Le ministère de la Culture et de la sauvegarde du patrimoine représenté il y a quelques jours par Latifa Lakdar a mis en place récemment un atelier consacré à la réflexion sur le secteur théâtral. L'homme de théâtre, Hacen Moadhen , a été chargé parmi d'autres professionnels, à proposer une vision et une politique théâtrales qui permettront de résoudre certaines problématiques qui entravent l'épanouissement et l'essor du 4ème art. Nous l'avons ainsi rencontrée pour nous expliciter plus précisément les tâches et les objectifs de cet atelier. Interview. Le Temps : Qu'entendez-vous par « un atelier ouvert à la réflexion sur le théâtre » ? Hacen Moadhen : Latifa Lakdar qui il y a quelques jours chapeautait le ministère de la culture a pensé faire participer les différents intervenants dans le secteur théâtral pour identifier les problèmes du secteur et prévoir la restructuration de la profession. Cette initiative a lancé un atelier de réflexion dont le coordinateur est Mr Habib Belhadi, depuis deux mois déjà. C'est un atelier ouvert aux artistes, aux créateurs, aux structures qui sont censés représenter le métier. Nous avons établi un programme dès les premières séances, pour justement réfléchir sur le secteur à partir d'une certaine méthodologie. Il s'agissait de prendre les différentes composantes du secteur théâtral, à savoir, le secteur public, le secteur privé, le théâtre amateur, etc. Nous réfléchissions sur les problèmes d'ordres structurel, organisationnel, financier. Nous débattions ces problèmes et nous proposions justement des solutions. Nous avions pris le secteur, composante par composante, et chacun était sensé présenter un point de vue, qu'il soit représentant d'une structure déterminée ou un artiste dépendant. A la fin, nous étions appelés à rédiger un rapport de synthèse pour le présenter à Madame l'ex-ministre. Quels sont les grands axes sur lesquels vous focalisiez ? Nous étions partis sur certains principes dont notamment la décentralisation sectorielle. Presque tous les participants étaient unanimes, en ce qui concerne l'idée de lancer un centre national du théâtre, à l'image du cinéma. Cette structure est censée avoir une autonomie sur le plan administratif et financier. Le deuxième principe concerne la décentralisation théâtrale ; là c'est un problème crucial. Nous partons d'un constat qu'au moins 95% des structures de production sont implantées dans le grand Tunis. Il s'agit d'établir une carte, identifier les besoins des régions, et prendre appui sur cette carte, pour projeter les programmes du futur. Il faudrait penser dans quelle région implanter telle ou telle structure publique, notamment, les Centres d'Arts Dramatiques, promouvoir l'effort des structures privées des régions défavorisées. Comment dynamiser les structures qui existaient déjà ? Quelle synergie possible entre les structures d'animation culturelle, les structures de création dans le théâtre, et là, comment dépasser un problème dont souffre la machine culturelle d'une manière générale ? Nous aspirons à éviter la bureaucratisation de la culture, cette structure héritée du passé qui entrave le développement et le progrès de la création. Nous remarquons qu'il y a beaucoup d'argent destiné aux structures régionales, mais qui, au niveau de la concrétisation, elles ne remplissent pas leur fonction. Ceci est dû à une certaine bureaucratisation, l'emploi a pris le dessus sur le statut et le travail de l'artiste. Ces projets seront concrétisés ou restent potentiellement envisageables ? A mon sens, Ce sont des visées surtout stratégiques. Bien sûr, le problème de concrétisation est lié à la révision radicale de la législation actuelle. D'autre part, il s'agit d'implanter de nouvelles structures dont le rôle et les prérogatives ne sont pas celle des anciennes structures ; par exemple, la création d'un centre national pour le théâtre est une proposition qui supplante l'ancienne direction du théâtre. L'étape actuelle nécessite certaines orientations dont celle d'une véritable décentralisation sectorielle. Ce n'est pas nouveau pour le ministère ; déjà, il y a certaines structures qui ont cette autonomie, par exemple le Théâtre National et d'autres structures qui concernent d'autres secteurs d'activités, tels que le Centre National de la Traduction, Beit el hekma, etc. L'expérience a prouvé que ces structures sont beaucoup plus efficaces, vu leur spécialisation, leur indépendance, de mieux promouvoir telle ou telle activité. Il s'agit d'autre part d'alléger ces structures-là, de les rendre plus efficaces au niveau de leur rendu, leur permettre de varier leurs ressources financières, les doter de possibilités de collaboration avec des structures autres, surtout que les problèmes de