Economiste, universitaire, syndicaliste et homme politique tunisien, Hassine Dimassi a été ministre de la Formation professionnelle et de l'Emploi, en janvier 2011, au sein du gouvernement d'union nationale de Mohamed Ghannouchi et, par la suite, ministre des Finances, de décembre 2011 à juillet 2012, au sein du gouvernement de Hamadi Jebali. Par deux fois, il a dû démissionner. Nous l'avons rencontré pour un entretien, dans lequel nous sommes revenus sur le budget 2016 de l'Etat, sur la crise du tourisme et celle de l'endettement. Hassine Dimassi a aussi évoqué les querelles entre l'UTICA et l'UGTT et l'instabilité de l'échiquier politique. Le Temps : Que pensez-vous de la polémique créée autour de quelques articles du budget de l'Etat de 2016 au sein de l'ARP? Hassine Dimassi : En débattant le budget de l'Etat au sein de l'ARP on s'est perdu dans des labyrinthes secondaires et parfois contradictoires, tout en perdant l'essentiel. Les deux majeures insuffisances de ce budget sont au nombre de deux: le privilège accordé aux dépenses de consommation (salaires, compensations, etc.) aux dépens des dépenses de développement (équipements), d'une part, et le flou caractérisant l'une des principales ressources de ce budget à savoir les emprunts extérieurs, d'autre part (pas un mot sur les partenaires potentiels prêts à nous octroyer ces crédits). Ces lacunes fondamentales du budget de 2016 ont été totalement perdues de vue au sein de l'ARP. Le Front Populaire vient de lancer une nouvelle campagne contre l'endettement. Quel est votre avis sur ce point? D'une manière générale, l'endettement est bénéfique s'il sert à renforcer l'équipement du pays. Par contre il devient une réelle tumeur s'il est destiné totalement ou en grande partie à la consommation. A ce propos, le discours du Front Populaire est totalement contradictoire. D'un côté, il est tout à fait d'accord sur les abusives augmentations des salaires dans la fonction publique, et d'un autre côté, il s'oppose à un endettement additionnel. L'on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. L'UGTT et l'UTICA ont mis leur guerre entre parenthèses le temps de l'obtention du prix Nobel ou bien la paix sociale va réellement être instaurée en Tunisie? Il ne faut pas espérer une réelle paix sociale dans notre pays. Revendiquer le plus et travailler le moins est devenu l'une de nos secondes natures. De toutes les façons quelque soit l'aboutissement de l'actuelle « guerre » entre l'UTICA et l'UGTT, le mal est déjà fait suite aux irréfléchies augmentations des salaires dans la fonction publique. Le secteur touristique traverse une crise sans précédent, quelles en seront les conséquences sur l'économie nationale et, surtout, pensez-vous que le tourisme tunisien pourrait retrouver son éclat lors de la prochaine saison? Les impacts de l'actuelle crise de notre tourisme sont désastreux. La croissance de notre économie et nos paiements extérieurs vont en souffrir terriblement. Un seul exemple suffit pour le prouver. La crise du tourisme nous a déjà coûté un manque à gagner de plus de un milliard de dinars. Entre temps le remboursement de la dette extérieure nous câblera d'une charge ruineuse: 5 milliards de dinars en 2016 et 8 en 2017 ?! L'espoir d'une reprise de notre tourisme au cours de la prochaine saison demeure douteux, car on est même capable de valoriser les rares opportunités qui s'offrent à nous. Par exemple les plus de 7 millions de touristes russes qui ont boudé récemment l'Egypte et la Turquie, et qui profitent à nos concurrents. Ceux qui somnolent ne verront pas certainement le bout du tunnel. -On dit souvent que le terrorisme et la contrebande sont intimement liés.Cependant, il semblerait que la lutte contre la contrebande ne dispose pas de l'attention accordée à la lutte contre le terrorisme. Comment évaluez-vous cela? Sans aucun doute le terrorisme et la contrebande constituent deux facettes d'une même pièce puisque chacun d'eux suce l'autre. Le drame c'est que la priorité octroyée au terrorisme relègue au second plan la lutte contre le banditisme sous ses multiples formes. La contrebande, qui en est une, ruine l'économie et par là le pays presque autant que le terrorisme. Sur le plan politique, l'échiquier actuel connaît de réels changements avec une implosion presque certaine de Nidaa Tounes, la prochaine naissance du nouveau parti de Marzouki et la disparition de quelques partis, pourtant historiques, de la scène. 2016 serait-elle l'année du blocage politique? Sur le plan politique nous sommes dans un réel tourbillon. On n'y comprend pas grand-chose. Entre autres, comment Nidaa Tounes pouvait-il être sapé par ses propres fondateurs. L'on a l'impression de vivre un vrai cauchemar ou que les ficelles sont manipulées d'outre-mer. Dernièrement, il y a quelques actions policières considérées comme atteintes aux libertés individuelles en dépit d'une Constitution qui les défend. Qu'en pensez-vous? Je suis tout à fait contre l'atteinte aux libertés. Mais en même temps j'appuie entièrement le couple liberté-discipline. Sans ça l'on risque de se noyer encore plus dans les slogans futiles et stériles.