Syndicaliste de longue date, ancien rédacteur en chef du journal Chaâb, originaire de Gafsa avec un franc-parler qui ne marchande pas ses positions, Mokhtar Boubaker, se confie aux lecteurs du Temps. Détails. Le Temps : Plus de quatre ans après le 17 décembre – 14 janvier, comment trouvez-vous la Tunisie ? Mokhtar Boubaker : Je la trouve un peu malade, souffrante des caprices des uns et des autres, et surtout menacée par les incertitudes qui l'entourent et aussi par l'imprudence de l'ensemble de sa classe politique qui relègue l'intérêt national au dernier plan. En bref, la Tunisie qui a entamé ce processus de transition démocratique dans la région arabe, se trouve victime de sa précocité. Depuis le 17 décembre 2010, la Tunisie a réussi, quand même, à avoir une presse plutôt libre et une opinion publique qui contrôle à la loupe la vie politique. En dehors de ça, on ne peut pas parler de grands changements, mis à part le fait d'avoir réservé un espace illimité pour l'Islam politique et ses émanations terroristes et autres. Dans cet ordre d'idées, nous enregistrons, malheureusement, un déclin des valeurs de la citoyenneté, du travail, du mérite. Quelle est votre appréciation de la situation actuelle du pays, politiquement, socialement et économiquement ? C'est la fragilité par excellence. On a beau parler de l'exception tunisienne, du succès du modèle tunisien de transition démocratique, mais les choses ne sont pas aussi idylliques, comme on le pense. Une coalition gouvernementale qui ne tient que grâce à la volonté de deux vieux, Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi qui veulent terminer leurs vies en rose. Une situation économique qui frôle le zéro croissance. Un climat social, le moins qu'on puisse dire, invivable. Une centrale syndicale incapable de contrôler ses troupes, mais elle fait semblant. Un patronat de plus en plus revendicatif, comme pour faire à la manière de son vis-à-vis. Enfin, une élite en manque d'imagination. Comment décrivez-vous la situation, 6 mois après les élections ? Six mois après les élections, on se retrouve avec une nouvelle caste de nouveaux détenteurs de hauts salaires et d'avantages en nature exorbitants. Douze mois après, son arrivée au pouvoir, le président égyptien s'apprête à inaugurer un projet pharaonique. En août, l'Egypte va se trouver dotée d'une deuxième voie du canal de Suez. Comment doit se tenir le premier congrès de Nida Tounès, consensuel ou électif avec multitudes de listes et liberté totale de candidatures ? Je suis favorable au consensus, Nida Tounès n'a pas été l'œuvre d'une seule famille politique. Son mérite est d'avoir été un parti rassembleur de différentes sensibilités qui ont fait sa force. Il serait vraiment regrettable que les héritiers de la culture du parti unique, cherchent à perpétuer et à faire revivre les réflexes de l'exclusion. Aujourd'hui, les ex-RCD du 4ème rang, veulent s'approprier et hypothéquer cet instrument de salut qui a permis aux Tunisiens de chasser l'Islam politique du pouvoir. Parler, aujourd'hui, d'un congrès électif de Nida Tounès frôle l'indécence et bat à pointe couture. Le projet original de Nida Tounès est fait de différences et pluralité du sommet à la base. Peut-on réussir la transition démocratique dans le pays, sans une vie interne totalement démocratique, au sein de Nida Tounès ? Impossible ! Quel est le rôle des militants progressistes au sein de Nida ? Et leur poids réel ? Paradoxalement, la majorité des militants de Nida Tounès sont du côté du progrès, mais, malheureusement, ces progressistes se trouvent devant une machine bien rodée, bien huilée et bien servie par l'argent sale. Les progressistes sont en milieu naturel au sein de Nida Tounès. Ils sont appelés à s'atteler davantage à cette construction intellectuelle qui puise ses sources dans l'histoire récente de la Tunisie et qui et faite de pluralité dans l'unité. Quel rôle doivent jouer les Destouriens au sein de Nida ? D'abord, les Destouriens, ou ce qui en reste, sont des octogénaires ou dans le meilleur des cas des septuagénaires ? Donc, arithmétiquement, ils sont minoritaires. Pour ceux qui se revêtent le costume destourien, on peut leur dire, tout d'abord, que l'habit ne fait pas le moine, et qu'ils ne sont pas porteurs du projet moderniste du Néo-Destour et pour preuve, leur quasi-majorité ignore tout ou presque de l'histoire du mouvement national. Rare parmi eux, sont ceux qui ont lu un livre en dehors des manuels scolaires. Etes-vous optimiste au sujet du passage générationnel du témoin ? Absolument, optimiste ! L'alliance ou le partenariat avec Ennahdha, quelle est sa nature provisoire, conjoncturelle ou stratégique ? Conjoncturel. Croyez-vous au changement de discours du Cheikh Rached ? Il fait une très bonne adaptation et pour son âge, c'est un exploit. Mais, malheureusement, il ne réussit pas son rôle, comme il se doit. Lorsqu'il parle de l'Egypte, il met le costume frère-musulman. Idem pour toutes les questions internationales. Il est coincé. Et ferait mieux de ne pas changer de costume et garder le sien, celui des frères musulmans et ce, quel que soit le pays ou la scène où il parle. Quel est votre bilan de l'action du gouvernement Essid ? M. Essid aurait gagné à travailler sur 4 ou 5 grands projets concrets qui changeront la vie des Tunisiens. Je lui en suggère, mettre en place une industrie de l'eau en vue d'en produire un milliard de mètres cubes supplémentaires ; jeter les bases d'une industrie du solaire et du photovoltaïque ; vendre les 500 mille hectares des terres domaniales à 50.000 familles de jeûnes diplômés et chômeurs ; mettre en place un fonds souverain à partir des recettes de la vente des terres domaniales, ce dit fonds peut être une locomotive pour le développement du monde rural et la modernisation de l'agriculture tunisienne. Doit-il partir ? Pourquoi ? Quels enseignements tirez-vous de l'opération de Sousse ? La cupidité de nos hommes d'affaires. Comment expliquez-vous le silence de la classe politique depuis les élections ? Le choc ! Les jeunes et les femmes ont-ils la place qu'ils méritent dans les instances dirigeantes des partis politiques ? Ils ont la place qu'ils méritent. Qu'en est-il de Nida Tounès ? Aussi... Pensez-vous que le pays souffre du manque de leaders ? Nous avons, au contraire, une overdose de prétendants au statut de leaders. En quelques mots, que pensez-vous des personnalités et organisations suivantes : ... Béji Caïd Essebsi : Une chance pour la Tunisie. ... Rached Ghannouchi : Une chance pour l'Islam politique. ... Houcine Abbassi : Il aurait pu mieux faire ... Mehdi Jomaâ : Je ne le connais encore pas. ... Nida Tounès : Un grand projet ... Samir Taïeb : Un précurseur. ... Yacine Brahim : C'est une nouvelle génération de leaders. ... Al Massar : C'est toujours un grand projet. ... Samir Dilou : Ne connais pas. ... Imed Hammami : Original. ... Zied Lakhdhar : La gauche tranquille. ... Mohamed Jemour : Rigoureux et droit. ... Hamma Hammami : Une partie du paysage ... Mohsen Marzouk : L'étoile montante de Nida Tounès ... Slim Riahi : Connais pas. ... Bochra Belhaj H'mida : Une grande militante. Quelle est l'espérance de vie du gouvernement Essid ? Le lendemain des élections municipales.