La construction progressive et lente en Tunisie (plusieurs milliers d'années) d'un univers fortement humanisé est devenue un acquis irréversible surtout avec l'avènement de l'homo sapiens. Cet avènement s'est traduit essentiellement pour l'homme par une capacité nouvelle de : Saisir le monde extérieur par les symboles, les signes, les éléments graphiques et colorés, souvent abstraits, surtout à travers l'art de la figuration lorsque cet art s'est développé. De s'approprier matériellement le milieu et le monde qui l'entoure. L'homme tente à travers la création de ses propres moyens de production (outils, habits, armes...) de dominer la nature. L'artisanat est né ainsi comme action de la main sur l'extérieur, pour le soumettre et le mettre à sa disposition. L'évolution que les deux modes d'appréhension humaine du monde (symbolique et matérielle) dessinera les contours du développement technique et économique des hommes surtout dans les rapports spirituels qui entretiendront eux le cerveau et la main des hommes (la technique et la matière). L'homme est ainsi le résultat des actions de la main. Il se serait fabriqué pour ainsi dire, lui-même, pour pouvoir exercer sa pensée. L'émergence de la pensée réfléchie s'est faite à travers la libération et l'accumulation des actions de la main. La longue marche de l'objet : La démarche consistera à réaliser « l'histoire » des résultats des actions de la main pour aborder celle du cerveau et de la pensée. « L'équilibre matériel, technique et économique influence directement les formes sociales et par conséquent les manières de penser », à dit André Leroi Gourhan. L'équilibre matériel, technique et économique peut connaître des ruptures très violentes qui suscitent des transformations radicales au niveau technico-économique. Fondamentalement, ce processus connaîtra une même évolution où le matériel et la technique susciteront le spirituel. Toute transformation de ce rapport aura pour résultat un nouvel itinéraire. Les ruptures d'équilibre pendant les longues périodes du paléolithique ne concerneront en définitive que les transformations de l'industrie lithique avec ce qu'elles impliqueront au niveau des rapports de l'homme et de son milieu. La véritable rupture sera effectuée avec le passage des sociétés néolithiques surtout moyen- orientales à la civilisation agro-pastorale qui a eu lieu entre 8000 et 5000 ans avant JC et qui ont eu beaucoup de répercussions économiques, techniques et urbains sur les sociétés, surtout méditerranéennes moyen-orientales et ensuite nord-africaines et européennes. La rupture en Tunisie avec la préhistoire et l'esquisse d'un nouvel itinéraire inscrit par la protohistoire, et surtout par l'irruption de l'histoire en Tunisie, vont ouvrir plus franchement encore notre pays sur la Méditerranée et l'impliquer de plus en plus, fortement, dans les grands mouvements d'échanges centre les civilisations dans le bassin méditerranéen. Dès l'aube de l'histoire jusqu'au tout début du XIXe siècle, la Méditerranée est devenue la Mare-Nostrum où elle a joué un rôle actif dans les développements des hommes de ces contrées. Comment va se traduire cette ouverture sur la Méditerranée au plan de la production matérielle, artisanale et artistique de la Tunisie, et cela sans remonter jusqu'à la période paléolithique ? Certes, la Tunisie a connu des civilisations plus anciennes que celles de tradition méditerranéenne et qui l'ont marqué. Nous voulons parler de la civilisation caspienne et continentale. Celle qui s'est développée du dixième millénaire au sixième millénaire avant J.C. La civilisation caspienne : Cette civilisation continentale (Tunisie centrale Caspe, Algérie de l'est) a laissé des vestiges importants au niveau de l'artisanat et de l'élaboration des objets. Les escargotières ou « ramadiyas » ont constitué un véritable réceptacle de la vie quotidienne de cette civilisation. Les « ramadiays » ont accommodé des témoins matériels qui nous ont renseignés sur la vie quotidienne des caspiens ainsi que sur leur artisanat et sur leur art. (Recueillis surtout sur les sites du maktaa de Gafsa et sur les sites caspiens de Bir Om Ali). La grande rupture Ces sites ont révélé que les caspiens n'ont pas réduit leurs soucis à la création d'outillage artisanal destiné à satisfaire les besoins immédiats. Ils ont laissé aussi dans les « ramadiya » des vestiges de leur univers spirituel, fragments de décoration avec l'ocre, avec la craie mais aussi de parures, des éléments de colliers d'œufs d'autruche et de coquillages perforés, véritables ancêtres de bijoux. Ils ont aussi sculpté les fameuses figurines caspiennes en pierre taillée et qui sont une véritable merveille de finesse. Les caspiens en général les capsiens de « Mektaa » de Gafsa en particulier du septième millénaire avant J.C ont connu un véritable art figuratif dont les supports ont l'œuf d'autruche et surtout la pierre taillée. L'œuf d'autruche a été utilisé comme récipient pour l'eau. Nombreux aussi sont les fragments d'œufs d'autruche qui portent des gravures, d'autre sont transformés en pendeloques ou en coupelles à fard. Aussi les caspiens ont développé une culture riche en art figuratif et un artisanat mobilier dont ils étaient initiateurs. La néolithique en Tunisie était de tradition caspienne et il couvre la région où a dominé le caspien. Son outillage est fabriqué à partir du silex, des os d'animaux et des œufs d'autruche. La céramique modelée n'apparut