L'Institut français de Tunisie a organisé, le 19 septembre, une rencontre-débat avec Edwy Plenel autour de son dernier ouvrage « Pour les musulmans ». Cette première rencontre de la rentrée est placée sous le thème « Nos causes communes ». Beaucoup de monde avait fait le déplacement, et l'auditorium de l'IFT a vite été rempli ; nombre de personnes retardataires ont dû prendre place dans les couloirs et d'autres en dehors de l'auditorium où ils ont pu écouter le débat retransmis par hauts parleurs. Edwy Plenel est l'un des co-fondateurs de Mediapart en 2007 et son président. Journaliste depuis 1976, il a travaillé au Matin de Paris, puis durant vingt-cinq ans (1980-2005) au Monde, dont il fut directeur de la rédaction. Le livre a fait couler beaucoup d'encre en France, créant une véritable polémique à travers les différents médias, dénonçant à la fois l'islamophobie de France et « l'indignité de l'homme blanc dominateur, marqué pour l'éternité de la flétrissure colonialiste, qui se transmet de génération en génération ». Pourquoi ce livre ? Le livre d'Edwy est à la fois un appel et un plaidoyer en faveur de la citoyenneté et de l'humanité qui place le principe de l'égalité au sommet de la Trinité républicaine (liberté, égalité, fraternité). En tant que tel, il prône la justice sociale et politique entre tous les citoyens vivant sur le même territoire, quelles que soient leurs origines, leurs appartenances confessionnelles, leurs langues ou leurs couleurs. Ce livre s'adresse à la fois aux ex-colonisateurs et leurs ex-colonisés, aux anciens dominateurs et leurs anciens dominés, aux Musulmans de France comme à tous leurs semblables de l'espèce humaine, qu'ils soient de souche ou hybrides, afin de combattre les préjugés racistes historiquement ancrés dans les esprits des anciens colonialistes et qui ont été véhiculés de génération en génération. « Le titre aurait pu être « Pour les minorités », « Pour l'égalité», ou encore « Pour la France », a annoncé Edwy Plenel au début de sa conférence, c'est un livre contre la haine et pour la cohabitation pacifique entre toutes les communautés en France. « En effet, cette xénophobie devient si exacerbée qu'elle se fait de plus en plus remarquer dans les milieux médiatiques, intellectuels, académiques, et devient un prétexte pour la stigmatisation en bloc de cette partie musulmane qui fait partie du peuple français. Là-dessus le conférencier donna l'exemple de deux personnes mortes au cours de l'attentat contre Charlie Hebdo : « Qui sont-ils ces gens ? Ce sont deux hommes étrangers, de croyance musulmane et de nationalité française, l'un était gardien de la langue française, l'autre était un gardien de la paix : les deux défendaient la France ! » Par ailleurs, le titre de son ouvrage renvoie à « Pour les juifs », article qu'Emile Zola rédigea en 1896, vingt mois avant son fameux « J'accuse » en défense du capitaine Dreyfus, victime d'antisémitisme: « J'ai écrit ce livre, a-t-il précisé, comme l'a fait Emile Zola, en écrivant en fin du 19è siècle « J'accuse » lors de l'affaire Dreyfus, condamné au bagne pour la seule et la simple raison qu'il était juif. Ce qu'a fait Zola pour attaquer l'antisémitisme à l'époque, je le fais moi-même aujourd'hui pour m'opposer à l'islamophobie et à toute sorte d'exclusion.» Au nom d'une laïcité sectaire L'islamophobie devenue croissante depuis quelques années contre la communauté musulmane en France, est aujourd'hui de plus en plus banalisée, grâce à certains médias racistes et au nom du principe d'une laïcité qui semble avoir été dépourvue de son vrai sens, une laïcité devenue sectaire, une arme brandie avec force pour justifier toutes les attaques contre la religion musulmane en France. Or, la laïcité n'a jamais été contre la religion et la liberté de foi ou de conscience. « Où en est-on de la laïcité de 1905 ?, s'interrogea le conférencier, cette loi de la laïcité, initiée par des gens audacieux, tels que Francis de Pressensé, Fernand Buisson, Jean Jaurès ou encore Aristide Briand. Ce qu'ils ont fait, c'est de mettre du pluriel dans la société ! Cela entraîne que toutes les religions sont reconnues à égalité et aucune idéologie ne peut s'imposer. Cela nous permet de faire