Photographes et collectionneurs se sont associés pour une exposition documentaire et artistique accueillie par la zaouia Sidi Aïssa, en plein cœur de Hammamet. Travail de mémoire et regards de photographes font renaître le patrimoine d'une ville et sa vie quotidienne. Une belle découverte... L'association de sauvegarde de la médina de Hammamet organise jusqu'au 23 avril une exposition de photographies intitulée "Hammamet, vue, aimée, partagée..." avec la participation d'une dizaine d'artistes de la région et la présentation d'un important fonds documentaire. Cette exposition dont le finissage aura lieu aujourd'hui, se tient au siège de l'ASM de Hammamet, précisément dans la zaouia de Sidi Aïssa, un sanctuaire du seizième siècle, reconstruit deux siècles plus tard et ayant accueilli la confrérie des Aïssaouias de Hammamet. C'est dire si cette exposition patrimoniale a un pouvoir évocateur! En franchissant le seuil de la zaouia, ce sont les réminiscences des saints patrons de la ville qui renaissent. Car ici, la vénération de Sidi Bou Hadid qui combattit les Normands au douzième siècle ou celle de Sidi Bou Ali, ascète enterré en plein cœur de la forteresse de la Kasbah, demeurent vivaces. C'est à cette hagiographie des saints que l'on pense en entrant dans la vaste cour qui accueille l'exposition et c'est aussi à la longue histoire de Hammamet qu'on finit par songer. Car ces photos, que le visiteur découvre, représentent bien plus que les personnes et paysages qui les habitent. En fait, elles font défiler les mille facettes de l'histoire hammamétoise: celle des gens simples et des terroirs, celle des sites historiques et aussi celle d'une cité qui, d'un village de pêcheurs est devenue une destination touristique internationale. Tout cela revit, frémit sous le regard du visiteur qui se retrouve face à des documents anonymes, des photographies fanées ou flamboyantes qui racontent l'histoire d'une ville et de ses habitants. L'histoire millénaire de Hammamet Il y a d'abord la grande histoire, celle que suggère la beauté fluide de la médina et de son fort. Dans un passé pas si lointain, cette médina portait le nom de Ksar Hammamet et constituait l'avant-port de Ksar Zeït. La mémoire historique de Hammamet est fabuleuse. Au tout début était Siagu que les Arabes rebaptisèrent Ksar Zeït et qui fut une station caravanière. Que reste-t-il de l'antique Siagu aujourd'hui? Pas grand-chose sinon les pans d'une citadelle byzantine et des tronçons d'un aqueduc qui reliait cette cite à Pupput dont il ne reste que des ruines. Que sont devenues Siagu, Pupput ou Tinnissut? Cette dernière n'est connue que par des fragments épigraphiques et aurait été abandonnée à la fin du quatrième siècle. L'antique Tinnisut correspondait à la médina actuelle. C'est dans son sanctuaire, mis à jour en 1908, que se trouvait la fameuse statue leontocéphale qui fait la fierté du musée du Bardo et, actuellement, le bonheur des visiteurs du musée de Leyden, aux Pays-Bas, où elle est exposée. La mémoire médiévale de Hammamet se souvient aussi des ribats aghlabites, centres de guet et logements des mourabitouns, ces combattants de la foi qui scrutaient la mer de leurs fortins. Sous les Hafsides, Hammamet deviendra capitale du Cap Bon, résidence du gouverneur et siège d'une garnison chargée de protéger le golfe des attaques espagnoles et siciliennes, nombreuses au quatorzième siècle. La Kasbah témoigne de cette histoire troublée tout comme l'enceinte de la médina et les portes de la ville. Tous ces lieux remontent au neuvième siècle et ont connu les mêmes restaurations au fil des ans. La mémoire hammamétoise a des racines plus profondes encore. Il suffit de songer aux caveaux de Sidi Latrach, sur les flancs du Djebel Mangoub pour remonter jusqu'à la préhistoire, ses nécropoles et ses peintures rupestres, visibles à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de la médina. Toute cette histoire revit dès que l'on traverse le seuil chargé de mémoire de la zaouia de Sidi Aïssa. Toute cette histoire renait aussi grâce aux photographies qui sont exposées et à leur puissant pouvoir d'évocation. Entre fonds documentaire et œuvres de création L'exposition "Hammamet, vue, aimée, partagée..." est formée de deux volets distincts. En premier lieu, il s'agit d'une exposition documentaire réunissant des souvenirs de famille. En effet, les membres de l'ASM Hammamet ont fait appel aux bonnes volontés et sont parvenus à réunir un fonds précieux, fort éloquent lorsqu'il s'agit de retracer les travaux et les jours. Des photographies rendent compte d'événements historiques tels que vécus par la communauté; d'autres photos s'intéressent à la vie familiale, aux cérémonies ou aux métiers; d'autres enfin ont pour objet des lieux connus ou des personnes, de simples personnes qui deviennent les témoins d'une époque ou d'un mode de vie. La collection est touffue, passionnante car elle remet à l'honneur l'histoire de la vie quotidienne à travers la photo. Il ne s'agit pas de photos de collection à l'image des vieilles cartes postales mais bien de photos de famille, agrandies pour les besoins de la cause et mises à la disposition du public. L'ASM Hammamet ne compte d'ailleurs pas s'arrêter en si bon chemin et a initié un projet documentaire qui consiste à réunir sur support numérique des entretiens avec les anciens afin de reconstituer quelques pans subjectifs de l'histoire de la ville et de ses habitants. Pour le moment, cette démarche participative s'adresse aux citoyens de la ville et commence à se structurer. Le deuxième volet de l'exposition se base sur les photos d'artistes contemporains qui ont contribué à faire de cette exposition une véritable fresque hammamétoise. Les oeuvres de Hamdi Turki, Houssem Guembri ou Mohamed Karim Nadhour nous mènent à la rencontre d'un Hammamet connu et secret. Il faut également plonger dans les photos de Aziza Fathallah, Emna Jedidi ou Emir Attia pour se rendre compte des textures d'une ville et de ses beautés cachées. Avec Yassir Sahli, Mohamed Mankaï ou Mohamed Bassoumi, c'est un délicat regard qui est posé sur le patrimoine alors que Hichem Turki, Anas Ben Aribia ou Daoud Jedidi arpentent la lumière et révèlent un Hammamet intime. Tous ces photographes ont en commun leur jeunesse et leur capacité à faire naître l'imagerie d'une ville, souvent honorée par les plus grands artistes. Au détour d'une photo, un regard, une barque ou un couscous aux escargots soulignent combien nos photographes ont capturé d'images vivantes. L'ensemble constitue un véritable hymne à une ville, son histoire et sa mémoire populaire. Un mois durant, cette exposition a permis de découvrir Hammamet autrement. Souhaitons que quelques unes de ces œuvres soient accrochées de manière permanente dans le local de l'association et, pourquoi pas, proposées à l'attention des hôteliers. Ce serait un juste hommage à l'excellent travail de ces artistes et au patrimoine lumineux de la ville.