que quelques 4400 ans avant J.C et comporta quelques décorations colorées des lignes géométriques ou des incisions gravées. Mais la véritable transformation fut celle de l'extension qui s'est réalisée à partir du Moyen orient et de la révolution agro-pastorale et de l'apport phénicien. La rupture d'avec l'orientation continentale du développement civilisationnel en Tunisie se fera pendant la préhistoire et l'histoire. Cette rupture va ouvrir notre pays sur la Méditerranée et l'impliquera de plus en plus dans les grands mouvements civilisationnels méditerranéens et ceci jusqu'au début du XIXe siècle. Carthage et l'artisanat C'est à la fin du XIIe siècle avant JC que notre pays effectue son entrée dans l'histoire quand les phéniciens introduisent l'écriture et des pratiques artisanales et commerciales nouvelles. Depuis cette époque, la Tunisie n'a pas cessé de prouver son ingéniosité en produisant une multitude d'objets réalisés avec les techniques les plus diverses et dans des matériaux les plus variés et de plus en plus sophistiqués comme le bois, la pierre, le verre, les fibres tissées, les métaux précieux, etc. Les échantillons de ce vaste patrimoine artisanal sont bien entendu exposés aux visiteurs et aux muséographes dans de nombreux musées tunisiens et étrangers, mais le fait le plus original est qu'une grande partie de cet héritage reste accessible et encore visible dans nos rues et dans les souks de toutes nos médinas. Cet héritage semble ne pas révéler seulement de la spécificité carthaginoise ou punique mais appartient à la sphère méditerranéenne et à une sorte de cosmopolitisme de l'époque construit sur la base des échanges entre l'artisanat égyptien, phénicien et grec. La Méditerranée étant alors le centre du monde. Carthage a su tirer profit de sa position privilégiée dans la Méditerranée pour produire un artisanat vigoureux et le distribuer dans les ports les plus lointains de la Méditerranée. Les Phéniciens ont utilisé la terre africaine d'abord comme escale (fin du XIIe siècle avant J.C) pour leur flotte qui allait chercher l'étain, l'argent et l'or d'Espagne pour les vendre dans tous les ports méditerranéens. Avec sa fondation de Carthage (814 avant J.C) et la multiplication des comptoirs dans toute la Méditerranée. Carthage est devenue la capitale et le centre d'un empire qui allait durer des centaines d'années. Cet empire devient fort. Son artisanat de la céramique, du tissage, de la tapisserie, de la bijouterie, du bois et du verre est devenu, à juste titre, l'objet d'une expansion commerciale servie par le fer de lance constitué par sa flotte marchande. Carthage se heurta d'abord très tôt aux Grecs qui refuseront aux Carthaginois leur prétention sur la Méditerranée orientale. Les amphores fabriquées à Carthage et remplies d'huile, de blé, d'étain et d'agent, chargées sur les navires qui amenaient aussi la vaisselle en céramique, les tissus, les tapisseries, les verreries (pâte de verre) les scrabbles égyptiens, les bijoux fabriqués à Carthage, allaient dans tous les ports de la Méditerranée occidentale et orientale. Les Carthaginois réussirent à avoir accès en Afrique qu'ils mirent en valeur. Leur flotte se lance dans des nouvelles découvertes africaines en longeant la côte africaine jusqu'à la Guinée. Certains pays européens comme l'Espagne, la France, l'Irlande ont intéressé les Carthaginois, qui ont aménagé leurs comptoirs et renforcer leur emprise sur la Méditerranée devenue le centre du monde de l'époque. L'artisanat produit à Carthage, dans ses comptoirs et dans ses villes puniques était jalousé par des puissances naissantes en Méditerranée. L'enjeu de la lutte qui va s'engager entre Carthage et Rome sera de savoir qui des deux forces allait dominer la Méditerranée. C'est ainsi que les guerres puniques s'engageront et après bien de péripéties, Rome s'impose malgré le génie militaire d'Hannibal et imposa sa domination sur Carthage, et sur le monde méditerranéen. L'Afrique romaine et l'artisanat : (146-439 après J.C) Malgré la défaite cinglante de Carthage, l'Afrique se releva. En l'espace d'un siècle, l'Afrique devient rapidement le grenier de Rome et son fournisseur d'huile, de blé ainsi que de beaucoup de produits de l'artisanat. Des produits fabriqués dans les ateliers africains comme ceux de la poterie (amphores et vaisselle) de la céramique d'art (sigillée), du marbre rouge extrait et fabriqué à Chemtou ne tardèrent pas à s'imposer à Rome et à son empire : la Méditerranée en était de nouveau pleine. Les empereurs romains d'origine nord africaine dont les septimes sévères, les gordiens d'El Jem, deviennent même des chefs de dynasties d'empereurs romains. L'artisanat romano africain était florissant surtout durant les périodes de prospérité et de paix. L'art de la mosaïque, l'art africain par excellence, en reflétant la vie quotidienne, la mythologie de la société romano-africaine a le mieux illustré et reflété la variété, la richesse des produits de l'artisanat de l'époque (verre, céramique, architecture, armes de chasses, instruments de musique...) représentés en grand nombre par les maîtres de la mosaïque : véritable peinture en pierre. D'autres genres d'artisanat, d'autres métiers, comme la céramique deviennent alors dominants et furent produits dans des centres très actifs d'un artisanat florissant et apprécié partout dans la Méditerranée. La paix romaine favorisa l'artisanat romano africain dans son expansion en Méditerranée.