter une signature de chaque bloc, ce qui m'a permis d'obtenir la majorité pour que le remaniement puisse passer. -Vous êtes la présidente de la commission des droits et libertés, en tant que telle, vous avez demandé à ce que la loi de la lutte contre le terrorisme passe par votre commission, où en êtes-vous avec cette loi ? En fait j'ai demandé à ce que cette loi soit revue par toutes les commissions. J'ai reçu une réponse officielle et le projet de loi va être examiné par la commission des droits et libertés. Je profite de votre question afin d'éclaircir un point très important : que l'on cesse de dire qu'il n'y a pas de loi de lutte contre le terrorisme. La loi de 2003 existe et est toujours applicable même si certains de ses points restent sujets de débat. -Est-ce que cette loi était appliquée et prise en compte lors du règne de la Troïka ? Il faut poser cette question aux juges. -Je vous la pose en votre qualité d'avocate. En tant qu'avocate, et quand je vois les PV des procès, je ne peux que constater que la loi de la lutte contre le terrorisme était belle et bien appliquée. Mais cette loi fut l'objet d'une campagne qui a fait que certains de ces points ont été rejetés par certaines personnes. Plusieurs politiciens ont évoqué cette loi en appelant à son amendement. -Et que pensez-vous de la position des défenseurs des droits de l'Homme quant à cette loi ? Quelle solution à l'équation droits de l'Homme et lutte contre le terrorisme ? Quand on est défenseurs des droits de l'Homme, tout ce qui nous importe c'est de défendre les droits des personnes sans se soucier de ce qu'elles sont. L'équation que vous venez de poser est des plus difficiles. Il faut chercher le juste milieu entre les droits de l'Homme, la lutte contre le terrorisme et les procès équitables. Aujourd'hui, on est face à un débat historique et il faut commencer par l'assumer parce que, depuis la Révolution, on n'a jamais eu de vrai débat. Chacun donne son avis tout en étant convaincu que son point de vue est la vérité absolue. J'estime que, puisque nous avons une loi qui est en train de s'appliquer comme il se doit, nous devons prendre tout notre temps dans l'étude de la nouvelle loi de la lutte contre le terrorisme afin d'éviter que des personnes soient injustement impliquées dans l'avenir. -En tant que défenseur des droits de l'Homme, que pensez-vous du fait qu'on donne la parole aujourd'hui aux familles des terroristes ? Moi j'estime qu'il faut donner la parole aux familles des terroristes pour que ces dernières nous expliquent comment une personne ‘normale' puisse virer vers l'extrémisme et le terrorisme. Si ces familles sont prêtes à nous aider dans la lutte contre le terrorisme, il faut les persuader à témoigner dans ce sens-là. En revanche, il ne faut pas donner la parole à ces familles si elles cherchent à gagner la sympathie générale ou à trouver des excuses à leurs enfants. -Parmi les projets de loi qui vont être présentés à l'Assemblée, existe celui de la criminalisation des agressions contre les agents de la sûreté. Un projet qui dérange assez en ce moment et qui coïncide avec la crainte qu'expriment certains de voir la lutte contre le terrorisme empiéter sur les acquis de la liberté, qu'en pensez-vous ? Ce projet de loi n'a pas encore été exposé à l'Assemblée. Cependant, on est conscient que la sécurité est aujourd'hui la priorité des tunisiens, toute tentative de déstabilisation de cette sécurité est une manière de banaliser le terrorisme. Maintenant, il existe une préoccupation, celle que le citoyen, dans sa vie quotidienne, se trouve par moment confronté à des dépassements de la part de la police. Pour moi, le problème ne réside pas réellement dans les lois qu'on peut adopter mais dans l'ambiance générale qu'on peut instaurer. L'agent de police, quand il est bien formé et bien équipé, peut assurer au citoyen une atmosphère de confiance mutuelle. Il existe bien-sûr la voie de la justice : quand le citoyen se fait accompagner par un avocat, ce n'est pas suffisant parce que, généralement, le juge se contente du PV de la police sans essayer de lire derrière. Il faut que l'on forme nos agents de police sur le respect qu'il faut avoir envers les citoyens. -Vous faites partie des personnes que la loi 52, relative à la consommation du cannabis, dérange. Est-ce que vous travaillez dessus ? Il existe un projet de loi, élaboré par le ministère de la Justice, qui va bientôt être présenté devant les députés de l'ARP. Je comptais effectivement m'en occuper, mais quand j'ai appris que le ministère s'y est lancé, j'ai décidé d'attendre son initiative. Ce projet de loi va alléger la peine pour les consommateurs du cannabis et surtout ceux qui l'essaient pour la première fois. De plus, cette révision de loi va proposer l'ouverture et l'orientation des consommateurs vers les centres de désintoxication pour combattre efficacement la tentation de nos jeunes vers tous types de drogues. Je pense qu'aujourd'hui il y a une politique claire là-dessus parce que l'image des milliers de jeunes qui croupissent