Le dialogue de sourds se poursuit entre le gouvernement et l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) au sujet de la réforme des régimes de sécurité sociale. Alors que la centrale syndicale mobilisait ses troupes en vue d'assurer la réussite du rassemblement ouvrier couvrant les quatre gouvernorats du Grand Tunis (Tunis, Ben Arous, l'Ariana et la Manouba), prévu pour aujourd'hui à la Place Mohamed Ali, pour protester contre le projet du gouvernement qui prévoit le relèvement obligatoire de deux ans de l'âge du départ à la retraite et une augmentation de trois années supplémentaires pour les fonctionnaires qui le souhaitent, le ministre des Affaires sociales, Mahmoud Ben Romdhane, vient de jeter un nouveau pavé dans la mare. Dans un entretien a publié hier sur les colonnes du quotidien arabophone «Le Maghreb», le ministre qui a hérité du portefeuille des Affaires sociales en janvier dernier après un passage par le ministère des Transport, où son bilan a été jugé flatteur, a remis sur la table les sujets sensibles de l'abaissement des pensions et de l'augmentation des taux de cotisations «Nous avons besoin d'un paquet de mesures courageuses et de sacrifices tant il est vrai que la situation des caisses sociales est très délicate (...). Dans ce cadre, nous pouvons envisager le relèvement obligatoire de l'âge du départ à la retraite qui pourrait avoir lieu de façon progressive, l'augmentation des taux de cotisation, le recouvrement des créances des caisses auprès des entreprises publiques qui ont atteint 430 millions de dinars et la réduction des pensions de retraite à condition que les droits des personnes qui sont actuellement à la retraite soient protégés», a-t-il déclaré en substance. Et d'ajouter : «Le niveau des pensions de retraite en Tunisie est bien meilleur que ceux en vigueur dans la plupart des pays du monde. Nous calculons la pension sur la base des deux années les mieux rémunérées alors que les autres pays prennent en considération la moyenne de 25 ans de travail et parfois la moyenne de l'ensemble des années de travail, et c'est pour cette raison que nous devons débattre sérieusement de ces questions». Bras de fer en vue M. Ben Romdhane a, d'autre part, estimé que le projet de loi relatif au relèvement optionnel de l'âge du départ à la retraite présenté par son prédécesseur Ahmed Ammar Youmbaî ainsi que les propositions présentées par l'UGTT «ne sont pas à la hauteur des attentes » et «ne permettent pas de relever le défi» du sauvetage des caisses sociales. Selon lui, des données actualisées montrent que même si 100% des fonctionnaires et des salariés du secteur public choisissent de partir à la retraite à 65 ans, le déficit de la Caisse Nationale de Retraite et des Prévoyance Sociale (CNRPS) atteindra 700 millions de dinars entre 2016 et 2020. Et si rien n'est fait, le déficit culminera à 4256 millions de dinars durant la même période ! L'UGTT avait accusé récemment Mahmoud Ben Romdhane d'avoir violé le principe de la «continuité de l'Etat » en renonçant à un accord conclu avec son prédécesseur sur le projet de loi relatif au le régime des pensions civiles et militaires de retraite et des survivants dans le secteur public. Cet accord stipule que les fonctionnaires auront le choix de choisir entre le relèvement de l'âge du départ à la retraite à 62 ans ou à 65. Or, M. Ben Romdhane a présenté un projet de réforme des régimes de sécurité sociale qui prévoit le relèvement obligatoire de deux ans de l'âge du départ à la retraite ainsi qu'une augmentation de trois années supplémentaires pour les fonctionnaires qui le souhaitent, Suite à ce «revirement», la centrale syndicale a annoncé l'organisation d'une série de rassemblements régionaux de protestation. A noter que l'UGTT a déjà présenté un projet de réforme visant à réduire le déficit des caisses sociales. Ce projet comporte des mesures qui s'articulent autour de la diversification des sources de financement des régimes de sécurité sociale à travers l'instauration de nouvelles taxes sur certains produits non-essentiels comme le tabac et les boissons alcooliques, le recours limité et contrôlé au marché financier et l'augmentation de la contribution de l'Etat. L'organisation syndicale recommande, d'autre part, de créer une nouvelle caisse à part qui sera chargée de l'indemnisation des salariés ayant perdu leurs emplois, de lutter contre la diffusion à large échelle du travail au noir dans le secteur privé et de durcir des procédures de recouvrement des créances des caisses sociales auprès des entreprises. Le trou, de plus en plus béant de la «Sécu», trouve essentiellement son origine dans les mutations démographiques et socio-économiques qu'a connues la Tunisie au cours des dernières décennies : vieillissement de la population, baisse de la fécondité, précarité de l'emploi, amélioration de l'espérance de vie, taux de chômage élevé, multiplication des plans sociaux... etc. Le ratio moyen actifs/retraités pour les deux caisses sociales (nombre de salariés en exercice qui paient grâce à leurs cotisations les pensions de salariés partis à la retraite, NDLR) a, en effet, baissé à une vitesse vertigineuse. Ce ratio est passé de 10 actifs pour un retraité dans les années 80 du siècle dernier à 2,4 actifs pour un retraité actuellement.