Samia Hemida est une artiste photographe. Titulaire d'un Doctorat en sciences et techniques des arts, Elle a su tirer parti des toutes nouvelles technologies pour mettre en valeur des photographies originales, drôles, insolites. Son travail est admirable car elle capte l'ordinaire, d'une manière extraordinaire. Elle a une manière assez intéressante et poétique de percevoir son travail Le Temps : Comment définiriez-vous aujourd'hui votre travail photographique Samia Ben Hemida : L'envie de prendre des photos et la passion de l'image ont toujours été présents en moi. La photographie est le moyen d'expression par excellence. Il est l'un des moyens les plus efficaces dans la concrétisation de nos idées et le modelage de notre approche du monde. Cette conception de la photographie délivre des images codées, et rend perceptible l'incommunicabilité des consciences et des désirs, des rencontres et des émotions.. Quand j ́optai, il y a quelques années, pour une approche plastique de la photographie, je m'interrogeai sur la dimension fictive inhérente à tout travail photographique et à son aspect phénoménal et créatif. J'ai toujours cru que cette pratique pourrait défamiliariser le sens habituel de l'image photographique et reconstruire le réel poétiquement. Je ne peux vraiment pas croire en un regard insensible à la photographie. La photographie devrait être perçue autrement : elle ne serait plus conçue uniquement comme étant le résultat d'un enregistrement. La photographie est-elle une reproduction fidèle de la nature ? Je pense que l'acte de photographier ne consiste pas à prendre le monde pour objet. En réalité, il fait du monde un objet qui se présente comme attracteur étranger dans une image. Il s'agit donc de construire le sensible et de constituer dans cet art les régimes de perception et d'identification. Ainsi, « sentir »serait l'objet d'une subjectivation et la photographie un dispositif d'inscription de projets et de projections. Il s'agit de prendre du recul et de ne pas renier nos sens et nos sensations dans notre vision du monde, au profit d'une confiance absolue dans la reproduction mécanique de l'appareil photographique. Alors, dans ce sens, la photographie n'est nécessairement pas une reproduction fidèle de la nature, elle n'est pas identique et elle connaît des mutations. A partir de ces considérations, je commence mon projet photographique, tout en explorant et en interrogeant les univers de réflexion visuelle, intellectuelle et esthétique qui accompagneraient ma réflexion. En tant que plasticienne, je cherche à atteindre la dimension exploratrice et multiplicatrice de la photographie. Je considère que mon regard de plasticienne doit croiser le regard du photographe. Pour moi, la photographie est avant tout un monde de fiction. Quel est votre rapport à l'art photographique ? Photographier fait partie de moi, presque comme respirer... Je photographie depuis toujours... Même enfant, il me semble que je possédais déjà une mémoire visuelle particulière. Quand je pars pour une nouvelle destination, je ressens une excitation à l'idée des images que je vais rapporter. J'aime ces moments de tension, la sensation d'urgence. J'aime relever le défi de capter des instants uniques. Pouvez-nous présenter votre œuvre « la figure de l'absence » ? Mon projet, s ́intitulant « La figure de l'absence », est une série de photographies et de photogrammes, présente une sorte de croisement de trajectoires. Ce projet comporte une idée maîtresse : le transport métaphorique de la mise en scène photographique. Mon sujet se reconstruit dans chaque photographie. Mais ce qui compte vraiment c'est l'intériorisation de l'acte de la prise de vue, dans chaque image, sous forme d'ombre. Ceci est vu dans un registre particulier celui de l ́interrogation du réel et du corps. Dans la première phase de la pratique, je réalise un travail à la fois photographique, poétique et plastique. Il s'articule autour du traitement des «Choses ordinaires» et surtout des objets tels que : les chaises, les fenêtres, les portes, les clés, les vêtements, l'échelle...C ́est le regard posé sur un monde qui semble familier. Dans ces photographies, il y a un miroir hypothétique où la mise en scène pourrait s'inverser et se métamorphoser. Chaque photographie serait liée à son sujet, chaque mise en scène serait en relation avec la présence de l'opérateur. Dans cet œil multiple, le cadrage serait ouvert comme l'œil rond d'un miroir. Un monde réel s ́y reflèterait, m ́invitant à y entrer et à l'habiter. Je me rapproche et un monde réel s ́y reflèterait, m ́invitant à y entrer et à l'habiter. Je me rapproche et un réel exclusif s ́offre à mes yeux. Venu d'ailleurs, il me saute au visage. C'est l ́avènement d'un monde qui prend forme sous mes yeux. L'idée d'une image photographique «composée» plutôt qu'instantanée va hybrider, se métisser avec d'autres pratiques (le montage, l'écriture) et mettre l'accent sur l'aspect matériel et les possibilités plastiques dans une photographie. Comment définiriez-vous votre parcours artistique ? Je le vois comme un cheminement, semé de grandes joies, de rencontres, de doutes aussi... Aujourd'hui, je me focalise sur des moments de vie. Avec pour seuls guides, mon instinct et mon regard. Qu'entendons-vous par art de la photographie ? La pratique photographique n'est plus définie aujourd'hui comme une opération de capture, elle n'est pas cette activité innocente de production de l'image, elle n'est plus une reproduction mécanique de la nature, mais c'est plutôt un langage structuré dans ses formes et ses significations. La photographie appareille notre vision du monde, elle la modifie, la conditionne, elle cristallise notre rapport au monde. Chaque cadrage a une visée, une intuition esthétique puisqu'il octroie, à distance du réel, un réel artistique. L'histoire de la photographie est aussi intimement liée à celle de la peinture. Elle-même a été inventée par des peintres pour apporter des solutions toujours plus satisfaisantes aux problèmes posés par la peinture comme la représentation du monde réel. Ce qui est remarquable, c'est qu ́il y a un usage constant de la photographie par les peintres. Elle fonctionne au début comme un intermédiaire, sauf peut-être pour les impressionnistes, dans leur volonté de traduire directement l'impression ressentie devant la nature. La photographie est désormais présente et importante dans certaines pratiques. De ce fait, elle est l'art, comme l'affirme Man Ray. Pas loin de cette idée fondamentale qui dirige le projet et représente la partie de l'exécution, il y a une photographie dite « plasticienne » ou encore « créative ». Le photographe utilise ses pouvoirs les plus spécifiques, rêvant que son projet photographique renfermerait tout ce qui est vision et représentation mentale de l'œuvre à venir. C'est pourquoi il est Artiste. Dans ce cas Le photographe n'est pas un chasseur d'images, c'est un traqueur de négatifs. On ne prend pas une photo, on la fait. C'est ainsi qu'il faudrait comprendre la situation de l'image photographique. La question serait donc : Qu'est qu'une image photographique? Est-ce qu'elle est une information? Un regard ? Ou un destin des formes variables ? La réponse à ces questions exigerait une précision de positions.