L'Agora de la Marsa a accueilli jeudi dernier la cérémonie de signature et la présentation de l'ouvrage de Guzine Mabrouk, un album de miniatures intitulé "Aux portes du souvenir". Cet album vient de paraitre aux éditions Mim, avec une préface de Chiraz Brahem et une trentaine de reproductions d'oeuvres de Guzine Mabrouk. Gouaches et aquarelles sont au coeur de ce beau-livre qui offre de découvrir des oeuvres créées entre 1960 et 1993. Les reproductions sont introduites selon un ordre chronologique qui permet de suivre le parcours, les progrès et les inspirations de l'artiste. De Jellal Ben Abdallah à Mohamed Racim L'univers de Guzine Mabrouk est des plus surprenants. A la croisée de plusieurs influences, cette artiste dédie son livre, ses oeuvres qu'elle qualifie de "contes en images", à la Tunisie. En ce sens, elle ajoute en exergue du livre que ces histoires dessinées et peintes sont un peu les siens de contes à cette Tunisie. Comment découvrir ces oeuvres qui pour certaines sont restées dans la confidentialité de l'atelier de l'artiste? Dès le premier regard, on perçoit l'influence de Jellal Ben Abdallah et aussi celle de Hatim El Mekki. De plus, ces travaux de Guzine Mabrouk évoquent par leur foisonnement et la profusion des personnages le monde spécifique des artistes naïfs tunisiens comme Baghdadi Chniter ou Maherzia Ghaddhab. Figures mythiques comme dans "L'amphithéâtre" ou scènes de la vie comme dans "L'hôpital" ou "Huis-clos" cohabitent avec des rêveries à l'image de "Barg Ellil" ou encore "Les Amazones". Une véritable profusion de personnages peuple l'espace de la toile et la luxuriance des couleurs ajoutée à la singularité des figures crée cet univers qui fourmille de détails et de clins d'oeil à l'histoire. Comme le souligne Chiraz Brahem dans sa préface, il s'agit bien d'un travail de mémoire, de rêveries peintes, d'instants qu'on effleure comme celui "d'une fillette de sept ans qui, sur sa petite table, se plait à reconstruire son monde à l'aide de ses crayons de couleur". Car il y a beaucoup de candeur dans ces bribes surgies de nulle part, ces nostalgies qui suivent le parcours de vie d'une femme, "ces miniatures descriptives qui ne sont pas comme celles de Jellal Ben Abdallah"... Pour Guzine Mabrouk, ces réminiscences se résument en une affirmation: "Je raconte". Et de fait, elle raconte, cette conteuse sans mots, pour reprendre la jolie expression de sa préfacière. Elle raconte le chemin des écoliers, les mariages mahdois, les rêves d'enfants, les chants de la terre et de la forêt. Des dizaines de personnages habitent son univers: des anges musiciens aux visages de petits princes, des odalisques langoureuses, des médinas oniriques et de fiers janissaires. De différentes tailles, ces personnages donnent toute leur texture aux oeuvres dont la complexité les apparente à un véritable dédale, une sorte de ronde immuable du temps. Quand l'art brut tisse l'éternité Ces toiles, ces miniatures, ressemblent à des puzzles. Plusieurs plans s'emboitent et parfois se chevauchent. En même temps, ces différents niveaux se réfèrent à des périodes historiques ou des lieux différents. Cette fusion débouche sur un vertige esthétique, une incomparable féerie qui introduit et installe le regard dans la saga des siècles. Une oeuvre comme "L'Amphithéâtre" est à ce titre un véritable modèle puisqu'elle juxtapose le "Genius Terrae Africae" des Romains avec des jeunes d'aujourd'hui sur fond de processions dyonisaques. Dans un coin de cette gouache, penchée sur son ouvrage, une femme intemporelle semble tisser l'éternité. De toile en toile, ce sont des nostalgies qui renaissent avec des personnages aériens qu'on dirait sortis d'une oeuvre de Hajeri ou encore des femmes au hammam dans un style proche de celui de Aly Ben Salem. Tout en nous rappelant que la miniature est un art oriental, Guzine Mabrouk n'hésite pas à arpenter les chemins ardus de l'art brut. Ses travaux créés au fil des ans à Tunis, Naassen ou ailleurs dénotent une maitrise incontestable. Il suffit d'admirer "Un 3 août à Monastir", "Ils sont venus de loin" ou "Hôtel du Bon Repos" pour s'en rendre pleinement compte. Avec Guzine Mabrouk, nous sommes bien dans le sillage des grands miniaturistes tunisiens et dans celui des Algériens Mohamed Racim ou Baya, véritables références maghrébines dans ce domaine où l'enluminure n'est jamais loin. La structure de cet ouvrage semble d'ailleurs recéler une promesse. En effet, a quoi pourraient ressembler les oeuvres postérieures à l'année 1993? Dans quelle continuité ont-elles creusé et quels univers portent-elles? Ce premier livre s'il révèle une artiste peu connue pourrait dans l'avenir ouvrir la voie à d'autres heureuses surprises... Soulignons en conclusion le dynamisme des éditions Mim qui, coup sur coup, viennent de nous donner un ouvrage consacré à Ali Zenaidi puis ce savoureux album de miniatures