en prison pour consommation de cannabis ne sert plus personne et surtout pas les jeunes prisonniers qui, en plus, risquent d'être attirés par l'extrémisme dans leurs cellules. -En tant que militante féministe, comment évaluez-vous le programme des cent premiers jours du ministère de la Femme ? L'initiative de créer des foyers pour les femmes victimes de violence est intéressante mais je pense qu'il ne s'agit pas de quantité mais de la qualité de ces foyers : avec quelle politique vont-ils être gérés ? Quand on accueille des femmes victimes de violence, l'objectif ne doit pas être focalisé uniquement sur leur réintégration dans la société mais, aussi, sur comment les réhabiliter et les faire sortir du traumatisme dans lequel elles vivent. Cela demande bien évidement que ces femmes soient entourées par des compétences bien expérimentées. -Si l'on revenait un peu au mouvement Nidaa Tounes. Après la première réunion de son bureau politique, on nous a appris le report de votre premier congrès national pour septembre prochain alors que cela devait avoir lieu en juin, quelle est la raison de ce report ? La décision du report n'a pas encore été prise. Aujourd'hui nous constatons qu'après trois élections, notre mouvement doit s'assurer que son prochain et premier congrès soit démocratique et transparent. Pour satisfaire ces conditions, il faut réparer les dégâts causés par plusieurs problèmes par lesquels nous sommes passés. -Est-ce que vous estimez que les dernières crises par lesquelles le mouvement est passé dernièrement sont dues au choix que vous avez fait de reporter le congrès national pour l'après élections ? J'espère bien me tromper mais je pense qu'il y a eu une volonté de faire main basse sur le mouvement avec la contribution de personnes qui sont en dehors du mouvement. -Est-ce qu'on parle ici du fameux ‘esprit d'héritage' attribué à Hafedh Caïd Essebsi ? Non pas l'esprit de l'héritage mais plutôt celui de l'exclusion de certaines tendances existantes au sein de Nidaa Tounes. Je pense que cette volonté de certains a été exploitée dans le but de régler certaines questions sérieuses. C'est-à-dire que Nidaa Tounes fonctionnait grâce au charisme de Béji Caïd Essebsi qui, une fois parti, a laissé un vide au sein du mouvement. Il fallait donc créer de nouveaux mécanismes nécessaires à la continuité du mouvement. Le comité constitutif a donc répondu en élisant un bureau politique. Il faut maintenant avancer en empêchant toute personne étrangère au mouvement de faire main basse sur le Nidaa. La seule manière dont une tendance peut détenir Nidaa Tounes, c'est l'appareil des élections, tout ce qui n'entre pas dans ce système ne peut être accepté. Le report aujourd'hui, qui n'est pas encore confirmé, ne représente pas un danger tant que l'on nous fixe une date pour la tenue de ce congrès. Les querelles au sein de notre mouvement doivent cesser parce qu'elles ne servent aucune tendance et qu'elles affaiblissent le mouvement tout en démoralisant les Tunisiens. -Quand Nidaa Tounes était en pleine crise, ses dirigeants, dont vous faites partie, avaient persisté et signé que l'avenir du pays était intimement lié à celui du mouvement. Cela a dérangé beaucoup de personnes qui ont estimé que c'était un constat prétentieux de votre part... Je comprends ces personnes et le fait qu'elles puissent trouver cette association insultante. Mais ce que je voulais dire par là c'est que, quand Nidaa Tounes a remporté les élections, il a réussi à instaurer un certain équilibre dont le pays avait besoin. Aujourd'hui, si jamais par malheur le Nidaa venait à disparaître, on reviendrait à la case départ et on revivra ce que l'on avait vécu en 2011. Si cela ne nuit pas à notre processus démocratique et par conséquent à la Tunisie, je présente mes excuses d'avoir initié une telle association. -Même si on connaît d'avance votre réponse, on vous pose tout-de-même la question, pensez-vous que Nidaa Tounes puisse tenir jusqu'à la date de son congrès ? Si Nidaa Tounes arrive à survivre, et je pense qu'il survivra, cela sera grâce au sens patriotique de ses dirigeants. Les fondateurs et les militants de Nidaa Tounes ont bâti leur mouvement par moment dans la douleur et les divergences mais cela ne les a jamais empêchés de rester unis. Aujourd'hui, cette union est encore plus précieuse puisqu'on est devant une responsabilité historique qu'il faut assumer. -Pour finir, on aimerait avoir votre avis quant à la réconciliation nationale proposée dernièrement par Béji Caïd Essebsi. Aujourd'hui, la réconciliation n'est pas un choix pour la Tunisie mais une nécessité. -Que dites-vous aux personnes qui estiment qu'une réconciliation nationale n'est pas possible avec l'impunité ? Il n'y aura jamais d'impunité en Tunisie. Ce pendant, on ne peut pas continuer à interdire aux personnes de voyager et à leur coller d'autres procès alors qu'elles en ont déjà assez. La Tunisie ne supporte plus cette situation à laquelle on doit mettre fin tout en veillant aux droits des familles de toutes les victimes. Propos recueillis