la culture ne concernent pas un seul ministère. Il y aura plusieurs projets sur la table : quelle stratégie adopter avec le ministère de l'Education ? Quelle convention avec le ministère du Tourisme ? D'autres parts, il y a des défis aussi qu'il faut débattre, le défi du terrorisme par exemple. La culture devient de plus en plus nationale. Peut-être c'est une urgence aussi. Justement, le ministère a créé plusieurs commissions, et ceci est important, mais cela n'empêche qu'il y a des problèmes, comme en ce qui concerne la commission de la lecture des projets, nous savons que 16 projets sélectionnés et jugés bons par cette commission, ont été annulés par la suite. Là, il s'agit d'un autre problème. Dans notre atelier, nous réfléchissons sur les problèmes fondamentaux, donc nous ne sommes pas dans le conjoncturel. Nous sommes appelés en quelque sorte à donner une vision qui concerne le devenir de la profession théâtrale, dans ses différentes composantes, et dans son interaction avec d'autres secteurs ou d'autres ministères, comme le Ministère de l'Education, du Tourisme, des Affaires sociales. Donc les travaux de cet atelier s'attachent beaucoup plus à débattre plutôt des réformes structurelles et législatives qui concernent le métier. L'idée de Atef Ben Hassine, (l'artiste présente d'abord son projet et une fois, il est sélectionné, une boîte de production le prend en charge), semble miser sur la qualité des projets théâtraux, n'est-ce pas ? Je crois que c'est une question formelle qui ne touche pas le cœur de la question, parce que chercher une boîte de production au préalable ou la chercher après, cela revient en quelque sorte à la même chose. Je crois que, ce qui est important, c'est d'orienter les artistes à la recherche d'une structure de production au préalable, ceci limite les problèmes qui peuvent se poser entre le producteur et un artiste après l'acceptation de son projet. D'autre part, je crois que l'étape actuelle est de consolider les structures de production. Nous avons besoin, que ce soit dans le secteur privé ou le secteur public, de structures fortes et solides. Cette alternative reste possible, mais elle doit être un peu limitée et s'orienter beaucoup plus vers les jeunes créateurs, prévoir un certain quota pour ce genre de création. D'autres parts, je ne crois pas que le projet d'Atef Ben Hassine ou du ministère puisqu'il a été adopté par le ministère, soit en contradiction avec certaines pratiques de la commission de soutien à la création, parce que la tâche de la commission est avant tout de sélectionner des projets qui sont valables ou crédibles artistiquement. Alors, le projet propose une démarche : comment aider les créateurs à s'implanter dans des maisons de culture, comment réactiver certaines maisons de culture par la présence des artistes créateurs, faut-il avant tout établir une convention entre la direction de l'animation et celle du théâtre d'une part et équiper ces maisons de culture, quoi que nous pouvions poser la question pourquoi ne pas équiper les structures elles-mêmes ? Une structure même ambulante a besoin d'un minimum de matériels pour se déplacer. Qui aura la tâche d'équiper les structures de production : le ministère ou le producteur lui-même ? Le ministère peut aider les structures à disposer d'un minimum de matériels parce que d'autre part c'est la direction de l'animation qui est censée avant tout équiper ces maisons là. Actuellement, avez-vous un projet, cela fait une période que vous êtes absent du paysage théâtral ? Oui, l'année dernière je n'ai pas présenté un projet. Je ne suis pas quelqu'un, qui présente chaque année un projet. Je cherche beaucoup plus la qualité que la quantité. Même au niveau du ministère, il faut une autre manière de soutenir, c'est-à-dire les structures surtout privées ne sont pas censées présenter chaque année un projet. L'enveloppe destinée à la production va être orienté beaucoup plus vers la distribution. C'est plus important pour un créateur lorsqu'il boucle sa création de la distribuer, la diffuser d'une manière large, parce qu'une vingtaine de représentations par saison, s'avère vraiment très frustrante. Donc, nous pouvons procéder d'autre manière alternative, c'est-à-dire, une production peut se consacrer à sa production durant une saison, la saison prochaine, elle pourra se consacrer à sa diffusion. Un mot à dire à la nouvelle ministre de la Culture récemment nommée ? Je lui dis tout simplement bon courage. Nous imaginons un peu les difficultés qu'affronte madame le ministre. Je crois qu'il faut renforcer la consultation avec les structures du théâtre, et que tout l'effort doit être orienté vers la structuration. Le conjoncturel ne doit pas prendre le dessus sur le stratégique.