Le théâtre est par excellence l'art de la mutation, du rejet de la convention, de la remise en question de ses propriétés intrinsèques et des canons qui le confinent à l'unicité du sens et de l'interprétation. De nouvelles esthétiques de la scène ont été forgées à partir du théâtre dit « postdramatique », et ce au niveau du script, du jeu de l'acteur, de l'impact avec le spectateur qui est appelé à motiver ses perceptions au lieu d'une passive adhésion ... L'écriture du plateau a supplanté en quelque sorte le primat du texte et du drame dans le sens de l'action. Le texte et l'écriture scénique s'ajustent en concomitance, voire en osmose. La mimésis s'est confondue à la diégésis (la narration), et d'autres expressions artistiques se sont incrustées dans la représentation. Le théâtre est devenu l'art à multiples brèches, s'ouvrant sur diverses tendances théâtrales et recueillant différentes expériences artistiques. Cependant, certains metteurs en scène ont leurs propres perceptions artistiques, ils ont des réserves face à l'usage de quelques notions théâtrales et au paysage théâtral tunisien. Béchir Kahouaji, un homme de théâtre qui garde fortement une considération aux principes grecs et pré socratiques, et aux fondements premiers du théâtre. Récemment, il a monté une nouvelle pièce théâtrale intitulée Da Diara, produite par le centre d'art dramatique de Kairouan. A l'inverse des metteurs en scène qui privilégient l'écriture collective ou « l'écriture du plateau », Béchir Kahouaji a mis en exergue l'importance de la fable et du primat du texte, il affirme « Dans les années soixante, il y a eu une révolution qui a un peu négligé le script, mais peu de temps après, les choses ont repris leurs places. On ne peut pas aborder la scène sans un texte. Le travail sur l'écriture scénique part d'un script, d'un texte fait par un poète ; sinon, ça risque d'avoir un théâtre inférieur. En vérité, il n'ya pas une écriture collective, mais un sérieux travail d'écriture scénique. En tout cas, ce n'est pas dans le sens de ce qui a été fait en Tunisie. Dans ma nouvelle création, je suis parti d'un texte, j'ai respecté les points et les virgules, et il a fallu pousser très dur pour faire une autre écriture parallèle au texte, c'est-à-dire l'écriture scénique, là où les comédiens s'expriment en tant que corps, en tant que voix. Les comédiens ne sont pas là pour dire un texte, mais pour faire une représentation. L'écriture scénique est aussi fondamentale que le texte, néanmoins le texte vient avant ! » Béchir Kahouaji est un artiste pluridisciplinaire. Il est d'abord, un homme de lettres, un poète à la plume fragile et sensible, mais aussi, une référence dans l'art plastique, ses toiles ont trôné les cimaises de nombreuses galeries d'art ... Nous l'avons ainsi interrogé sur l'apport de la poésie et de l'art plastique dans le théâtre. « Le théâtre c'est la poésie dramatique. Malheureusement, on a quasiment oublié les origines poétiques du théâtre, et aussi de la finalité poétique du théâtre selon les modernes comme Tchékhov, Ibsen, Harold Pinter. Qu'est ce que le théâtre sans poésie ? Quant à l'image, le théâtre c'est la représentation, c'est-à-dire une image dynamique et une vision esthétique. Je crois que les vrais metteurs en scène de théâtre cachent toujours des artistes multidisciplinaires. Bref, l'important c'est d'avoir une vision de la chose théâtrale, une vision du monde à travers son œuvre qui fait la spécificité par rapport à ce que font les autres. » Le théâtre est un art ouvert à une infinité d'expériences et d'approches esthétiques. Nous lui avons demandé d'évaluer les expériences théâtrales en Tunisie. Alors, il a manifesté une certaine réticence quant aux jeunes metteurs en scène, « Bon nombre étaient mes élèves à l'Institut d'art dramatique, je crois que, généralement, ils ont une insuffisance fondamentale. Ils ont appris très peu de choses et ils ont plongé tout de suite dans la création théâtrale, sans avoir l'expérience et la culture nécessaires pour faire le travail de metteur en scène. Certains auront pu réussir, en travaillant avec des metteurs en scène confirmés et sur des textes solides. Ce qu'on voit sur scène, est médiocre, les gens quittent la salle pendant la représentation. Ce n'est pas normal, Le théâtre est fait pour que les gens aiment, pour qu'il y ait communion, pour qu'il y ait fête. J'observe trop d'amateurisme, trop de travail scolaire, trop d'hystérie. On ne voit qu'un seul genre de théâtre, des sous produits qui n'intéressent personne, alors qu'il faut s'ouvrir sur d'autres visions. Je crois que les gens qui appartiennent à ma génération ont une formation plus solide, ils ont eu le temps de faire un vrai apprentissage, Jaibi, Idrisse, Jbali, Drissi et j'en oublie, ca n'a rien à voir avec ce que font les jeunes qui d'ailleurs, ne sont plus jeunes ! ». Quant au psychodrame et théâtre engagé, personnellement, j'en ai une approche très différente. Le théâtre a toujours été engagé sans engagement. Un homme de théâtre est en plein dans la cité, dans tous les problèmes et les questionnements de la société que ce soit au niveau métaphysique, politique, social, éthique et esthétique.