L'Association des magistrats tunisiens a appelé à honorer la mémoire de Mokhtar Yahyaoui, le magistrat et militant des droits de l'Homme décédé le 22 septembre dernier. Le communiqué ajoute que « le juge a consacré sa vie à la lutte contre la tyrannie, pour défendre l'indépendance de la justice et la dignité du magistrat ainsi que pour mettre en place les réformes démocratiques qui s'imposaient ». L'association a appelé de ce fait, tous les corps des magistrats judiciaires, administratifs et financiers, à observer une minute de silence, demain dans tous les tribunaux, préalablement à l'ouverture de chaque audience. Par ailleurs Raoudha Karafi, présidente de ladite association a proposé, à donner le nom du défunt à une salle d'audience du palais de Justice à Tunis, ainsi qu'à une salle de cours à l'Institut supérieur de la magistrature. Elle a appelé également les pouvoirs municipaux des gouvernorats de Tunis et de Tataouine à donner le nom du défunt à deux rues de ces gouvernorats, de préférence à proximité des palais de justice « pour la postérité de son nom et de ses sacrifices ». Reconnaissance et gratitude Le défunt Mokhtar Yahyaoui, a marqué l'histoire de la magistrature par son franc-parler et son courage, pour dire non aux injustices, et aux atteintes des droits de l'Homme, clamant haut et fort que l'indépendance de la magistrature est intangible, dans une lettre ouverte adressée au président déchu, qui était à la tête de l'ancien Conseil supérieur de la magistrature. Les termes de ladite lettre étaient crus, et c'était la seule façon de dévoiler la vérité sur la situation de la Justice à l'époque: «L'autorité judiciaire et les magistrats ont été dépossédés de leurs prérogatives constitutionnelles et qu'ils ne sont plus à même d'assumer leurs responsabilités au service de la justice en tant qu'institution républicaine indépendante. (...) Les magistrats tunisiens sont frustrés et exaspérés, à tous les niveaux, par l'obligation qui leur est faite de rendre des verdicts qui leur sont dictés par l'autorité politique. Traités de haut, dans des conditions de peur, de suspicion et de délation, ils sont confrontés à des moyens d'intimidation et de coercition qui entravent leur volonté et les empêchent d'exprimer leurs véritables convictions. Leur dignité est quotidiennement bafouée et leur image négative au sein de l'opinion publique se confond avec la crainte, l'arbitraire et l'injustice, au point que le seul fait d'appartenir à notre corporation est dégradant aux yeux des opprimés et des gens d'honneur». La réponse des autorités de l'époque ne se fit pas attendre : Il fut révoqué des cadres de la magistrature pour atteinte à l'honneur de la magistrature et manquement au devoir de l'obligation de réserve. A l'époque et comme l'avait dit le magistrat Ahmed Rahmouni, président de l'OTIM, lors de l'oraison funèbre qu'il a prononcée aux obsèques du défunt : « Comment as-tu le courage de jeter à la figure du tyran la fameuse lettre dans laquelle tu a dénoncé la situation déplorable par laquelle passait la Justice, une situation d'enfermement des, juges qui étaient cloitrés et avaient les mains liées, ce qui affectaient leur dignité d'homme, et de magistrats, alors que certains parmi leur collègues, et qui constituaient une infime minorité profitaient d'une telle situation pour s'arroger le monopole de décision au sein du fameux conseil de la magistrature et s'adonner à moult malversations et corruptions, pourvu de ne pas contrarier le chef suprême et agir sous sa dictée et selon sa volonté... » Oui yahyaoui a osé dire non à ces pratiques des deux poids deux mesures, allant même jusqu'à observer une grève de la faim le 18 octobre 2005 pour protester contre la violation de l'ancienne Association des magistrats, dont les membres élus ont été en éjectés et remplacés. A cette époque, le congrès de la Ligue des droits de l'Homme ainsi que le congrès du syndicat des journalistes tunisiens, ont été interdits, et des centaines de militants politiques ont été arrêtés et jetés en prison. A la Révolution il a été pris de court, mais il a repris confiance et a commencé à militer cette fois-ci, en toute liberté, pour continuer à défendre l'indépendance de la magistrature qu'il a toujours considérée comme l'un des fondements du régime républicain et il est resté fidèle à ses principes jusqu'au bout. Il était encore plein de vie et près à donner davantage afin que triomphe la Justice sans laquelle les droits de l'Homme seraient un vain mot. Il est parti un peu vite, un peu tôt, sans terminer la mission à laquelle il s'est consacré et a été fidèle sans en démordre ni lâcher prise. Un exemple de dévouement et de militantisme pour la postérité. C'est à ça qu'avait été consacrée sa mission inachevée, à laquelle il avait, cependant, fermement cru.