La Tunisie a beau être un pays magnifique avec des paysages naturels à couper le souffle du nord au sud et une terre de courage et de militantisme, elle n'en reste pas moins une nation tristounette. C'est du moins ce qui ressort du « World Happiness Report 2015 », l'étude qui évalue le bonheur dans le monde selon des critères bien précis, publiée jeudi dernier à New York. Sur un total de 158 pays, la Tunisie se classerait à la 107ème place, très loin devant la Suisse, pays le plus heureux au monde talonné par l'Islande, le Danemark, la Norvège et le Canada. Pas fameux diront certains ! Mais est-ce aussi surprenant ? A l'aube de 2011, les Tunisiens, unis et optimistes, rêvaient, les yeux grands ouverts, d'un avenir meilleur après la chute de Ben Ali. Plus de quatre ans après, qu'en est-il ? La désillusion est totale et le constat sans appel: La Tunisie est amère et les Tunisiens malheureux. C'est la troisième fois que l'ONU publie son « World Happiness Report », le premier ayant été publié en 2013. Cette étude annuelle classe les pays selon le degré de bonheur de leurs populations, quantifié selon plusieurs indicateurs invariables dont le PIB par habitant, l'espérance de vie en bonne santé, les libertés publiques, la corruption aussi bien en politique que dans les affaires, le soutien social, la générosité citoyenne et les mécanismes sociaux. Lors d'une conférence de presse, l'un des auteurs du rapport a déclaré que les pays en tête de peloton « combinaient richesse et fort soutien social, ainsi qu'un gouvernement relativement honnête et responsable ». Mais quel est le but de cette initiative onusienne ? Un sociologue français a déclaré dans les colonnes du Figaro que « Concrètement, ce rapport vise à pousser les Etats à prendre en compte ce type de données pour mener à bien des politiques nationales en vue d'un développement plus durable. » C'est donc dans le but d'influencer les politiques des gouvernements que le « World Happiness Report » est édité chaque année. Pas sûr toutefois que les autorités tunisiennes, confrontées à un contexte particulièrement difficile et à des enjeux complexes, en prennent de la graine et en tirent des leçons. Et les citoyens, que pensent-ils au juste de ce classement ? Est-il crédible à leurs yeux ? Les Tunisiens sont-ils vraiment malheureux ? En 2015, n'y a-t-il plus aucune source de bonheur, de satisfaction et de félicité en Tunisie ? Les citoyens interrogés à ce sujet sont pour la majorité pessimistes voire désabusés. Ils estiment que le pays va de mal en pis et que le bonheur est devenu bien chimérique. Haïfa s'interroge d'ailleurs: « Je me demande vraiment s'il y a encore des Tunisiens heureux sur ce bout de Terre. Si oui, c'est qu'ils doivent sûrement vivre ailleurs qu'en Tunisie. Ici, nous sommes tellement submergés par les problèmes, nous appréhendons les lendemains demeurés incertains et les tragédies que nous en oublions de vivre. Mais ce qui est pire que tout, c'est le sentiment général d'impuissance. Nous ne pouvons pas changer grand chose à notre échelle et c'est ce qui nous accable le plus. » Une amertume partagée par Yosr qui estime qu'à part le soleil et le beau temps, il n'y a rien d'agréable en Tunisie. Elle déclare: « Je déplore le manque de civisme, d'éducation et de tolérance de beaucoup de Tunisiens et cela m'attriste personnellement. Sans oublier bien sûr la cherté de la vie, l'expansion de la corruption, l'injustice sociale et l'absence de débouchés pour les jeunes, même les diplômés. » Ikbel est du même avis: « Ce classement est fiable et c'est tout à fait normal qu'on figure parmi les pays les moins heureux. La cherté de la vie, l'outrance de certains, la révolution agonisante, l'insécurité, les services publics de piètre qualité, la pauvreté, les islamistes, les attentats et l'assassinat de nos soldats, le nombre de suicides chez nos enfants et nos adolescents et le chômage sont quelques uns des facteurs qui font notre malheur. » Ryadh quant à lui résume la situation en quelques mots: « Salaires moyens. Système éducatif défaillant. Système sanitaire chancelant. » Même si elle partage les avis précédents, Mona livre un témoignage plus nuancé: « Nous ne sommes pas totalement malheureux mais surtout blasés. Le Tunisien manque malheureusement de volonté pour avancer et pour remédier aux problèmes. Nous avons un très beau pays. Si seulement chacun y mettait du sien et travaillait correctement ! » Et à Mariem de conclure sur un ton mi-grinçant mi-plaisantin « On nous fait manger de la viande d'ânes. Comment voulez-vous qu'on soit un peuple heureux? » Le secret du bonheur Mais en dépit de tout, une petite lueur d'espoir subsiste et pour beaucoup, la situation est certes grave mais pas désespérée. C'est l'avis de Maha qui déclare: Tout n'est peut être pas parfait en Tunisie mais ici au moins, il fait bon vivre. On peut s'amuser et manger à moindre frais, même avec un pain tabouna et quelques olives on est vite rassasié. Ici, on n'a pas besoin d'attendre deux mois pour une consultation chez le médecin généraliste. Ici, on ne trouve pas des studios à louer d'une superficie de 9m2. Je pense que le problème des Arabes en général c'est la course vers la perfection. Nous nous stressons pour tout. Le secret du bonheur selon moi ? Dépasser tous les concepts pré-établis et imposés par la société et profiter tout simplement de la vie, sans avoir de comptes à rendre à personne. » Isabelle, qui n'est pourtant pas Tunisienne, trouve que ce classement est un peu trop sévère et ne reflète pas la réalité des choses. Elle explique: « Il suffit pourtant de comparer la vie en Tunisie avec celle en France. Voici un exemple simple. Pour louer une chambre de 15 m2 en France, il faut constituer un dossier de 30 pages avec un tas de paperasse. En Tunisie, pour louer même une villa, il suffit de se munir de son passeport, de verser un acompte et le tour est joué. Les Tunisiens ont certes des défauts mais sont, d'une manière générale, plus souples et accueillants que les Français. » Pour Hédi aussi, la Tunisie a des atouts uniques qui font son charme. Il déclare: « Les étrangers rêvent de passer une nuit au sahara ou une semaine au bord de la mer, de visiter l'empire carthaginois ou tout simplement de déguster un bambalouni, un thé à la menthe ou un fricassé bien piquant. Si j'avais les moyens, je créerai mon propre «World Happiness Report» et au diable La Suisse et le Norvège ! » Les Tunisiens heureux ou malheureux, telle est la question ! Pour le savoir, il faudrait d'abord expliquer qu'est ce que le bonheur. Pour Aymen, c'est surtout un concept très relatif. Il explique: « Pour moi, être heureux c'est être totalement satisfait de soi-même. Mais il s'agit ici de pouvoir mesurer cette satisfaction. La notion du bonheur est relative et varie d'une personne à une autre, d'une culture à une autre. C'est tellement ardu de quantifier le bonheur.»