Le Club Culturel de Radès a organisé jeudi 18 août une table ronde sur « la justice tunisienne et les besoins de la période transitoire » à laquelle ont participé les juges Mokhtar Yahyaoui et Kalthoum Kennou, respectivement Membre de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution et secrétaire générale de l' AMT (Association des magistrats tunisiens) et maître Anouar Bassi, porte-parole du Groupe des 25 avocats. Des questions relatives à la situation actuelle de la justice tunisienne et les différentes solutions proposées pour l'établissement d'une nouvelle justice qui rompt définitivement avec l'ancien régime ont été soulevées lors de cette table ronde et plusieurs assistants ont pris part au débat. La parole a été d'abord donnée au juge Kalthoum Kennou qui a rappelé dans son intervention les principales demandes les plus urgentes adressées par l'AMT au Ministre de la Justice en date du 02 février 2011 qu'on peut résumer en sept points : la purification immédiate de la justice des magistrats corrompus ; la libération de la justice de l'hégémonie du pouvoir exécutif et de la mainmise du ministère de la justice sur les tribunaux ; la consécration effective et urgente des principes de l'indépendance de la justice, notamment ceux relatifs aux mouvements et aux promotions des juges en attendant qu'ils soient reconnus et institutionnalisés par la Constitution ; la mise en évidence d'un Conseil Supérieur de la justice en tant qu'institution constitutionnelle ayant un siège en dehors du ministère de la justice ; création d'une commission judiciaire transitoire représentative des juges en vue d'organiser un mouvement exceptionnel au sein de la fonction pour corriger certaines injustices subies par un bon nombre de juges ; l'ouverture du dossier sur la Mutuelle des Magistrats et la création d'une commission nationale chargée de la préparation d'un projet pour la promotion d'une justice indépendante. Aucune réponse concernant ces demandes n'a été reçue jusqu'à aujourd'hui, a-t-elle souligné. Elle a également rappelé les principales recommandations du colloque organisé les 27 et 28 juillet 2011 par l'AMT en collaboration avec le Haut Commissariat de l'ONU pour les droits de l'homme et le Programme Onusien du développement concernant les besoins de la justice dans cette phase transitoire et les mesures à préconiser pour une indépendance de la justice en Tunisie. Le juge Mokhtar Yahyaoui s'est félicité dans son intervention du fait que la question judiciaire est devenue un débat public, pour la première fois en Tunisie. En effet, a-t-il souligné, la justice qui constitue la question de l'heure revendique son indépendance. Il a indiqué qu'« il n'y a pas de démocratie, ni d'égalité, ni de liberté sans une justice indépendante. » Il a rappelé que cette demande ne date pas d'aujourd'hui ; elle a été formulée depuis 1967 avec l'ancienne Association des Jeunes Magistrats et si elle se renouvelle aujourd'hui, c'est parce que la justice a beaucoup souffert de l'ingérence du pouvoir dans ses affaires et des influences exercées sur les magistrats par les responsables de l'ancien régime pour servir leurs intérêts particuliers aux dépens de l'intérêt général. Il a ainsi énuméré différents cas de malversations judiciaires survenus durant les dernières décennies qui ont fait beaucoup de victimes au sein des familles tunisiennes. Il a ajouté que la justice de l'après-révolution n'a pas changé d'un iota : la mainmise du gouvernement est toujours présente, les erreurs judiciaires, la pérennité des mêmes structures, la lenteur dans les procédures, les magistrats corrompus toujours en place, les criminels de l'ancien régime qui sont encore en liberté, l'absence de fermeté à l'encontre des symboles de la dictature… Le Tunisien, a-t-il affirmé, ne peut récupérer sa dignité que lorsqu'il jouit de ses droits juridiques et de ses libertés fondamentales. La justice doit être indépendante et au service du citoyen, loin de toutes les influences, et la loi doit être respectée par tous pour garantir la justice sociale à tous les citoyens. Pour ce faire, Mokhtar Yahyaoui a préconisé la création sans délai d'un Conseil Supérieur de Justice dont les membres seront élus démocratiquement et qui sera d'un grand apport pour l'indépendance de la justice même en cette phase transitoire. Il a indiqué que « Toutes les initiatives que nous avons prises et les propositions que nous avons formulées restent lettre morte auprès du gouvernement provisoire qui, faut-il le dire, jusqu'à présent n'a pas pris la chose au sérieux ! » Il est temps de mettre fin aux fonctions des magistrats corrompus qui n'ont servi que les intérêts de l'ancien régime et de les remplacer par d'autres plus intègres. La Tunisie, a-t-il conclu, ne manque pas de magistrats compétents.