Il est des livres qu'on ne se lasserait jamais de lire et de relire, figurant parmi des chefs-d'œuvre dans la littérature universelle et ayant retenu l'attention de millions de lecteurs dans le monde à travers plusieurs générations. Parmi ces livres, on retient celui d'Aldous Huxley, un roman d'anticipation, intitulé « Meilleur des Mondes ». Quand j'ai lu, il y a plus de trente ans, ce livre d'Aldous Huxley, je croyais que cela relevait de l'utopie et du rêve ; mais cet ouvrage me laissait perplexe, chaque fois que je le relisais plus tard, il me donnerait à réfléchir sur ce monde où nous vivons et dont la plupart des prédictions de l'auteur qui me paraissaient sur le vif invraisemblables, extravagantes, voire absurdes, sont devenues de nos jours réelles, palpables et incontestables. Mieux encore, l'évolution du monde et de la science viennent conforter dans la réalité les prévisions de l'auteur, et les techniques de manipulation et de conditionnement ont encore progressé depuis les années 1932, date à laquelle Huxley a écrit son roman où il décrit un univers déshumanisé et totalitaire, dans lequel les rapports sociaux sont dominés par la technologie et la science. Rappelons que ce livre a fait de son auteur l'un des témoins les plus lucides de notre temps, de par les idées qu'il expose, l'inscrivant ainsi dans la lignée des plus grands auteurs d'anticipation sociale et politique, tels que Orwell, Wells, London... Huxley, ce grand visionnaire, écrira plus tard, en 1978, un autre livre intitulé « Retour au Meilleur des Mondes » où il développe les thèmes abordés dans son premier roman de science-fiction « Meilleur des Mondes » en essayant de répondre à la question : « comment dominer les forces qui menacent nos libertés et affronter l'immense armée des fanatiques voués à leur destruction ? » Cependant, nous nous bornerons ici à parler de l'œuvre « Meilleur des Mondes » qui traite, entre autres, des sujets de l'explosion de la démographie de l'hégémonie de la technologie, de la dictature, du lavage des cerveaux, de la modification des valeurs humaines ... Bouleversements tous azimuts « Le meilleur des mondes » est plutôt un titre ironique, car le monde prédit par Huxley est loin d'être « meilleur », étant donné la réalité actuelle des choses sur notre planète. En effet, concernant la population mondiale, la planètecomptait moins de 2 milliards d'habitants en 1932, date où Huxley écrivait « Meilleur des Mondes », ce chiffre a passé aujourd'hui à 7 milliards. L'auteur explique ce boom démographique par le progrès scientifique et médical (limitation des naissances, amélioration de l'espérance de vie...) qui succèdera à son époque. De plus, dans son œuvre, l'auteur prévoit un monde où les valeurs, les normes, les règles, les références disparaitront et tout ce qui est propre à l'humanité (sentiments, valeurs morales...) s'éteindront. La famille se disloquera : ce sera un monde où le couple (père et mère) n'existera plus, étant donné que la fécondation sera in vitro, que les enfants seront des ovules mis dans des éprouvettes qui naissent dans des laboratoires et que l'on divise ensuite en « classes » et sous-classes », appartenant à5 catégories de population, de la plus intelligente à la plus stupide: les Alpha (l'élite), les Béta (les exécutants), les Gamma (les employés subalternes), les Delta et les Epsilon (destinés aux travaux pénibles).Chacun est donc destiné à accomplir la tâche qui lui est due et vit heureux dans le bonheur et la tranquillité. En d'autres termes, l'auteur imagine une société qui utiliserait la génétique et le clonage (ce qui est vrai, de nos jours !) pour le conditionnement et le contrôle des individus. La sexualité y apparaît comme un simple loisir : chaque individu possède simultanément plusieurs partenaires sexuels (entre deux et six par semaine), et la durée de chaque relation est extrêmement limitée (quelques semaines seulement). Dans les prévisions de l'auteur, imaginez aussi que la vieillesse n'existera plus et que la consommation des drogues sera permise, sachant qu'il y aura un seul produit appelé « Soma », qui ressemble aux drogues dont on aura ôté tous les effets secondaires et destructeurs, que les consommateurs seront autorisés à fumer pour rêver, s'évader sans être conscient du monde qui les entoure ! Grâce à ce produit, chaque élément de la société est heureux et ne revendique rien ! « Le Meilleur des mondes » décrit aussi ce que serait la dictature parfaite: une dictature qui aurait les apparences de la démocratie : les prisons seront sans murs et les prisonniers ne songeraient pas à s'évader : un système carcéral où la consommation et le divertissement