Il est vrai que l'écriture féminine est, notamment dans le roman et la poésie, plutôt sentimentale, passionnelle, et qu'elle se caractérise très souvent par une violence particulière de l'expression dès qu'il s'agit d'aborder la relation homme-femme. Dans une certaine mesure, ces traits scripturaux se retrouvent dans Le Jasmin noir, de Wafa Ghorbel. Mais comment échapper à une telle manière d'écrire quand l'objet central du roman est la narration, la description, le traitement d'une profonde blessure de la chair et de l'être. C'est un destin que cette plaie intérieure a infléchi à jamais. Il ne restait plus à la narratrice qu'un seul moyen pour surmonter son mal et pour recouvrer une partie de son moi brimé, longtemps soumis à l'implacable loi du silence : la révolte par l'écriture, l'affranchissement par la parole courageuse, la délivrance par la divulgation du terrible secret inhibiteur, frénateur. La métaphore et l'oxymore du titre renverraient dès lors à la page blanche sur laquelle s'épanche le moi rebelle, à l'arène du combat libérateur douloureusement mené contre l'Autre injuste et contre sa propre soumission à la logique de cet Autre criminel. Le Jasmin noir est un roman épistolaire bien particulier dans lequel seule la narratrice héroïne écrit et envoie des lettres à son monstre de destinataire. C'est un conte des Mille et une nuits où La Belle ne ménage point la Bête ni ne cherche à l'apprivoiser. C'est un réquisitoire émouvant et accablant dressé contre les tueurs de l'enfance, contre les voleurs et violeurs de l'innocence. Le Jasmin noir est justement un roman sur la confiance trahie, sur l'impossibilité de rétablir la sérénité perdue d'une enfant simple qui aurait voulu le rester (c'est-à-dire enfant simple) jusqu'au bout. C'est un roman d'enfant sur la jungle des adultes, c'est le récit d'une torturante initiation à la vie ; mais c'est aussi une belle leçon de lutte et de résistance contre les forces du Mal sous quelque masque qu'elles se présentent. Le Jasmin noir est le premier roman de Wafa Ghorbel, professeur de littérature à l'Université tunisienne. Elle est née et a grandi à Sfax. Parallèlement à l'enseignement des Lettres françaises, elle mène une prometteuse carrière artistique : Wafa Ghorbel s'est produite dans plusieurs spectacles et récitals en Tunisie et en France. Badreddine BEN HENDA ** Le Jasmin noir, de Wafa Ghorbel, Tunis, La Maison Tunisienne du Livre, Mars 2016, Prix public : 18dt