Walid Lemkacher, ancien étudiant et diplômé de l'Institut des Beaux-arts de Tunis est installé depuis quelques années, à Paris, du côté des salles de vente de Richelieu Drouot et des cercles orientalistes de la place. Walid Lemkacher revient à Tunis pour nous livrer le produit de ses rapports avec l'Orient et ses « tractations » avec l'orientalisme pictural tel qu'il a été suscité en Occident. L'exposition que l'artiste nous offre, aujourd'hui, à la Galerie Saladin est le fruit de ses confrontations avec les deux phénomènes cités plus haut et qui ont eu des répercussions culturelles et historiques profondes sur l'Orient et l'Afrique du Nord pendant le 19ème siècle et le 20ème siècle et qui continuent à en avoir jusqu'à nos jours. Le travail de Walid Lemkacher, aujourd'hui, en est la preuve. Walid Lemkacher n'a étudié ni à Tunis, ni à Paris, l'Orient ou l'orientalisme. Il les a fréquentés d'une manière spontanée, au niveau du vécu et des tribulations de l'artiste par rapport à ce qui se faisait ou se montrait comme expositions sur l'Orient et l'orientalisme en Richelieu Drouet et ailleurs. Cette relation tissée entre l'artiste et l'Orient est particulière... elle est personnelle. Elle n'est pas institutionnelle... Elle n'est pas de l'ordre scientifique. Elle est spontanée et semble n'être pas passée par le crible critique ! Cette critique nous a permis d'entamer des lectures quelque peu distantatrices par rapport à l'orientalisme artistique des 19è et 20è siècles, sans toutefois estomper le caractère méritoire de l'orientalisme surtout français dans le développement du mouvement pictural tunisien. Notre fréquentation des textes d'Edward Saïd nous a permis d'introduire l'équilibre scientifique nécessaire dans nos lectures de l'art orientaliste. Walid Lemkacher n'a cure de toutes ces précautions d'ordre méthodologique. La relation que le peintre établit avec l'Orient n'est pas construite sur des relations intellectuelles mais sur des relations essentiellement amoureuses. Il aime l'Orient et l'image de l'Orient orientaliste. D'entrée de jeu, Walid nous propose d'admirer l'Orient d'abord, avec surtout ses réalisations artistiques arabo-musulmanes, ses graphismes, ses arabesques, ses polygones gravés, sculptés et peints, ensuite par Walid Lemkacher, sur des supports de tableaux modernes, ou reportés sur des étoffes... » Le tout crée une « végétaliste ascétique, abstraite, immatériellement florale à la façon de l'arabesque » (Henry Van Lier : les arts de l'espace P.30 – Editions Casterman 1963). Walid réussit à ressusciter cette ambiance tout en l'impliquant dans une ambiance colorée vivace. Ces configurations géométriques noyées dans les couleurs vives ou dans l'or nous rappellent les carreaux de céramique de Tunis de la période hafside et surtout ceux de Kallaline. Tout respire la présence incantatoire de l'Orient abstrait qui s'impose presque exclusivement, quelquefois d'une manière autonome. L'autre déploiement auquel nous invite l'exposition de W.Lemkacher concerne non plus l'Orient, mais l'orientalisme tel qu'il a été développé par les peintres et les décorateurs français du 19e et du 20e siècle. Cette partie de l'exposition représente un foisonnement des signes croisant l'Orient musulman quelquefois le reléguant au second rang. C'est alors la présence de la Russie orientale et extrême qui apparait avec les poupées russes, les motifs décoratifs spécifiquement russes, les polylobés, les tissus... les os rutilants... L'Orient s'ouvre à l'extrême et nous voilà en train de vivre une ouverture éclectique à tous... à la musique, au ballet russe... à Nouriev. Le peintre Walid Lemkacher semble vouer à la Russie une admiration sans faille, sans rivages... sans critique. L'Orient, ici, se mélange à l'orientalisme. L'Orient orientalisé est bien là. Il s'installe dans l'exposition. Comment vont fonctionner toutes les icones retrouvées des odalisques orientalistes, les nouvelles, celles plus particulièrement russes (ces femmes orientales sous un clair de lune, ou celle d'un songe d'un soir féérique). Comment apprécier ces femmes étendues, brunes à souhait ou quelquefois occidentales à chapeau. Tout frise l'artifice ! Mais, l'art n'est-il pas artifice ! Le retour à l'Orient, à l'orientalisme projeté sur un Orient autre anhistorique est l'œuvre imaginaire d'un peintre épris de liberté pour nous présenter un Orient débridé dépassant en intensité, en exotisme. Les plus exotiques des orientalismes. Walid Lemkacher a réussi à nous provoquer avec cette scénographie qui ferait des jaloux même chez les plus extrémistes orientalistes comme Gustave Klimt. Klimt paraît réellement modéré dans ses références au fourmillement raisonnable de ses présences fleuries en tous les cas plus retenues que celles de M.Lemkacher. Walid Lemkacher semble avoir aimé l'Orient orientalisé et russifié, cela est son droit ! Notre devoir d'historien de l'art ne consiste pas à censurer les artistes au contraire ! Mais, il consiste aussi, à relever les lectures par trop idéologiques et surtout celles qui magnifient des visions antihumanistes décadentes de l'Orient et par conséquent de nous-mêmes. L'Orient n'est pas nécessairement un Orient de pacotille. Beaucoup de connaisseurs de l'orient savent que l'Orient tel qu'il nous est proposé par Walid Lemkacher n'a rien avec l'Orient réellement historique. L'orientalisme n'a pas été toujours un orientalisme humaniste comme celui de E. Delacroix ou celui de Fromentin... ou même celui de Rodolf D'Erlanger. L'Orient n'est pas seulement une fugue musicale ! L'Orient n'est pas seulement un passé où tout était beau et gentil. Il n'est pas seulement objet de rêve seulement. Il est aussi cauchemardesque surtout depuis quelque temps où les guerres impérialistes ont fini par noyer notre Orient dans le crime, la destruction et le désastre humanitaire et pourtant il a été pendant très longtemps le berceau de l'humanité, de la culture. Il est le berceau de toutes les religions monothéistes, de l'art et de la philosophie. Goethe, qui connaissait très bien l'Orient, a chanté ses valeurs et a reconnu sa supériorité à maintes reprises et lui a octroyé une grande capacité de spiritualité susceptible de dépasser même l'Occident. Sans vouloir annihiler le travail de W.Lemkacher et à le réduire à un travail d'exotisme, nous invitons nos jeunes plasticiens et Walid en fait partie, à cultiver son jardin et à connaître son passé et son présent pour ne pas faire d'impair artistique.