chemin commun, sans qu'on demande à quiconque de renoncer à ce qu'il est! ». Donc, selon la loi de 1905, que le conférencier a longuement expliquée devant l'audience, il ne faut pas qu'il y ait des convulsions contre les cultes minoritaires, au contraire, on doit les reconnaître et composer avec eux. La France est et restera plurielle, selon lui. Qu'en est-il de l'islamophobie ? Le livre est donc un rappel à l'ordre à tous ces hommes politiques, ces philosophes et ces journalistes, de gauche comme de droite qui ne cessent de faire de l'islamophobie leur cheval de bataille, au cours de leurs discours et rencontres. Ainsi, le FN, parti d'extrême droite, en a fait une sorte d'épouvantail pour faire peur aux Français et gagner les élections municipales. En fait, cette islamophobie devenue si dangereuse qu'elle provoque le rejet d'une bonne partie de la population française, n'affiche qu'un seul critère, à savoir l'appartenance religieuse (à l'Islam), mais elle confond souvent entre arabe et musulman, entre musulman et islamiste : elle est donc facteur d'inégalités persistantes et injustifiées qui mènent à l'exclusion. Selon ces islamophobes, le musulman est réduit à une religion ; cette religion est réduite à l'intégrisme ou au terrorisme. N'est-ce pas là un raisonnement caricatural et tragique ? Qu'attend-on des Musulmans en France ? Une intégration totale à la société française, une cohabitation suivant des valeurs communes de la République ? Soit ! Mais ne serait-il pas ici une sorte d'assimilation humiliante ? Mais est-il naturel que ce musulman renonce à sa propre culture, à ses origines, à ses valeurs sociales et religieuses pour adopter celles du pays de destination ? Là, les Islamophobes demandent l'impossible, car la France a toujours été un pays de liberté et de démocratie ouvert à toutes les religions et à toutes les cultures du monde. Sur ce point, le conférencier parle de sa propre expérience en disant : « j'ai hérité de plusieurs héritages, la part catholique de mes parents, la créolisation de mon enfance, la part musulmane de mon pays d'adolescence, du judaïsme culturel ; je suis fait de tout cela, je suis un Breton d'outre-mer. Cette richesse culturelle apportée par les étrangers est à l'origine de la pluralité de la France. » Ainsi, selon le conférencier, toute assimilation est donc refusée, car considérée comme un effacement des origines, de l'identité. On peut donc être musulman ou autre qui vit en France, tout en conservant ses singularités. L'islamophobie n'est donc que l'œuvre de racistes et de xénophobes qui refusent la diversité culturelle et l'ouverture vers l'Autre. Il est à rappeler qu'il y a beaucoup plus de similitudes entre les êtres humains que de différences ! Pourquoi donc ne pas accepter que nous vivions ensemble dans la diversité, tant que nous sommes sous le même toit et tels que nous sommes, la foi de chacun n'a jamais été un obstacle à la vie politique ou économique, ni un problème à une cohabitation sociale pacifique ! Il finit sa conférence en citant Franz Fanon qui disait dans son livre « Peau noire, Masque blanc »: « Il ne faut pas essayer de fixer l'homme puisque son destin est d'être lâché. » Cela fait entendre qu'il ne faut pas fixer l'homme dans son histoire, dans son passé, dans son culte, dans son origine... Et l'auteur de « Pour les Musulmans » de conclure en souriant: « Alors, lâchez-nous pour construire ensemble le chemin ! » Bref, c'est un livre utile qui s'adresse à la fois aux Musulmans de France ainsi qu'à toutes les minorités qui constituent une partie importante de la population française, en leur demandant de s'accrocher à leur religion, leur origine et leur originalité, car c'est de leur différence que se construit la pluralité et la richesse culturelle de la France et que cette situation n'a aucune raison de perdurer et ce, malgré les attitudes des xénophobes, des islamophobes et de ceux qui ont déformé les principes fondamentaux de la laïcité. C'est donc un cri d'alarme lancé par l'auteur et un geste de solidarité, pour défendre les musulmans de France, qu'ils soient de culture, d'origine ou de croyance, contre ceux qui les accusent de tous les maux et les érigent en boucs émissaires.