seront garantis et où les détenus seront satisfaits et heureux de leur condition. En d'autres termes, dans « Le meilleur des Mondes », les individus ne sont pas opprimés, loin s'en faut, mais conditionnés dès leur naissance afin qu'ils acceptent et aiment leur servitude. L'accès au livre par exemple n'est pas contrôlé puisque les classes inférieures éprouvent un dégoût profond envers la culture et la nature grâce au (ou à cause du) conditionnement qu'ils ont reçu peu de temps après leur création en couveuses artificielles. Le monde n'est plus divisé en blocs ,mais en deux grandes catégories d'humains, ceux qui vivent dans l'Etat mondial,(connu aujourd'hui sous les termes « globalisation », « mondialisation ») programmés et conditionnés pour accomplir la tâche qui est la leur et ceux qui sont appelés dans le livre « les sauvages » et qui vivent loin de ce monde. Du « Meilleur des Mondes » au « Retour au Meilleurdes Mondes » La fin du roman est, comme le titre, pleine d'ironie, dans la mesure où on assiste à une sorte de chute, de bouleversement total des événements qui prennent des dimensions différentes à partir du moment où les deux personnages, Bernard Marx et Lenina Crowne, jeunes employés du bureau où l'on « fabrique » les bébés, décident de voyager dans une Réserve sauvage où ils rencontrent un « sauvage », John, et sa mère Linda,qui n'accepteront jamais les conditions de cette société civilisée, malgré la volonté de les ramener à la civilisation, ce qui va changer le cours de l'histoire. Au moment de sa parution, ce roman a dû agir comme un raz-de-marée. Mais pour le lecteur d'aujourd'hui, pour qui l'hégémonie de la société de consommation n'est plus une vision utopique mais bien une réalité, dans laquelle le clonage existe, dans laquelle on recourt à des mères-porteuses et où les sentiments et les valeurs humaines sont déconsidérés et relégués à un second plan face aux enjeux économiques et individuels, et surtout où les relations sociales sont devenues dépendantes d'une cyberculture de plus en plus envahissante ; tout laisse chez le lecteur de ce roman un goût assez fade, ayant en tête une question fondamentale : « Où va ce monde ? Peut-il être le meilleur des mondes ? » La réponse à cette question a été donnée par Aldous Huxley lui-même dans son livre « Retour au Meilleur des Mondes », écrit en 1958, environ 30 ans après son premier roman d'anticipation. En effet, constatant que la liberté de l'individu est menacée par divers dangers (démographiques, sociaux, politiques, idéologiques, technologiques psychologiques...) l'auteur prône l'éducation, le meilleur moyen en vue d'être libre : « La liberté est menacée, écrit-il, et l'éducation qui nous permettra de la sauvegarder représente une nécessité urgente, mais elle n'est pas seule dans ce cas, par exemple, une organisation sociale, une limitation des naissances, une législation, conçues en vue de la liberté sont aussi indispensables. » Cependant, Les quelques solutions que l'auteur a proposées (amélioration de l'éducation, retour à des structures locales ou régionales) seront-elles en mesure de garantir la liberté des individus, dans une société de consommation où les grandes entreprises et les grosses institutions, à cause des moyens de propagande de plus en plus perfectionnés, font réduire l'individu à une bête à consommer en piétinant sa liberté. Dans « le meilleur des mondes », Aldous Huxley décrivait une évolution possible de l'organisation humaine qui menace la démocratie et les libertés individuelles pour sombrer enfin dans une sorte de totalitarisme généralisé (scientifique, politique, économique, technologique...) Il est vrai que certaines prévisions de l'auteur ont trouvé leur écho dans notre époque actuelle, ce qui fait croire à l'auteur, au cours de son livre « Retour au Meilleur des Mondes », que notre monde se mettait à ressembler bien plus rapidement qu'à ce qu'il avait prévu dans son premier livre« Meilleur des Mondes ». Bref,« Le meilleur des mondes » est loin d'être une utopie parce que le monde que son auteur peint repose sur « l'organisation, la science et la structuration de chaque chose afin que chaque individu trouve sa place dans un univers où tout est harmonieusement préétabli », tout en nous invitant à rester plus attentifs que jamais au réel et aux éventuels débordements idéologiques, scientistes et surtout technologiques. Vu sous cet angle, l'œuvre de Huxley reste, plus de 80 ans après sa parution, un document d'actualité, à lire par la jeunesse d'aujourd'hui, ne serait-ce que pour remarquer la véracité des prévisions de cet écrivain visionnaire dont la plupart ont été réalisées dans le monde d'aujourd'hui.