Nous n'aurions peut-être pas lu le tout dernier roman de Sonia Chamhki, nous n'aurions pas non plus écrit cet article, si nous n'avions pas appris que cette « docteur ès Lettres », touche-à-tout en fait, a récemment été invitée à une rencontre sur son « œuvre » avec des étudiants de littérature française, et que certains enseignants tunisiens de la langue de Molière recommandent à leurs disciples l'achat et l'étude de ses romans. Ce ne sont donc pas les « prix littéraires » décernés à Sonia Chamkhi pour son premier livre Leïla ou la femme de l'aube, qui ont motivé la rédaction du présent papier. D'ailleurs, nous n'avons pas encore lu ce récit encensé à sa parution par de nombreux commentateurs à notre avis plus attentifs aux thèmes du roman qu'à son écriture, ou plutôt qu'au français dans lequel il est écrit. En revanche, nous avons lu un article du Temps, datant de 2008, qui tout en relevant les nombreuses qualités de Leïla ou la femme de l'aube, prévient son auteure contre les incorrections multiples que recèle le texte. En rédigeant son deuxième roman, (il s'agit d'une suite au premier), Sonia Chamkhi ne semble pas avoir pris au sérieux cette mise en garde du journaliste. Et ce n'est pas M. H'sin Ben Azouna, à qui fut confiée la relecture de L'Homme du crépuscule, qui nous contredirait. Limites linguistiques On admire certes de belles pages au français irréprochable et au style séduisant, mais que de maladresses dans l'emploi et la concordance des temps verbaux. Sonia Chamkhi commet assez souvent par ailleurs des fautes de construction et de langue, des lourdeurs d'expression et des impropriétés. Elle mélange aussi les registres de langue, la plupart du temps sans motif plausible. La seule excuse qu'on pourrait lui trouver c'est qu'elle reproduit peut-être le français boiteux de son narrateur héros qui avoue sa modeste maîtrise de la langue de Voltaire. Même pas ! Puisque celui-ci s'avère très familiarisé avec des expressions et des mots parmi les plus rares et les plus soutenus : en effet tout en ignorant le genre correct du mot « dupe », il connaît par exemple le sens de l'adjectif « atrabilaire » et celui du nom « marcescence » ! Comble de cuistrerie : il utilise le subjonctif imparfait ! Fourre-tout Ce n'est pas pour dénigrer le roman que nous rapportons ces détails formels. Car, , L'Homme au crépuscule déçoit même sur le fond : c'est à notre avis un fourre-tout qui aborde (ou survole) trop de sujets à la fois : les expériences du temps, du vide, de l'ennui, de la solitude, du déracinement ; les thèmes du souvenir, de l'adolescence, les questionnements sur l'amour et sur la sexualité masculine et féminine ; la quête des origines, le déchirement entre tradition et modernité, entre Orient et Occident, le racisme et l'exclusion, le problème de la foi et de la morale sociale, les enfants du divorce ; les bienfaits de l'écriture et les vertus de la musique, la reconstitution de soi et la révolte contre toutes les formes d'exploitation etc. Nous avons même l'impression que les chapitres sur la révolution tunisienne sont comme surajoutés tant ils sont mal amenés dans le récit. Quant aux séquences « torrides » du livre, elles ne dégagent pas de sensualité particulière, et paraissent même comme parachutées à l'instar de ce qui se passe dans certains films tunisiens conçus sur commande ! Restons modestes ! Chère Sonia Chamkhi, nous ignorons totalement les raisons pour lesquelles votre premier livre a été primé à diverses occasions. Cependant, nous sommes convaincus que L'Homme du crépuscule ne mérite pas les mêmes honneurs, et surtout qu'il ne saurait constituer le meilleur support pour des recherches académiques. A moins de le proposer à nos étudiants de français comme un inventaire des fautes à ne pas commettre dans un bon livre ou un bon mémoire ! A propos de mémoire, Sonia Chamkhi se trompe gravement si elle pense que la gloire littéraire s'obtient avec ces semblants de « prix » qui trompent énormément ! Talent, travail forcené et humilité : voilà les qualités qui font les grands écrivains tels François Mauriac et Patrick Modiano à qui L'Homme au crépuscule est dédié. Nous avons lu des articles de journaux trop élogieux sur Sonia Chamkhi. Il en est qui la comparent à Simone de Beauvoir, d'autres retrouvent la phrase de Camus dans les constructions lapidaires de L'Homme du crépuscule ! Restons modestes et sachons raison garder dans nos rapprochements. Sonia Chamkhi excelle peut-être dans ses courts-métrages et ses documentaires ; mais en littérature, elle a encore du chemin à faire, malgré les quelques qualités indéniables que recèle son écriture, et en dépit des moments éminemment poétiques dont nous gratifie, de temps à autre, son style.
Badreddine BEN HENDA * « L'Homme au crépuscule », roman de Sonia Chamkhi, Arabesques 2013, Prix public : 12 dinars