A l'orée du printemps, l'artiste peintre Ali Znaïdi fait doublement l'événement. En effet, le Palais Khereddine accueillera une rétrospective de ses œuvres à partir du jeudi 23 avril 2015 alors que les éditions Mim lui consacrent un ouvrage sous le signe évocateur de la mémoire renaissante. L'année 2015 restera pour Znaïdi celle de l'affirmation et de la reconnaissance par ses pairs et par les institutions de la complexité et de la richesse d'un parcours artistique. Actif depuis quatre décennies, cet artiste accomplit en effet une synthèse entre de nombreux courants et évolue à cheval entre plusieurs tendances. Salué par la critique et le public, cet artiste a aussi évolué sans cesse, approfondissant son œuvre et contribuant à la vie des arts. Un adepte de l'échappée belle Cette consécration fort méritée, Ali Znaïdi la doit à une persévérance exemplaire dans ses recherches plastiques. En quarante ans de présence artistique, il a forgé non seulement un label mais aussi une image de marque faite de rigueur dans l'approche et surtout de constance dans les choix. C'est un survol de son œuvre auquel nous invitera la rétrospective qu'organise le musée de la ville de Tunis que dirige Souad Mahbouli, au Palais Khereddine. Cent cinquante œuvres de ce maître qui évolue entre figuration et abstraction permettront de mesurer le parcours de cet artiste et découvrir le subtil filigrane qui relie quatre décennies de travaux artistiques. Pour Ali Znaïdi, l'œuvre d'art est une transfiguration du réel, un déplacement de sens qui recrée une réalité sublimée. Fortement ancrée dans le patrimoine, l'œuvre de Znaïdi utilise ce socle pour prendre un irrésistible essor et proclamer la plasticité de ce patrimoine. Alliant la rigueur de l'enseignant aux recherches formelles de l'artiste, Znaïdi est aussi un adepte de l'échappée belle, de la fuite vers un réel décalé, riche en réminiscences et fourmillant de détails signifiants. En effet, cet artiste, malgré les apparences, raisonne en structuraliste, cherche à débusquer signifiants et signifiés du langage plastique en partant du réel le plus prosaïque pour instaurer une dissémination essentielle. Le patrimoine dans lequel il ancre sa démarche, est tout sauf ressassement car Znaïdi réinforme ce patrimoine par le langage plastique. Contrairement à un Yahia Turki, simplement installé dans la reproduction du réel, Znaïdi utilise ce qu'il voit comme prétexte pour nous donner à voir les distorsions plastiques, les transgressions artistiques qui donnent une autre texture à la réalité. C'est à ce niveau que se situe chez lui la lecture du patrimoine. Ainsi, il fondra lettres de l'alphabet, symboles orientalisants, scènes de rue et imageries personnelles dans un alliage unique car exprimant la vision du monde de l'artiste. L'œuvre de Znaïdi est en effet une fusion, une synthèse, un creuset dans lequel se mêlent les signes et symboles de la tradition avec l'originalité d'une démarche plastique qui ne cherche pas à reproduire le réel mais tente de le dépasser. Nous sommes ainsi au cœur de l'œuvre d'art, à la croisée du désir de peindre pour exprimer un réel en soi, un monde propre à l'artiste. Profondément originales, les œuvres de Znaïdi sont à nulles autres pareilles. Elles se distinguent de l'univers de plusieurs compagnons de route à l'image de Abdelmajid Bekri ou Mahmoud Shili. D'ailleurs, regarder l'évolution de Znaïdi à travers ses œuvres choisies sur un parcours de quatre décennies rend compte non seulement du parcours de cet artiste mais permet aussi de mesurer cette tectonique des influences qui a structuré le mouvement artistique tunisien dans le dernier quart du vingtième siècle. Une tectonique des influences L'œuvre de Znaïdi se comprend mieux lorsqu'on l'appréhende en regard des rapports complexes qu'entretient la génération de cet artiste avec l'Ecole de Tunis et sa manière de rendre le patrimoine. Znaïdi peut être mieux compris lorsqu'on l'envisage en synergie avec le bouillonnement des groupes Attaswir ou Irtissem, avec les calligrammes iconoclastes de Nja Mahdaoui ou la réflexion théorique des artistes qui prônaient le recours au module pour transgresser la reproduction ad nauseam du patrimoine. De ce fait, la rétrospective Znaïdi devient un fil rouge qui remonte la généalogie des arts plastiques en Tunisie et réinvente la mémoire d'une génération. Ce terme de "mémoire réinventée" est en ce sens une belle trouvaille car il rend compte aussi bien de l'œuvre de Znaïdi et sa posture dans le monde des arts que des rapports de ce plasticien avec sa propre génération artistique. L'ouvrage qui vient de paraître aux éditions Mim rend compte donc d'un parcours avec ses lignes de force, ses hésitations et ses convictions. Il permet aussi d'appréhender la dynamique des arts plastiques en Tunisie pendant quasiment un demi-siècle et souligne les interactions de l'œuvre de Znaïdi avec le mouvement artistique dans son ensemble. Ainsi, en ce mois d'avril 2015, Ali Znaïdi vivra une consécration amplement méritée et marquera une nouvelle balise, un nouveau départ dans un parcours entre ombres et lumières, surfaces impressionnistes et volumes orientaux, abstractions raisonnées et figurations d'outre-réel. C'est un hommage à un grand artiste que s'apprête à accueillir le Palais Khereddine. Et c'est aussi le nécessaire hommage à un homme à la modestie légendaire, un homme dont la générosité dans l'effort et dans la transmission du savoir sont devenues proverbiales. Cette rétrospective Znaïdi et l'album qui la prolonge sont incontestablement l'événement pictural de ce printemps, un événement qui marie la nostalgie qui émane du patrimoine avec le formalisme qui naît des recherches picturales d'un artiste emblématique de notre peinture contemporaine.