Sir Ridley Scott ne pouvait pas rêver de meilleure mise en orbite. Le 28 septembre, la Nasa annonçait la présence d'eau liquide sous la surface de la planète rouge, confirmant ainsi un vieux fantasme de la science-fiction. Le 2 octobre, son Seul sur Mars décollait dans les salles américaines et s'élevait, en trois jours, à 55 millions de dollars de recettes au box-office. De quoi nourrir la thèse conspirationniste: avec cette annonce parfaitement chronométrée, la Nasa ne servirait-elle pas les intérêts de Hollywood et, par ricochet, ceux de son programme spatial? Selon la presse américaine, jamais l'agence n'avait autant collaboré à la production d'un film. Et pour cause, rapporte Andy Weir, l'auteur du roman adapté par Ridley Scott, elle y voit « l'opportunité d'éveiller à nouveau l'intérêt du public pour l'exploration spatiale ». En se transformant en succès planétaire, ce blockbuster au casting étoilé a contribué à renouveler l'appétit pionnier qu'avait suscité 2001 : l'Odyssée de l'espace un demi-siècle plus tôt et à lever les fonds nécessaires aux missions martiennes actuellement en déficit de popularité... Fusée à trois étages Hollywood et la Nasa, même combat ? Il n'aura échappé à personne que la fièvre spatiale est de retour dans l'industrie du cinéma, alors qu'il y a quinze ans Mission to Mars, de De Palma, avait été un échec. «C'est une question de Zeitgeist, d'air du temps, nous expliquait l'an dernier Christopher Nolan. Peut-être sommes-nous à une époque où les gens regardent de nouveau vers les étoiles et se disent qu'il faut reprendre notre exploration spatiale, qui a été très négligée ces dernières années. » Après Gravity en 2013 et Interstellar en 2014, Seul sur Mars complète ainsi une fusée à trois étages destinée à redorer le blason de l'aventure spatiale. Ces blockbusters ont en commun une haute idée du divertissement, ainsi que quelques membres d'équipage. De scientifique restée sur Terre dans Interstellar Jessica Chastain est ici promue chef de mission sur Mars. Et Matt Damon confirme qu'il porte la poisse quand il se retrouve sur une autre planète. Son personnage, l'astronaute Mark Watney, est laissé pour mort par ses coéquipiers après une violente tempête. Robinson en combinaison, il doit survivre plusieurs années sur son île rouge, à 225 millions de kilomètres de la Terre... Mars, le nouveau far-west Mais, si elles s'aventurent toutes trois sur la piste aux étoiles, ces épopées empruntent des trajectoires très différentes. Premier étage de la fusée, Gravityfaisait office de simulateur du cosmos, d'immersion sensorielle pour faire goûter au spectateur l'ivresse de l'apesanteur. Deuxième étage, Interstellar l'entraînait sur le terrain de la réflexion, dans la veine métaphysique et grandiloquente d'un Kubrick, initiant le grand public aux « trous de ver » et aux lentilles gravitationnelles. L'espace y était envisagé comme un remède au déclin terrestre, la dernière source d'espoir d'une société déprimée. Seul sur Mars » se distingue, lui, par son humour et son réalisme. Après les sens et l'esprit, place au pragmatisme de l'expérience scientifique. Hymne à l'ingéniosité et au bricolage, le film présente la conquête spatiale comme une succession ludique de problèmes à résoudre. «C'est un puzzle très logique. La survie par la connaissance. Plus je l'étudiais, plus c'était intelligent», confie Ridley Scott, qui explique avoir été séduit par «les faits, plus encore que par la fiction». Naufragé martien, Watney fait pousser des pommes de terre à l'aide d'un engrais très naturel, calcule ses probabilités de survie en écoutant de la musique disco et blague avec le spectateur par le biais de vidéos enregistrées: «On dit qu'une fois que vous avez cultivé une terre, vous l'avez officiellement colonisée. Donc, techniquement, j'ai colonisé Mars. Prends ça dans les gencives, Neil Armstrong ! » Mi-James Stewart mi-MacGyver, le pionnier rend cet horizon lointain familier et accessible. La planète rouge ne ressemble-t-elle pas, au fond, à la Monument Valley des westerns? Seul sur Mars est plus réaliste que Gravity, qui privilégiait les effets spéciaux et le rythme hollywoodien du film par rapport aux réalités du travail en orbite, et parfois aux lois de la physique, confirme l'astronaute Thomas Pesquet, qui deviendra en 2016 le dixième Français à s'affranchir de l'atmosphère en s'envolant pour la Station spatiale internationale (ISS) pendant six mois. Les technologies utilisées dans ce film sont soit déjà existantes, soit étudiées par la Nasa et les autres agences spatiales. Les moyens de survie qu'utilise Matt Damon sont plausibles, et l'habitat «gonflable» sur la surface de Mars est une hypothèse très probable: nous devrions tester, pendant ma mission, un module lui-même gonflable!» L'astronaute a donc apprécié cette simulation virtuelle, même si «quelques petits détails» l'ont «fait sauter» de son siège. Autre bon point du film: les hésitations de la Nasa dans sa gestion de l'opinion publique. «La perte d'un astronaute serait une catastrophe pour l'agence et un événement très difficile à gérer. Le dilemme d'informer le reste de l'équipage de la survie du personnage de Matt Damon est très réaliste : il s'est posé lors du décès d'un membre de la famille d'un astronaute pendant sa mission sur l'ISS.» Christophe Colomb Si la Nasa a servi la promotion du film, ce n'est qu'un juste retour des choses. Sous des airs drôles et détendus, Seul sur Mars intensifie encore le lobbying pro-exploration spatiale auprès des générations n'ayant pas connu les premiers pas de l'homme sur la Lune. Les astronautes y sont aussi séduisants que bons camarades, le voyage vers Mars ressemble presque à une routine et, loin des rivalités de la guerre froide, l'espace devient une conquête commune à l'humanité, puisque les Chinois se retrouvent associés au sauvetage. Pour Thomas Pesquet, « cette vague de films spatiaux prouve, à ceux qui en doutaient, que l'exploration spatiale fait toujours rêver. Dans vingt ans, quand l'homme marchera sur Mars (ce qui n'est pas de la science-fiction : les agences y travaillent tous les jours avec le plus grand sérieux), ce film aura joué le rôle de précurseur pour le grand public, comme d'autres oeuvres avant lui ». Dans la filmographie de Ridley Scott, l'espace, perçu comme un étranger menaçant dans Alien il y a trente-six ans, est devenu, dans Seul sur Mars, un terrain de jeu presque amical. Ne reste plus aux Christophe Colomb des temps modernes qu'à trouver les financements pour prendre le large... et peut-être répondre, enfin, à la question qui continue d'enfiévrer le cinéaste de 77 ans : « Si nous sommes là, sur Terre, est-ce le fruit du hasard ou celui d'un projet ? Il doit bien y avoir quelque part dans l'Univers une autre forme de vie. C'est logique.» Cet article est apparu en premier sur le Point